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Visions intérieures ou extérieures ?
Extrait du chapitre 15 du livre Mystères et vérités cachées du troisième secret de Fatima de Joseph de Belfont aux Nouvelles Éditions Latines.
Le terme "commentaire" désigne le document intitulé Commentaire théologique figurant dans le dossier joint au troisième secret diffusé par le Vatican le 26 juin 2000.
Les trois types de visions
Le commentaire rappelle ensuite la distinction, parfaitement traditionnelle, entre les trois types de visions :
L'anthropologie théologique distingue en ce domaine trois formes de perception ou de "vision" : la vision des sens, donc la perception externe corporelle, la perception intérieure et la vision spirituelle (visio sensibilis – imaginativa – intellectualis).
Pour plus de précisions, voici ce qu’enseigne l’abbé Adolphe Tanquerey [1] dans son Précis de théologie ascétique et mystique :
Les visions sont des perceptions surnaturelles d'un objet naturellement invisible pour l'homme. Elles ne sont des révélations que lorsqu'elles découvrent des vérités cachées. Elles sont de trois espèces : sensibles, imaginaires ou purement intellectuelles.
1) Les visions sensibles ou corporelles, qu'on appelle aussi apparitions, sont celles où les sens perçoivent une réalité objective naturellement invisible à l'homme. Il n'est pas nécessaire que l'objet perçu soit un corps en chair et en os, il suffit qu'il soit une forme sensible ou lumineuse. Ainsi on admet communément, avec saint Thomas, que Notre-Seigneur, après son Ascension, n'est apparu personnellement que d'une façon très rare ; il n'apparaît donc généralement que sous une forme sensible qui n'est pas son véritable corps. Quand il apparaît dans l'Eucharistie, cela s'explique de deux façons, dit saint Thomas : ou par une impression miraculeuse dans les organes des yeux (ce qui est le cas lorsqu'il ne se fait voir qu'à un seul) ; ou par la formation dans l'air ambiant d'une forme sensible réelle, mais distincte du corps même de Notre-Seigneur ; car, ajoute-t-il, le corps du Sauveur ne peut être vu sous sa forme propre que dans un seul lieu : « Corpus Christi non potest in propria specie videri nisi in uno loco, in quo definitive continetur » (Sum. theol., III, q. 76, a. 8). Ce qui est dit de Notre-Seigneur s'applique à la Sainte Vierge ; ainsi, quand elle est apparue à Lourdes, son corps demeurait au ciel, et, il n'y avait au lieu de l'apparition, qu'une forme sensible la représentant. C'est ce qui explique comment elle apparaît tantôt sous une forme et tantôt sous une autre.
2) Les visions imaginaires ou imaginatives sont celles qui sont produites dans l'imagination par Dieu ou par les anges, à l'état de veille ou pendant le sommeil. Ainsi un ange apparaît plusieurs fois à saint Joseph pendant son sommeil, et sainte Thérèse raconte plusieurs visions imaginaires de l'humanité de Notre-Seigneur qu'elle eut à l'état de veille (Vie, ch. XXVIII) ; souvent ces visions sont accompagnées d'une vision intellectuelle qui en explique la signification (Vie, ch. XXIX). (…)
3) Les visions intellectuelles sont celles où l'esprit perçoit une vérité spirituelle, sans formes sensibles : telle fut la vision de la Sainte Trinité qu'eut sainte Thérèse (…). Ces visions se font, soit par des idées déjà acquises, mais que Dieu coordonne ou modifie, soit par des espèces infuses qui représentent mieux que des idées acquises les choses divines. Parfois elles sont obscures et ne manifestent que la présence de l'objet (Vie, ch. XXVII, p. 336) ; d'autres fois, elles sont claires, mais ne durent qu'un moment : ce sont comme des intuitions qui laissent une impression profonde (Château, 6e Dem., ch. X, p. 262).
Il y a des visions qui réunissent deux ou trois caractères en même temps. Ainsi la vision de saint Paul sur le chemin de Damas fut à la fois sensible, quand il vit la lumière fulgurante, imaginative quand les traits d'Ananie furent représentés à son imagination, et intellectuelle lorsqu'il comprit la volonté de Dieu sur lui.[2]
Mais, après avoir reconnu l’existence de trois types de vision, le commentaire en limite considérablement la portée, car selon lui, que la vision soit interne ou externe, le voyant déforme nécessairement ce qu’il a vu :
La vision intérieure (…) comporte aussi des limites. Déjà dans les visions extérieures, il existe aussi un facteur subjectif : nous ne voyons pas l'objet pur, mais celui-ci nous parvient à travers le filtre de nos sens, qui doivent accomplir un processus de traduction.
