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Méditation sur le 5e mystère joyeux

 Tirée de L'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb


Le recouvrement de Jésus au temple


À Nazareth, l’Enfant grandit et se fortifia. Il était rempli de sagesse, et sur lui reposait la grâce, la bienveillante tendresse de Dieu. L’épisode qui suit en témoignera. Nous n’avons, dans les évangiles canoniques, d’autre fait concernant l’enfance et l’adolescence du Sauveur que celui du pèlerinage à Jérusalem. On remarquera, ici encore, la fidélité parfaite avec laquelle la Sainte Famille obéit à toutes les prescriptions de la Loi. Il y avait obligation pour tout Juif palestinien de se rendre à Jérusalem aux fêtes de Pâques, de la Pentecôte et des Tabernacles. Il est probable qu’au temps de Notre-Seigneur le seul pèlerinage pascal était de précepte. Les femmes elles-mêmes l’accomplissaient souvent, par dévotion ; selon l’enseignement d’Hillel, elles y étaient tenues. Quant aux enfants, ils n’étaient obligés d’accompagner leurs parents qu’à partir de l’adolescence. Les parents de Jésus « montaient » chaque année à Jérusalem pour la solennité pascale. Peut-être l’Enfant les accompagnait-il depuis quelque temps déjà ; mais saint Luc n’a retenu que ce qui a trait au premier pèlerinage obligatoire du Seigneur, celui qu’il accomplit à sa douzième année, à l’âge où le juif devenait « fils de la Loi ». Secundum consuetudinem diei festi, « selon la coutume de cette fête » : peut-être cette formule, surtout si nous la rapprochons de celle qui suit : consummatisque diebus, fait-elle allusion à l’usage de célébrer la fête de Pâques par les sept jours des azymes. Quelques pèlerins cependant ne demeuraient que deux jours et repartaient aussitôt après la manducation de l’agneau.

La fête terminée, tandis que Joseph et Marie reprenaient le chemin de Nazareth, l’enfant Jésus demeura à Jérusalem ; et ses parents ne s’en aperçurent pas tout d’abord. Le Seigneur était de si bon naturel qu’on avait accoutumé de lui laisser pleine liberté. De plus, douze ans, en Judée, cela peut correspondre à dix-sept ou dix-huit ans dans nos pays. L’Enfant n’était pas avec ses parents ; mais nulle inquiétude n’effleura leur âme ; il se trouvait, pensaient-ils, dans un autre groupe de la caravane, avec les jeunes Nazaréens de son âge, chantant les « cantiques des degrés », les psaumes gracieux du pèlerinage. Toute la journée se passa ainsi. Mais le soir, Joseph et Marie, ne le voyant pas revenir à eux, le cherchèrent parmi leurs proches et connaissances, partout où il y avait chance de le rencontrer. Il ne se trouvait nulle part. Leur inquiétude allait croissant : était-il vraisemblable qu’il se fût dérobé de lui-même à la société de ses parents ? L’évangile n’a rien voulu dire de leur douleur : je crois que nous devons l’imiter et ne pas toucher à ce silence.

Un jour avait été perdu depuis Jérusalem jusqu’à la halte ; le lendemain fut employé à rebrousser chemin ; et c’est le troisième jour seulement qu’on retrouva l’Enfant au temple. Il se tenait, non pas dans le sanctuaire, mais sur une terrasse ou sous quelqu’un des portiques qui entouraient le temple, là où les rabbins donnaient leur enseignement à tout venant. H était assis par terre, auprès d’eux, comme saint Paul aux pieds de Gamaliel, dans l’attitude d’un disciple, les sièges étant réservés aux docteurs. Jésus écoutait et interrogeait les maîtres : car l’enseignement juif se faisait par demandes et réponses. Un cercle de graves personnages s’était formé autour de l’Enfant, Et ceux qui l’entendaient étaient frappés d’étonnement et comme hors d’eux-mêmes devant son intelligence et la profondeur de ses réponses. Cependant Joseph et Marie étaient tout entiers à leur souffrance. À la vue de l’apparente insouciance de l’Enfant, qui semblait avoir tout oublié, ils s'étonnèrent ; et, lorsque l’opportunité se présenta, c'est-à-dire lorsque la conférence eut pris fin et qu’on se retrouva dans l’intimité, la Sainte Vierge demanda à son Fils : « Mon enfant, pourquoi avez-vous agi de la sorte avec nous ? » Ce n’était ni un reproche, ni une réprimande, mais seulement l’expression d'une inquiétude, comme si Notre-Dame eût demandé maternellement : « Est-ce que quelque chose en nous vous aurait déplu ? Voici que votre père et moi, pleins d'une grande douleur, nous vous cherchions. »

La réponse de l’Enfant est' assurée, simple et affectueuse. « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il faut que je m’occupe des choses de mon Père ? » Nesciebatis ? Le Seigneur s’étonne doucement qu’ils l’aient cherché, surtout avec cette anxiété, alors que ce qu’ils savaient de lui aurait dû les rassurer. Le Messie ne peut pas être perdu ; il ne peut qu’être occupé aux intérêts de son Père. « Je ne me suis tenu loin de vous pour aucun motif pénible, et qui légitime votre inquiétude. Il y avait de la vérité à faire pénétrer, par des réponses et des questions habiles, dans l’âme de certains docteurs juifs : c’étaient là les intérêts de mon Père céleste. Je devais m’affirmer à cette première heure où, devenant fils de la Loi, je prends extérieurement sur moi la responsabilité de mes actes. » — Certains commentateurs ont traduit autrement : « Pourquoi me chercher çà et là, alors qu'il n’y a qu’un seul lieu où il fallait venir tout droit s le temple, la demeure de mon Père ? » Mais qui nous assure que Notre-Dame n’a point cherché au temple tout aussitôt ? De plus, avec cette interprétation, le Seigneur ne répond nullement à la vraie question de sa Mère : « Pourquoi nous avoir laissé chercher avec tristesse ? » demande la Sainte Vierge. « Voilà où vous deviez me chercher » répondrait le Seigneur. Ce serait jouer aux propos discordants. — Remarquons enfin avec soin qu’à l’âge de douze ans, à l’âge où le jeune Israélite commence à vivre pour son compte et à prendre possession de soi, Jésus sait qu’il est le Fils de Dieu ; il le déclare spontanément, et le fait comprendre par tout cet épisode. Nous ne voyons nulle trace, dans l’évangile, au sujet de sa Filiation divine ou de son rôle messianique, d’une conscience graduelle, progressive, retardée jusqu’au baptême ou plus tard encore. Cette conscience s’affirme, chez le Christ enfant, dès la toute première heure.

« Pour eux, ils ne comprirent point ce qu’il venait de leur dire. » Cependant, la Sainte Vierge et saint Joseph connaissaient le secret de la Filiation divine ; la réponse du Seigneur nous paraît fort claire ; et l’on se demande sur quoi peut porter leur ignorance, quel est le point précis qu’ils n’ont pas compris. Ceci ne peut s’entendre que d’une pleine connaissance de toutes les exigences qu’entraînait pour le Fils de Dieu sa mission de Messie, et son appartenance au Père. En entrant dans le monde, il avait pris sur soi le trésor de souffrances qui était le lot prédestiné, l’apanage du Christ. Cette destinée, l’acte de la circoncision l’avait inaugurée pour l’enfance ; Pacte des douze ans l’inaugura pour l’adolescence : il impliquait déjà un absolu dévouement à toute volonté du Père céleste. Saint Joseph ne devait connaître de ce mystère terrible que ce qu’en disaient les prophéties, toujours voilées avant l’événement, sauf intervention d’une lumière spéciale accordée par Dieu : or saint Joseph, ne devant pas voir le Calvaire, n’avait point à être averti clairement d’un drame dont il ne serait pas témoin. La Sainte Vierge était beaucoup mieux renseignée. Il semble, pourtant, qu’elle ne connaissait pas tout ce que serait la réalité future, ni jusqu’où iraient les volontés de Dieu. Mieux vaut pour elle ignorer encore. Qu’elle jouisse en paix de son enfant retrouvé. Dans vingt ans, sa pensée aura changé : elle portera elle-même à entrer dans sa mission celui que sa tendresse maternelle semble maintenant retenir ; elle demandera son premier miracle et l’inauguration de son office de Rédempteur à celui qui s’attardera alors auprès d’elle. Puis, les trois jours d’abandon dont elle se plaint aujourd’hui, se convertiront en trois autres jours d’une solitude nouvelle ; et le Vendredi saint, au soir, la Sainte Vierge n’ignorera plus rien des exigences effrayantes auxquelles se peut porter la justice de l’Éternel.