Dans la vision intérieure, il s’agit encore plus largement que dans la vision extérieure d’un processus de traduction, en sorte que le sujet est de manière essentielle participant de la formation, sous mode d'images, de ce qui apparaît. L'image peut advenir seulement selon ses mesures et ses possibilités. Ces visions ne sont donc jamais de simples "photographies" de l'au-delà, mais elles portent aussi en elles-mêmes les possibilités et les limites du sujet qui perçoit.
Pour le commentaire, à cause de nos sens, les visions, qu’elles soient extérieures ou intérieures ne peuvent être rapportées que de façon déficiente. Autrement dit, le récit des apparitions n’est qu’une traduction plus ou moins faussée de ce que le voyant a vu intérieurement ou extérieurement ; ce n’est pas une description exacte de l’objet contemplé. Dès lors, il sera possible de limiter la portée de la vision aux limites du voyant et ainsi exclure certains caractères de l’apparition jugés inopportuns.
Le genre des visions à Fatima
Le commentaire exclut ensuite catégoriquement que les apparitions de Fatima puissent être des visions extérieures ou sensibles et les classe délibérément parmi les visions intérieures :
Il est clair que, dans les visions de Lourdes, Fatima, etc., il ne s'agit pas de la perception normale extérieure des sens : les images et les figures qui sont vues ne se trouvent pas extérieurement dans l'espace, comme s'y trouve par exemple un arbre ou une maison. (…)
Il s’agit donc de la catégorie intermédiaire, la perception intérieure, qui a certainement pour le voyant une force de présence, laquelle équivaut pour lui à la manifestation extérieure sensible. (…)
Il s'agit de vrais "objets" qui touchent l'âme, bien qu'ils n'appartiennent pas à notre monde sensible habituel.
(…) Les images qu’ils [les enfants de Fatima] ont décrites (…) ne sont pas non plus à envisager comme si, pour un instant, le voile de l’au-delà avait été enlevé et que le ciel apparaisse dans ce qu’il a de purement essentiel, de la manière dont nous espérons le voir un jour dans l’union définitive avec Dieu.
Le commentaire nie donc la réalité des phénomènes extérieurs et ne voit, dans les visions de Fatima qu’une perception intérieure des voyants. Pour lui, à Fatima comme à Lourdes, les figures vues par les voyants ne se trouvent pas extérieurement dans l’espace ! La description de la Vierge par les enfants ne serait donc qu’une image de ce qu’ils ont perçu intérieurement ! Autrement dit, Notre-Dame n’est pas venue à Fatima : les voyants n’ont eu qu’une perception intérieure de sa présence.
Soulignons que ce propos concerne bien l’ensemble des apparitions de la Sainte Vierge, car il est bien dit « Dans les visions de Lourdes et Fatima, etc.… ». Ce texte a donc une portée générale et ne se limite pas qu’aux apparitions de Fatima.
À la fin du document, le commentaire va même encore plus loin : il affirme que la vision du secret officiel a purement et simplement été rajoutée par sœur Lucie :
La conclusion du "secret" rappelle des images que sœur Lucie peut avoir vues dans des livres de piété et dont le contenu provient d'anciennes intuitions de foi.
La conclusion du secret, c'est-à-dire les deux anges recueillant le sang des martyrs dans des arrosoirs, ne vient pas de la Sainte Vierge mais d’anciennes intuitions de foi ! On serait intéressé de savoir dans quel livre de piété, sœur Lucie a pu trouver une telle image.