Et après cet enseignement si grave et cette lumière jetée sur sa condition et sur sa vie, l’enfant Jésus sortit de Jérusalem, il descendit avec ses parents et vint à Nazareth. Sa dignité, dont il avait pleine conscience, qu’il avait si nettement proclamée, ne l’empêcha point de vivre soumis à l’un et à l’autre : Et erat subditus illis. « Et sa Mère, répète l’évangéliste, gardait avec soin tous ces souvenirs dans son cœur. »

Le dernier verset reproduit presque textuellement ce qui a été dit plus haut de saint Jean-Baptiste (I, 80), puis du Sauveur lui-même (II, 40). Il s’agit des accroissements de Jésus. Il grandissait en sagesse : non pas, expliquent les théologiens, dans sa sagesse divine, ni dans sa science béatifique, ni dans sa science infuse. Mais il y avait progrès réels dans sa science expérimentale, dans sa sagesse humaine et acquise : car l’humanité du Seigneur est sœur de la nôtre, et, sauf les réserves que nous venons d’indiquer, elle s’est soumise aux mêmes lois. En même temps que de la sagesse, il y avait développement régulier de la taille, de la stature physique (ce que la Vulgate a entendu de l’âge). Saint Luc ajoute qu’il croissait en grâce : c’est-à-dire que les indices de la complaisance divine étaient de jour en jour plus manifestes chez le Fils de Marie ; quelques-uns l’on entendu de la beauté. Il grandissait ainsi « au regard de Dieu et des hommes » ; la même remarque avait été faite au sujet de Samuel (I Rois, II, 26). Le Seigneur travaillait avec saint Joseph. Sa vie s’écoulait, douce et calme. Et les hommes n’avaient point encore appris à le haïr.

 

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Méditation sur le 4e mystère joyeux

 Tirée de L'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb


La présentation de Jésus au temple

« Lorsque vint le huitième jour, auquel l’Enfant devait être circoncis, on lui donna le nom de Jésus, celui-là même qui lui avait été donné par l’ange, avant sa conception dans le sein de sa Mère. » Le sang rédempteur coule pour la première fois. Annonciation, Visitation, Nativité, Circoncision, Purification, Présentation : c’est toujours, chez le Seigneur et les siens, la même disposition tranquille d’humilité et d’obéissance. On obéit aux vouloirs de Dieu, on obéit à sa Loi. Et Celle dont nous tenons tous ces détails, nous les livre avec sa candeur accoutumée et comme chose toute naturelle. Le Seigneur et sa Mère se soumettent à des rites et à des purifications qui n’étaient ni pour l’un ni pour l’autre. Mais ils ont voulu l’effacement de toute singularité. Aussi bien, il leur eût été difficile de se soustraire aux pratiques communes sans provoquer l’étonnement ; le secret de la naissance virginale devait être gardé dans le cercle restreint de la Sainte Famille et de quelques âmes privilégiées. La circoncision devenait, pour le Seigneur, la marque sensible de son appartenance à la famille d’Abraham et au peuple d’Israël.

Quarante jours après la Nativité, Joseph et Marie montèrent à Jérusalem, avec le petit Enfant. Ils accomplissaient ainsi une double loi mosaïque. Le Lévitique (XII) prescrivait aux femmes qui avaient donné le jour à un enfant mâle de venir au sanctuaire, quarante jours après, pour une cérémonie de purification. Elles offraient, par les mains du prêtre, un agneau d’un an en holocauste, une colombe ou une tourterelle comme sacrifice « pour le péché ». Les pauvres pouvaient se contenter d’offrir deux colombes ou deux tourterelles ; et saint Luc note que les parents du Seigneur profitèrent de cette atténuation indulgente : ils étaient donc peu fortunés.

L’agneau, pourtant, ne manquait pas : cette fois, c’était le véritable Agneau que sa Mère présentait au temple du Seigneur. Jésus était un premier-né. Or, selon la Loi, ‒ et en souvenir de la nuit où l’ange exterminateur avait frappé tous les premiers-nés de l’Égypte et épargné, grâce à la croix de sang tracée sur leurs portes, les premiers-nés des Hébreux, ‒ tout premier-né mâle appartenait à Dieu : il devait lui être offert ou racheté (Ex., XIII, 11-16). Un peu plus tard, la tribu de Lévi fut prise par le Seigneur en échange de tous les premiers-nés : c’était seulement l’excédent du nombre des premiers-nés sur celui des lévites qui devait être racheté (Nomb., III, 11-13, 40-51). Dans la suite, d’autres dispositions législatives pourvurent au rachat de tout premier-né n’appartenant point à la tribu de Lévi et exempt des infirmités qui rendaient inapte au service divin. L’enfant était d’abord offert à Dieu, puis racheté aussitôt, moyennant le versement de cinq sicles au trésor des lévites. Saint Luc n’a point mentionné ce dernier détail. Il distingue néanmoins les deux observances légales, la purification de la mère, et la présentation de l’enfant : ut sisterent eum Domino..., et ut durent hostiam. Au verset 22, le texte grec le plus autorisé parle du jour de « leur purification ». Pourquoi ce pluriel ? Désigne-t-il la coutume des Juifs, ou bien l’enfant avec la mère ? Plutôt, peut-être, à cause de la structure de la phrase, les parents du Seigneur, saint Joseph et la Sainte Vierge, traités comme une seule personne morale, l’un venant offrir le premier-né, l’autre se faire purifier.

« Et il y avait à Jérusalem un homme nommé Siméon... » L’évangile nous montrera successivement le personnage (25-26), ce qu’il fait (27-28), ce qu’il dit à Dieu (29-32), ce qu’il dit à Notre-Dame (33-35). C’était un homme juste, comme saint Joseph ; et craignant Dieu, avec une nuance un peu timorée et circonspecte, assez familière aux vieillards d’une grande piété. L’âge, le tempérament, la grâce s’unissent en eux pour leur inspirer une réserve extrême et une sorte de gracieuse timidité. Il attendait « la consolation d’Israël » ; expression bien juive, équivalente à celle que nous trouverons un peu plus loin : « la rédemption d’Israël » ; c’est le salut messianique. Isaïe avait décrit le Messie comme le consolateur de son peuple (XL, 1 ; LXI, 1-3). ‒ Et l’Esprit-Saint reposait sur Siméon. Il y avait effacement du moi, plénitude d’appartenance à Dieu. Le texte sacré va insister sur ce fait. La sainteté du vieillard méritait une récompense : il avait été divinement averti, il avait reçu de l’Esprit qui habitait en lui, l’assurance qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir contemplé de ses yeux le Christ du Seigneur. Il vint au temple, sous la douce impulsion de l’Esprit de Dieu. Notons la souplesse habituelle aux inspirations divines. Sans doute, rien n’obligeait Siméon à venir au temple : on ne dit pas qu’il fût prêtre ; et puis, il était vieux, fatigué par l’âge : peut-être avait-il de bonnes raisons pour demeurer chez lui. S’il l’eût fait, il aurait passé à côté de la sainteté et du bonheur ; il eût manqué sa vocation.