Il est certain que sœur Lucie est d’un avis totalement contraire : elle est sûre d’avoir vu réellement la Sainte Vierge, comme elle espère la voir un jour au Ciel. En 1924, à la commission d’enquête canonique, Lucie affirma :
J’ai la certitude que je l’ai vue et que je ne me suis pas trompée. Même si l’on me tuait, personne ne me ferait dire le contraire ! [3]
Au cours de sa vie, sœur Lucie n’eut pas que des visions sensibles. Elle fut sujette aux trois types de visions. Les inspirations qu’elle recevra du Ciel en réponse à ses interrogations seront très souvent une perception intérieure. La vision de la théophanie de Tuy est, par contre, à rattacher au deuxième type, car sœur Lucie dit qu’elle a vu et il n’y a aucune raison de douter de son témoignage. Mais les personnages ou objets de cette image n’étaient pas présents physiquement, en particulier Dieu le Père : il peut donc difficilement s’agir d’une vision sensible. La vision de l’enfer peut également être rangée dans cette catégorie puisque, comme le fait remarquer le commentaire, le feu n’a rien ravagé à la Cova da Iria, ce qui est exact. L’enfer n’était donc pas physiquement devant les petits voyants : ils l’ont vu grâce à cette lumière émanant des mains de la Vierge. Mais le fait que la vision de l’enfer soit de la catégorie des visions imaginatives, ne prouve pas que le reste de la vision le soit, car, comme le dit l’abbé Tanquerey, rien n’empêche qu’il y ait plusieurs perceptions différentes au cours d’une même apparition. Cette double perception s’est d’ailleurs déjà produite dans la première apparition du 13 mai 1917. Par le reflet venu des mains de la Sainte Vierge, les petits pastoureaux se sont vus en Dieu : cette vision est très probablement une vision intellectuelle qui vient s’ajouter à la vision sensible de la Sainte Vierge. Dans les apparitions de 1917, il est facile de discerner les visions imaginatives ou intellectuelles, car elles sont précédées d’un geste d’ouverture des mains de la Sainte Vierge et par un rayon émanant de ses mains comme pour matérialiser la grâce de la vision donnée.
Mais les visions de Notre-Dame sont sûrement des visions sensibles. Il est certain que la Sainte Vierge est apparue aux petits pastoureaux sous une forme extérieure sensible. Car les phénomènes physiques ayant accompagné sa venue et observés par de très nombreux témoins ne peuvent pas être les fruits d’une vision imaginative. Leur nombre est impressionnant. C’est même précisément là une des caractéristiques, tout à la fois extraordinaire et merveilleuse, des apparitions de Fatima. Nous allons en donner quelques preuves afin de montrer la certitude absolue de phénomènes extérieurs manifestant sans aucun doute possible la présence effective d’une personne céleste.
Les témoins
Non seulement les voyants, mais aussi tous ceux qui ont eu la grâce d’assister aux apparitions ont observé ces phénomènes physiques, ceci à toutes les apparitions et pas seulement lors du miracle du soleil. Nulle part ailleurs qu’à Fatima, la Sainte Vierge n’a environné sa venue et authentifié sa présence d’autant de signes aussi extraordinaires. Et ces témoins étaient particulièrement nombreux : une cinquantaine dès la deuxième apparition, trois à quatre mille à la troisième, 18 à 20 000 à la quatrième, 25 à 30 000 à la cinquième et environ 70 000 à la dernière, certains étant parfois à plusieurs kilomètres du lieu des apparitions !
Le plus étonnant est l’inégalité des assistants dans la vision de ces phénomènes. Le 13 septembre, plusieurs témoins rapportèrent n’avoir rien vu comme M. Mendès ou le chanoine Formigâo, alors que le 13 août tous les témoins avaient pu voir les différents phénomènes. Cette inégalité dans la vision exclut absolument l’hypothèse d’une hallucination collective. Car parmi ceux qui ne virent rien, il y en avait qui voulaient voir de toute leur âme. Et inversement, parmi les incroyants présents et fermement décidés à ne rien voir, beaucoup virent.
Très étonnant également le fait que, le 13 août 1917, les 18 000 témoins aient observé quelque chose alors que les petits voyants n’étaient pas là : ils étaient emprisonnés à Vila Nova de Ourem. Dans une telle situation, il n’y avait plus aucun stimulant psychologique pour pousser les gens à voir : bien au contraire ! Pourtant tous virent, ce qui augmenta d’autant plus leur foi dans les apparitions comme le remarqua le curé de Fatima, l’abbé Ferreira, qui écrivit à l’époque :
Au dire de milliers de témoins, l’absence des enfants n’a pas empêché la Reine des anges de manifester son pouvoir. Tous ces gens attestent des faits extraordinaires et des phénomènes qui ont enraciné plus profondément leur croyance.
Si la vision des petits voyants était purement intérieure, comment des milliers de personnes ont-elles pu voir des phénomènes le 13 août ?