Il vint, non pas dans le Saint, ni même dans le parvis des prêtres ou dans celui d’Israël, mais probablement dans la vaste cour qui précédait ce dernier et qu’on appelait le parvis des femmes, parce que les femmes ne pouvaient s’avancer plus avant ; il communiquait avec le parvis d’Israël par la porte Nicanor. C’est devant cette porte qu’un prêtre présidait aux rites de la purification des mères. À l’heure même, dit simplement l’Évangile, où les parents de Jésus apportaient l’Enfant, pour accomplir à son sujet ce qui était la coutume et la loi, Siméon les rencontra. L’Esprit de Dieu lui dit : C’est le Messie. D’un coup d’œil, il reconnut la pureté de Notre-Dame, la justice, l’humilité, la gravité de saint Joseph : il comprit tout. Il demanda au Seigneur d’être défendu contre son bonheur et d’avoir quelques instants de vie encore ; il eut peur de voir son cœur se briser trop tôt. Dieu, qui dépasse toujours nos rêves, se plaît parfois à dépasser ses promesses elles-mêmes. Siméon avait reçu l’assurance qu’il verrait le Christ : le petit Enfant fit mieux. Il gouvernait toute la scène, toutes les âmes étaient à lui. Il inspira à sa Mère de se dessaisir un instant de lui. Des mains de Notre-Dame, la petite fleur de beauté divine passa aux mains du saint vieillard, qui put la contempler à loisir. Peut-être, dans un mouvement de tendresse et d’adoration infinies, ses lèvres touchèrent-elles les lèvres de l’enfant ; et c’est avec une âme toute renouvelée par ce baiser qu’il bénit Dieu et chanta comme les prophètes n’avaient jamais chanté.

« C’eût été trop tôt tout à l’heure, mon Maître, de me relever de ma longue veille. Maintenant, c’est l’heure. Donnez à votre serviteur congé de la vie et le laissez partir dans la paix ; la promesse du Saint-Esprit était vraie. Mes yeux n'ont plus rien à voir maintenant, puisqu’ils ont vu votre salut, ce salut que vous avez préparé à la face de tous les peuples : lumière qui fera sortir les nations de leurs ténèbres, et gloire, de votre peuple Israël. » ‒ Le cantique du saint vieillard est catholique, universel, élevé au-dessus des conceptions juives ordinaires. Il rappelle maint passage du prophète Isaïe, et prépare à la doctrine de saint Paul. Tel qu’un serviteur épiant la venue de son maître et l’ayant aperçu enfin, tel qu’un veilleur de nuit attendant la lumière et saluant enfin l’aurore, Siméon, qui représente ici l’Ancien Testament, consent joyeusement à mourir... Il proclame que cet Enfant est le Sauveur de tous, juifs et gentils ; que Dieu l’a préparé, disposé, divinement élevé en face du genre humain tout entier : « Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu. » (Rom., III, 23) Lumière de la gentilité, il sera l'honneur de son peuple. C’est à Israël, en effet, que la promesse avait été confiée, le Messie sortait de lui ; il devait le premier bénéficier du salut ; Dieu se montrait fidèle envers Israël, alors qu’il était miséricordieux pour la gentilité. Mais l’idée d’universalité prédomine.

Et le père et la mère de Jésus étaient dans l’admiration des choses qu’on venait de dire de lui. L’étonnement de Joseph et de Marie n’est pas une surprise causée par l’annonce de ce que sera le Messie ; mais ils admirent de voir ce programme connu, et si exactement, par d’autres que par eux-mêmes. Peut-être aussi l’évangéliste veut-il marquer la sainte complaisance des deux époux à contempler toutes ces merveilles, présentes et futures ; de même qu’il a dit plus haut, et répétera encore : « Marie conservait le souvenir de toutes ces choses et les repassait dans son cœur. »

Et Siméon les bénit. Il ne s’agit pas d’une bénédiction liturgique ou impliquant supériorité, mais de quelques paroles de félicitation et d’éloge, qu’il leur adresse après avoir loué et béni son Dieu. Puis il développe et complète la prédiction sur laquelle s’achevait son cantique. Le ton devient plus grave ; ce n’est plus la joie sans mélange des premiers cantiques de saint Luc. Siméon s’adresse à Marie, la Mère de Jésus, et non à Joseph. Elle devait être au Calvaire ; et, encore qu’elle fût avertie auparavant, il convenait que la prophétie lui parlât de leur rôle à tous deux. Voyez, dit Siméon, ce petit Enfant, il est marqué et prédestiné pour la chute et pour le relèvement de beaucoup en Israël. C’est une allusion évidente à la prédiction d’Isaïe : « Et il sera pour vous le salut ; mais il sera aussi une pierre d’achoppement, un rocher de scandale pour les deux maisons d’Israël, un filet et un piège pour les habitants de Jérusalem... » (VIII, 14-15). L’humanité se partagera en deux peuples : ceux qui reçoivent la lumière, ceux qui la refusent et préfèrent les ténèbres ; tandis que les gentils viendront à la foi, les juifs se briseront à la pierre qu’est le Christ : pierre de scandale ou pierre d’angle (I Pier., II, 4-10 ; Rom., IX, 32-33) ; occasion de mort ou source de vie (II Cor., II, 15-16). La suite de l’Évangile et l’histoire nous montreront l’application de ce redoutable dilemme.

Siméon poursuit : Et in signum cui contradicetur... Cet Enfant sera un signe auquel on contredira, un indicateur de salut que l’on démentira, les uns prenant parti pour, les autres contre. Autour de ce signe, élevé très haut, au regard de tous, se rallieront ceux qui auront foi et se grouperont les incrédules : « Tige de Jessé, dressée comme un étendard pour les peuples » (Is., XI, 10). C’est déjà la vision du Seigneur crucifié : « Scandale pour les juifs, folie pour les gentils ; mais pour les élus, juifs et gentils, le Christ est la force et la sagesse de Dieu » (I Cor., I, 23-24). On a traduit parfois l’expression grecque par : un modèle achevé, un idéal de contradiction. De même que la douleur entre, selon Isaïe (LIII), dans la définition du Christ ; de même, selon cette parole de Siméon, la contradiction y entrerait aussi ; et toutes les fois que l’on voudrait désigner un homme repoussé, abhorré, contredit, c’est vers le Christ que se porterait la pensée. L’idée est exacte ; pourtant, il vaut mieux nous tenir à la traduction ordinaire.

Ut revelentur ex multis cordibus cogitationes. La manifestation du Messie doit avoir, non comme intention de la part de Dieu, mais comme résultat historique, la révélation des pensées secrètes d’un grand nombre, le discernement de ceux qui accueillent et de ceux qui repoussent. Il y a, en effet, mille pensées et dispositions qui peuvent momentanément se dissimuler sous des apparences correctes, comme un précipité dans une eau tranquille. Les âmes sont orientées, mais par des affinités secrètes, par des consentements de détail, par d’obscures et pourtant volontaires tendances. Vienne une circonstance qui contrarie cette direction jusqu’alors inaperçue : aussitôt, le fond du cœur se trahit. Tous les juifs étaient dans l’attente d’un Messie ; mais l’unanimité cessa dès qu’il parut. Depuis lors, il est constant que la division se fait entre les hommes d’après leur conception du Christ ; et leur conception du Christ est conforme à leurs dispositions intérieures, à une sorte d’à priori conçu dans leur cœur.

Siméon s’était interrompu un instant pour une réflexion toute personnelle à Notre-Dame. La contradiction que doit rencontrer le Seigneur et la souffrance qu’elle suppose auront leur contrecoup dans l’âme de Marie : « Et vous-même, votre âme sera transpercée d’un glaive », du long et large glaive à deux tranchants. Au sujet du Fils comme au sujet de la Mère, l’annonce de Siméon est exprimée en termes généraux. Un écrivain postérieur, qui aurait eu le souci de glorifier la prophétie, l’aurait peut-être précisée ; la prédiction aurait emprunté à la connaissance acquise par les faits accomplis un dessin plus exact, des contours plus nets. Nous l’avons telle qu’elle a été formulée dans la scène du temple, telle qu’elle s’était gravée dans le cœur de la Sainte Vierge.