L’attitude des voyants
Les trois petits pastoureaux voyaient exactement la même chose et dans la même direction. Comment une vision intérieure pourrait-elle être à ce point identique dans trois personnes ? Le caractère aveuglant de l’apparition est également une preuve de la réalité de la présence du corps glorieux de la Sainte Vierge. Car Lucie fut souvent obligé de baisser les yeux tant la lumière émanant de la Sainte Vierge était vive. Au chanoine Formigâo qui lui demanda au cours de l’été 1917 : « Pourquoi, assez souvent, baisses-tu les yeux et cesses-tu de regarder Notre-Dame ? », elle répondit : « Parce qu’elle m’éblouit quelquefois ». [4] Dans le récit qu’elle fît de l’apparition du 13 octobre, elle dit : « Elle est venue au milieu d’une grande lumière. Cette fois-ci encore, elle aveuglait. De temps en temps, je devais me frotter les yeux ». [5] Si la vision était strictement intérieure, comment cela aurait-il été possible ? Comment une petite fille de dix ans sans instruction aurait-elle pu inventer de tels détails ?
Les murmures de l’apparition
Les assistants qui se trouvaient suffisamment près des voyants entendaient un léger murmure. Voici le témoignage de Maria Carreira tel qu’il est rapporté par le père De Marchi : « Alors nous commençâmes à entendre quelque chose comme un son de voix très léger ; mais on ne comprenait pas ce qui se disait ; c’était comme un bourdonnement d’abeille ». [6] Le chanoine Barthas rapporte également que, lors de la deuxième apparition, « Maria de la Capelinha [Maria Carreira de son vrai nom] et d’autres témoins ont raconté qu’ils entendaient entre les paroles de Lucie, comme le murmure d’une voix très fine, mais inintelligible ». [7] M. Marto, le père de Jacinthe et François, reconnût également avoir entendu ce léger bruit au cours de l’apparition du 13 juillet : « Alors, dit-il, je commençai à entendre un son, un bourdonnement, quelque chose comme le bruit que ferait une grosse mouche dans une cruche vide. Mais je n’entendais aucune parole… » [8]
Le chêne-vert
Les témoins les plus proches purent également voir d’autres phénomènes difficilement attribuables à des visions intérieures. L’un d’eux témoigna : « Pendant la vision, les branches de l’arbuste ployèrent en rond de tous les côtés, comme si le poids de Notre-Dame avait réellement porté sur elles ». Un autre témoin raconte : « On était au mois de juin et l’arbre avait toute sa ramure couverte de longues pousses toutes jeunes. Or, à la fin de l’apparition, lorsque Lucie annonça que Notre-Dame partait dans la direction de l’est, tous les rameaux de l’arbre se ramassèrent et s’infléchirent de ce même côté, comme si Notre-Dame, en partant, avait laissé traîner sa robe sur la ramure ».
Même témoignage de Maria Carreira : « En nous tournant alors vers le chêne-vert miraculeux, quelle ne fut pas notre surprise de voir que les petites branches du sommet, qui étaient auparavant toutes droites, étaient maintenant un peu inclinées vers l’est, comme si elles avaient été réellement foulées par quelqu’un ». [9]
L’éclair et la luminosité du jour
Si l’audition du murmure et la vision du chêne-vert étaient réservées aux témoins les plus proches des voyants, d’autres phénomènes purent être observés par un très grand nombre de témoins :
- il y eut un éclair et un grand coup de tonnerre au début et à la fin de chaque apparition ; le coup de tonnerre du début en effraya certains au point de crier qu’ils allaient mourir ;
- la luminosité du jour baissa comme au cours d’une éclipse ;
- elle se modifia au point que l’atmosphère devenait jaune d’or ;
- la température qui était très chaude diminua sensiblement.
Et ces phénomènes se produisirent à chacune des six apparitions.
L’éclair et le tonnerre furent vus et entendus par les 18 à 20 000 personnes présentes à la Cova da Iria le 13 août, alors que les petits voyants étaient en prison à Vila Nova de Ourem. Comment toutes ces personnes peuvent-elles avoir eu la même perception intérieure de ce bruit au même moment ? Le fait qu’il s’agisse d’une perception sonore rend totalement impossible la possibilité d’une hallucination collective, ce d’autant plus qu’au moins 13 000 d’entre elles venaient pour la première fois puisqu’il n’y avait que 5 000 personnes le 13 juillet.