Les deux évangélistes qui ont conservé quelques détails sur l’enfance du Seigneur semblent avoir voulu montrer comment, dès la toute première heure, le Messie avait été manifesté aux bergers, aux Mages, à la Synagogue, à la portion saine du peuple juif : Zacharie, Élisabeth, Siméon et Anne ; enfin, vers l’âge de douze ans, aux docteurs. Il était vraiment « la lumière venue en ce monde pour éclairer tous les hommes ». ‒ « Et il y avait une prophétesse nommée Anne... » On l’appelle prophétesse, non que ce fût sa profession, mais parce qu’elle était, comme Siméon, remplie de l’Esprit qui dévoile les pensées divines. « Elle était fille de Phanuel, de la tribu d’Aser, et très avancée en âge. Ayant vécu sept ans avec son mari depuis leur mariage, elle était veuve maintenant et âgée de quatre-vingt-quatre ans. » À la différence de Siméon, qui vint au temple conduit par l’Esprit, Anne ne s’en éloignait jamais : soit qu’on l’entende seulement d’une très grande assiduité, soit qu’on suppose la sainte veuve installée à demeure dans la région du temple réservée aux femmes. Peut-être Notre-Dame l’avait-elle connue pendant les années qu’elle y passa elle-même ; l’abondance et la précision des détails biographiques le feraient supposer. Nuit et jour, Anne servait Dieu dans les jeûnes et de continuelles prières, réalisant à la lettre, par avance, l’idéal de la veuve chrétienne. Et voilà qu’à son tour, alors que le vieillard Siméon et les parents de Jésus s’entretenaient encore, elle survint. L’évangile a décrit d’un mot la part qu’elle prit à cette fête de lumière : elle rendait grâces, elle bénissait le Seigneur. Et à dater de ce moment, elle parlait souvent de Jésus et s’entretenait volontiers du petit Enfant avec ceux qui espéraient « la rédemption de Jérusalem », comme dit le texte grec.

« Et lorsqu’ils eurent accompli toutes choses conformément à la loi du Seigneur, ils s’en retournèrent en Galilée et dans leur cité, Nazareth. » Est-ce à dire que la Sainte Famille s’y rendit aussitôt après la Purification ? La réponse est subordonnée à la solution de ce petit problème historique : où placer l’adoration des Mages, la fuite en Égypte, le massacre des Innocents, le retour d’exil ? Autant d’événements que semble ignorer ou que veut ignorer saint Luc, et que nous trouvons seulement en saint Matthieu. Celui-ci, qui n’a rien dit du séjour à Nazareth avant la naissance du Seigneur, rien par conséquent du voyage à Bethléem, ni de la Purification, termine son récit du retour d’Égypte en observant que Joseph fut averti en songe de ne point se fixer dans la Judée, qui n’était pas sûre, mais de se rendre en Galilée, à Nazareth. Plusieurs hypothèses sont proposées relativement à la situation historique de l’épisode des Mages et des faits qui s’y rattachent. Il nous semble préférable de les reculer jusqu’après la Purification. La Sainte Famille, au retour de Jérusalem, s’installe dans « la maison » où la trouvèrent les princes orientaux. Lorsque saint Luc nous dit qu’après avoir accompli les prescriptions légales, Joseph et Marie revinrent dans leur cité, à Nazareth, il n’affirme point que cela se fit immédiatement. Il abrège, afin d’arriver au récit succinct de l’enfance du Seigneur, telle qu’elle s’épanouit dans le cadre paisible de Nazareth.

 

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Méditation sur le 3e mystère joyeux

 Tirée de L'Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb

La Nativité

Dans la première partie du chapitre [chapitre 1 de saint Matthieu], saint Matthieu a eu le souci d’établir la descendance davidique du Seigneur ; il établit maintenant sa conception virginale, accusée déjà au verset 16. Voici, dit-il, de quelle manière eut lieu la naissance, quelle fut l’origine de Jésus-Christ.