Autre phénomène qui fut observé par le plus grand nombre :
En regardant alors autour de nous, nous observâmes une chose étrange, que nous avions déjà vue, la fois précédente, et que nous devions voir encore dans la suite. Les visages des gens avaient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel : rose, rouge, bleu... Les arbres ne paraissaient pas avoir des rameaux et des feuilles, mais seulement des fleurs ; tous paraissaient chargés de fleurs, et chaque feuille paraissait une fleur. Le sol était comme recouvert de carreaux de couleurs différentes. Les vêtements aussi étaient de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Les deux lanternes attachées à l’arceau paraissaient être en or. [10]
Enfin, des personnes ne se trouvant pas sur le lieu des apparitions purent observer des phénomènes semblables. Le plus étonnant est sans aucun doute celui qui se produisit le 19 août. Ce jour-là, vers quatre heures de l’après-midi, alors que les petits voyants étaient aux Valinhos, Teresa, la sœur de Lucie, revenait avec son mari à son domicile. Elle n’avait aucune raison de penser qu’il y aurait une apparition puisque on était six jours après le 13 août et dans le milieu de l’après-midi. Or voici ce qu’elle raconta :
Nous allions entrer à Fatima, quand nous avons commencé à remarquer que l’air se rafraîchissait ; le soleil prenait une couleur jaune, et mettait partout des couleurs variées, comme cela était arrivé le 13 à la Cova da Iria. Oh ! Qu’est ceci ? dis-je à mon mari... Il y a là quelque mystère ! C’est même sur sa chemise blanche que je commençai à voir les couleurs dont j’ai parlé. Est-ce que nous sommes tous illusionnés ? lui dis-je. — Quoi donc ? me demanda-t-il. — Eh bien, tu ne vois pas que tout est comme le 13 ? Quand nous sommes arrivés à l’église, tout était fini. Plus tard, nous avons appris, qu’à cette même heure, Notre-Dame était apparue de nouveau aux petits, aux "Valinhos".
La nuée blanche et les flocons
Le coup de tonnerre ne fut pas le seul phénomène perceptible par les témoins éloignés. L’un d’eux raconte : « Au coup de tonnerre, succéda un éclair, et aussitôt nous commençâmes tous à remarquer un petit nuage, très joli, de couleur blanche, très léger, qui plana quelques instants au-dessus du chêne-vert, puis s’éleva ensuite vers le ciel, et disparut dans les airs ». [11]
De son côté, M. Marto résuma ce qu’il vit le 13 juillet de la façon suivante :
Pour moi, j’avais beau regarder, je ne voyais rien. Cependant, en faisant plus attention, je vis comme un petit nuage cendré qui planait sur le chêne-vert. Le soleil s’obscurcit, et un souffle frais, agréable, se fit sentir. Il ne paraissait plus que nous étions au fort de l’été. Les gens étaient muets tellement ils étaient impressionnés. [12]
Enthousiasmés par les phénomènes du 13 août, les assistants furent encore plus nombreux le 13 septembre suivant : il y eût 25 à 30 000 personnes. Ce jour-là, les signes furent encore plus extraordinaires. Un globe lumineux se déplaça majestueusement dans l’espace, dans un ciel parfaitement bleu et sans aucun nuage. Une nuée semblable à un encensement se forma et disparut trois fois de suite au-dessus du chêne-vert. Voici comment le chanoine Barthas décrivit le phénomène :
Une nuée, agréable à voir, se forma autour de l’arc rustique qui dominait le petit tronc d’arbre déchiqueté. Se levant du sol, elle grossit et s’éleva dans l’air jusqu’à atteindre une hauteur de cinq ou six mètres puis elle s’évanouit comme une fumée qui se dissipe au vent. Quelques instants après, des volutes analogues se formèrent et se dissipèrent de la même manière. Et encore une troisième fois. Tout se passa comme si des thuriféraires invisibles encensaient liturgiquement la Vision. Les trois “encensements” durèrent ensemble tout le temps de l’apparition, c’est-à-dire de dix à quinze minutes. [13]
Monseigneur Jean Quaresma qui sera plus tard vicaire général du diocèse de Leiria et membre de la commission canonique qui enquêtera sur les apparitions, écrivit à Monseigneur Manuel do Carmo Gois qui avait assisté avec lui à l’apparition :
Au bout de quelques minutes, exactement le temps que duraient habituellement les apparitions, la petite recommença à s’écrier, en montrant le ciel : « Maintenant, il remonte de nouveau ! » Et elle continue à suivre des yeux le globe lumineux, jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la direction du soleil.
« Que penses-tu de ce globe ? » vous demandai-je alors. Vous paraissiez enthousiasmé de ce que nous avions vu. Vous me répondez alors, sans hésiter : « C’était Notre-Dame qui venait ! » Telle était bien aussi ma conviction. Les petits bergers avaient vu la Mère de Dieu elle-même. À nous, il avait été donné de voir comme le véhicule qui l’avait transportée du Ciel jusqu’à la lande inhospitalière de la Serra de Aire.
Nous devons dire que la plupart des gens qui étaient là avaient observé la même chose que nous. De toutes parts, en effet, on entendait des cris de joie et des louanges à Notre-Dame. Certains, cependant, n’avaient rien vu. Près de nous, une pieuse et simple femme pleurait amèrement parce qu’elle n’avait rien vu.
Nous nous sentions vraiment heureux. Avec quel enthousiasme vous alliez de groupe en groupe, de la Cova da Iria jusqu’à la route, vous informant de ce qu’on avait vu ! Les personnes interrogées appartenaient à toutes les classes sociales. Toutes affirmaient avec ensemble la réalité du phénomène que nous avions nous-mêmes observé. [14]
Ce jour-là, il y eut aussi une pluie mystérieuse de flocons s’évanouissant en arrivant au sol, phénomène qui se reproduisit les 13 mai 1918 et 13 mai 1924. Il existe sur ce phénomène inouï de nombreux témoignages, comme celui-ci :
On voit très haut, de toutes petites formes blanches comme la neige, traverser l’air dans la direction de l’Est vers l’Ouest. On dirait des colombes, mais on voit clairement que ce ne sont pas des oiseaux. Sur la colline, à l’Ouest, se tenait le R. Père Joaquim Ferreira Gonçalvès das Neyes, curé de Santa Catarina da Serra... Je me tourne vers lui et lui demande s’il voit quelque chose. Il me répond que non. Je lui indique la direction, et tout de suite il me déclare qu’il voyait aussi. [15]
Or le curé de Santa Catarina était un témoin peu suspect de complaisance envers les apparitions, car il avait mis ses paroissiens en garde contre elles. Il avait été jusqu’à déclarer en chaire : « Le démon se camoufle en ange de lumière ». [16]
Sur les 25 à 30 000 témoins, un tiers environ déclara n’avoir rien vu. Notamment, beaucoup de ceux qui désiraient voir déclarèrent n’avoir rien vu alors que d’autres, simples curieux ou incroyants convaincus, reconnurent avoir vu les phénomènes. [17] Cette disparité élimine catégoriquement toute explication purement naturelle, tout comme le nombre de témoins à avoir vu élimine l’hypothèse d’une hallucination collective. Dans sa lettre d’approbation du culte de Notre-Dame de Fatima, Monseigneur l’évêque de Leiria déclara ce phénomène “humainement inexplicable”.
Le miracle du soleil
Le miracle du soleil est le phénomène le plus étonnant des apparitions. Il est suffisamment connu pour qu’il ne soit pas utile de le relater ici. C’est aussi un des faits historiques les plus solidement établis, beaucoup plus que bien d’autres faits historiques que personne ne songerait à mettre en doute.
D’abord, il fut prédit avec précision en lieu, jour et heure. Comment de jeunes enfants incultes auraient-ils pu faire une telle prévision si elle ne leur avait pas été communiquée par un personnage céleste ?
Ensuite, le ciel fut couvert toute la matinée : personne ne pouvait donc se douter que le phénomène proviendrait du soleil puisqu’on ne le vit pas de la matinée. Au contraire, beaucoup s’attendaient à un miracle d’un tout autre genre et pensaient que la guerre finirait ce jour-là d’une manière extraordinaire. Il est donc exclu qu’il puisse s’agir d’une hallucination collective.
À l’heure dite, le ciel se dégagea tout d’un coup, et les habits mouillés par la pluie tombant depuis le début de la matinée se retrouvèrent secs après le bref quart d’heure que dura la danse du soleil. Là encore, il est impossible d’attribuer ce dernier phénomène à une imagination collective.
La danse du soleil fut vue non seulement par ceux qui étaient à la Cova da Iria, mais également à plusieurs kilomètres à la ronde. Ainsi, le poète Alfonso Lopes Vieira qui se trouvait dans sa maison de campagne située au bord de l’océan à Sao Pedro, à quarante kilomètres de Fatima, put observer le phénomène qui le surprit fort. Il raconta : « En ce jour du 13 octobre alors que je n’avais pas gardé le souvenir des prédictions des petits bergers, je fus émerveillé par un spectacle éblouissant dans le ciel, pour moi entièrement nouveau, auquel j’ai assisté de ce balcon ». [18]
Les habitants du petit village d’Albiturel, situé à une dizaine de kilomètres de là, le virent également.
J’avais alors neuf ans à peine, raconte l’abbé Inacio Lourenço Pereira. Je fréquentais l’école primaire de mon pays natal, petit village perché sur une colline solitaire, juste en face de la montagne de Fatima, à dix ou onze kilomètres de distance. Il était midi environ, lorsque subitement, nous fûmes alarmés par les cris et les clameurs des hommes et des femmes qui passaient sur la voie publique devant l’école. (…) Dehors, sur la place, les gens rassemblés pleuraient et criaient, montrant le soleil, sans même entendre les questions que leur posait notre institutrice toute angoissée...
(…) Je regardais fixement l’astre ; il me paraissait pâle et privé de son éblouissante clarté ; il semblait un globe de neige tournant sur lui-même. Puis, tout à coup, il parut descendre en zigzag menaçant de tomber sur la terre.
Affolé, absolument affolé, je courus me mettre au milieu des gens. Tous pleuraient, attendant d’un moment à l’autre la fin du monde. (…)
Pendant les longues minutes du phénomène solaire, les objets placés près de nous reflétaient toutes les couleurs de l’arc-en-ciel… Nos visages étaient tantôt rouges, tantôt bleus, tantôt jaunes, etc. Ces phénomènes étranges augmentaient notre terreur.
Au bout de dix minutes, le soleil reprenait sa place de la même manière qu’il était descendu, toujours pâle et sans éclat. [19]
Le plus étonnant est que les adversaires acharnés des apparitions, à l’époque tout-puissants au Portugal, n’ont jamais produit un seul témoignage de quelqu’un affirmant n’avoir rien vu ce jour-là ! Ils ont tenté de prouver qu’il s’agissait d’un phénomène naturel, mais n’ont jamais prétendu qu’il ne s’agissait que d’une hallucination. Mais, même si le phénomène était purement naturel, comment les trois petits pastoureaux ont-ils pu le prévoir trois mois à l’avance ?
Une vision nécessairement sensible
Comment croire raisonnablement que tous ces phénomènes, notamment le grand miracle solaire, furent des visions imaginatives, surtout lorsqu’ils furent observés par plusieurs milliers de personnes dont certaines n’étaient pas sur le lieu des apparitions ? Le commentaire évite soigneusement d’aborder le sujet. Il est d’ailleurs étonnant que le dossier du Vatican ne fasse jamais la plus petite allusion au miracle solaire, un des plus solidement établis de toute l’histoire des hommes. Et depuis plusieurs années, pas une fois le Vatican n’a abordé le sujet. Pourquoi ?
Pourtant, un tel phénomène n’est pas contre la foi. L’Évangile lui-même prédit de tels phénomènes. « Et il y aura dans le ciel d’effrayantes apparitions et des signes extraordinaires… Et il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. … Les puissances des cieux seront ébranlées ». (Luc XXI, 25) Il y aura des signes dans le soleil ! On peut difficilement être plus clair !
Aussi, la présence de la Sainte Vierge lors des apparitions de Fatima est une certitude absolue. L’importance des phénomènes extérieurs, notamment les trois encensements du 13 septembre 1917, semblent même prouver qu’elle est venue avec son corps glorieux. Car il y aurait une certaine malice de la part du Ciel s’il n’en était pas ainsi. Les anges qui voient constamment notre mère du Ciel, auraient-ils encensé une simple forme sensible ?
La présence de Notre-Dame avec son corps glorieux n’a rien qui aille contre la foi. L’existence du corps glorieux est de foi : elle est attestée dans l’Évangile lui-même lors des apparitions du Christ à ses apôtres, après sa Résurrection. C’est ainsi que nous connaissons certaines de ses caractéristiques : non soumis à la pesanteur, franchissant les murs, mais pouvant manger comme tout le monde, etc. L’angéologie nous montre d’autres exemples de corps glorieux agissant dans la vie des hommes. Et après leur mort, de nombreux saints ou damnés [20] sont apparus et ont laissé des traces physiques de leur passage.
Malgré cela, le commentaire affirme clairement qu’au cours des apparitions de Fatima, il n’y eut aucun phénomène extérieur, ni aucun objet appartenant à notre monde sensible habituel. Pour lui, les petits voyants n’eurent qu’une vision intérieure. De deux choses l’une : ou l’auteur du commentaire connaît mal les apparitions de Fatima, ce qui dans sa position est complètement invraisemblable ; ou hélas, il adhère à l’interprétation du père Dhanis et considère que ces phénomènes sont inventés par les voyants et les témoins. Dans ce cas, les paroles rapportées par les petits voyants le sont aussi. En effet, puisqu’il n’y a eu qu’une vision intérieure, il n’y a donc pas eu de paroles prononcées par la Sainte Vierge en personne : les petits voyants n’ont fait que traduire en images et en paroles ce qu’ils ont perçu intérieurement, lesquelles sont limitées par leurs propres possibilités : ce ne peut donc être que des projections de leur monde intérieur d’enfants.
Sans le dire explicitement, la réponse apportée par le commentaire à la question posée en introduction est qu’il n’y a pas eu réellement de communication de la Sainte Vierge, mais seulement une vision imaginative que les petits voyants ont traduite en disant que la Sainte Vierge leur avait parlé.
Toutefois, cette position n’est pas partagée par tout le monde. D’éminents prélats ont exprimé un point de vue contraire. Ainsi, deux mois après la parution du dossier, Monseigneur Hnilica fit savoir au cardinal Ratzinger qu’il ne partageait pas l’opinion du commentaire :
Il me semble, pour y avoir réfléchi tout l’été, qu’il n’y a pas de preuve de l’appartenance de toutes les apparitions et visions de la Sainte Vierge à ce que Votre Éminence appelle "la voie moyenne" ou "perception intérieure". Et s’il n’y a pas de preuve, il est évident que l’on ne peut pas dire : « Il est clair que ». Votre Éminence sait, mieux que moi, comment le dogme de l’Assomption de Marie n’a jamais été aimé de certains théologiens libéraux et rationalistes qui cherchent toujours le moyen de l’édulcorer. Aussi, je me demande si nous devons refuser, sans preuve et a priori, la possibilité de la présence corporelle de la très Sainte Vierge, dans ses apparitions. Pourquoi la Vierge Marie, qui est montée au Ciel avec son corps, ne pourrait-elle pas apparaître avec son corps ? [21]
Pour tous ceux qui refusent de mettre en doute la réalité des phénomènes extérieurs et l’honnêteté des petits voyants, la position exprimée par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi est inacceptable. Il ne nous appartient pas de déterminer avec certitude si la Sainte Vierge est venue ou non avec son corps glorieux. Mais les manifestations extérieurs à la Cova da Iria ont été si nombreuses et variées que c’est fortement probable, même si l’abbé Tanquerey enseigne qu’à Lourdes la Sainte-Vierge n’est pas apparue avec son corps glorieux : ce qui peut être vrai pour Lourdes ne l’est pas nécessairement pour Fatima. Nous continuerons donc à croire que la Sainte Vierge est réellement venue six fois à la Cova da Iria avec son corps glorieux, s’est montrée aux enfants, leur a parlé, et a manifesté sa présence à toutes les personnes présentes par des signes physiques qui ne trompent pas.
[1] Adolphe Tanquerey (1854 - 1932), prêtre de la communauté de Saint-Sulpice, docteur en théologie. Son livre Précis de théologie ascétique et mystique fait référence en la matière. Jean-Paul II avoua à André Frossard que, jeune homme, avant d’entrer au séminaire, ce livre fut sa formation et qu’il le savait par cœur. Il est consultable sur le site Calaméo.com.
[2] Précis de théologie ascétique et mystique de Tanquerey, 2ème partie, livre 3, chap. 3, n° 1491 ; p. 934 dans l’édition Desclées et Cie de 1928.
[3] Castelbranco, p. 75.
[4] Novos documentos, p. 35. De Marchi, p. 174. TVF1, p. 198. TVF5, p. 57.
[5] De Marchi, p. 209. TVF1, p. 198.
[6] De Marchi, p. 101.
[7] Barthas, p. 122 et 123.
[8] De Marchi, p. 113. TVF1, p. 225.
[9] De Marchi, p. 104.
[10] Témoignage de Maria Careira, De Marchi, p. 136. TVF1, p. 251.
[11] Récit de Maria Carreira : TVF3, p. 537.
[12] Barthas p. 123. De Marchi, p. 113. TVF1, p. 225.
[13] Barthas p.127 & 128. TVF5, p. 96 citant Barthas, Fatima, merveille inouïe, p. 203-204.
[14] De Marchi, p. 165-166. Barthas p. 126-127. TVF1, p. 275.
[15] TVF1, p. 274, citant Dom Jean-Nesmy, p. 115.
[16] TVF1, p. 274, note 3, citant Fatima, 1917-1968 du chanoine Barthas, p. 225.
[17] TVF1, p. 284 & 285.
[18] De Marchi, p. 204.
[19] Barthas, p. 136. TVF5, p. 112.
[20] Pour le cas des damnés, voir notamment le petit livre L’Enfer de Monseigneur de Ségur.
[21] TVF4, p. 514, citant la Revue de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, n° 23, mai 2001.