Cum esset desponsata mater ejus... Ni les termes latins ni ceux de l’original grec ne doivent nous faire penser à de simples fiançailles, comme l’affirment cependant la plupart des commentateurs contemporains. D’après eux, nous aurions ici l’application de cet usage juif selon lequel une fiancée demeurait chez ses parents toute une année ; après quoi l’époux venait la chercher pour l’introduire solennellement dans sa maison ; pendant toute cette période des fiançailles, ils étaient considérés néanmoins comme mari et femme, et l’infidélité de la fiancée méritait le châtiment de l’adultère. Mais une exégèse plus attentive écarte la supposition des pures fiançailles. Celles-ci n’auraient pas garanti suffisamment l’honneur de Notre-Dame, ni l’honneur de saint Joseph, ni l’honneur du Seigneur lui-même. Et c’est alors que tous les blasphèmes talmudiques auraient rencontré un prétexte. Il semble que le Fils de Dieu ait préféré voir les Juifs méconnaître les conditions réelles de sa naissance, plutôt que de les voir douter de sa Mère ; il a voulu naître d’une vierge, mais sous le voile sacré d’une véritable union conjugale. Saint Joseph est vraiment l’époux de Marie, au sens rigoureux du mot. Mais il connaît son vœu de virginité et il s’en est constitué le gardien.

Si l’évangéliste s’est servi du mot desponsata, c’est sans doute afin d’indiquer le caractère tout virginal de cette union s saint Luc n’emploiera-t-il pas la même expression pour indiquer une situation où la réalité du mariage ne saurait plus être contestée : cum Maria desponsata sibi uxore praegnante (II, 5) ? Antequam convenirent signifie non pas : avant que d’habiter ensemble, mais bien : en dehors de tout commerce humain ; c’est une formule discrète et chaste qui a pour fin d’écarter l’idée d’un mariage ordinaire. Il n’y a nul motif, comme saint Jérôme l’a démontré surabondamment contre Helvidius, pour conclure de cette formule que le mariage eut ensuite son caractère ordinaire ; de même, au verset 25, les mots et non cognoscebat eam donec peperit filium suum n’indiquent point qu’il y eut relation matrimoniale après l’enfantement du Seigneur. La pensée de l’évangéliste est d’énoncer le fait de la conception virginale, mais sans rien affirmer au sujet de l’avenir, qui n’a rien à voir avec le dessein actuel de l’auteur sacré. Nous trouvons souvent dans l’Écriture des locutions analogues. Il est dit, par exemple, que la fille de Saül, Michol, femme de David, eut un sentiment de mépris pour son mari, lorsqu’elle le vit danser devant l’arche du Seigneur. Dieu la châtia par la stérilité : « Á Michol, fille de Saül, il ne naquit point d’enfant jusqu’au jour de sa mort. » (II Rois, VI, 23) Est-ce -donc qu’elle aurait eu des fils après son trépas ! Au 8e chapitre de la Genèse, nous apprenons que, quarante jours après la réapparition des montagnes, Noé, pour s'assurer de l’état de la terre, lâcha un corbeau « qui sortit et ne revint point, jusqu’à ce que les eaux eussent disparu de dessus la terre » ; est-il un esprit sage qui osera conclure que le corbeau revint, le déluge terminé, se reconstituer prisonnier ?

En dehors donc de toute relation conjugale, il advint que Marie se trouva mère. C’était l’œuvre de l’Esprit-Saint, note l’évangéliste, en des termes qui ressemblent à ceux de saint Luc. Mais la Sainte Vierge garda le silence sur le mystère. Et, non plus qu’elle-même, saint Joseph, dans son humilité, ne pouvait soupçonner la glorieuse destinée que Dieu lui avait réservée. Il avait donc besoin, lui aussi, d’une annonciation. Avant de la raconter, saint Matthieu nous livre l’état d’âme de l’époux de Marie. Il était juste et observateur de la Loi. Il n’ignorait pas les conditions du mariage sacré contracté avec Notre-Dame, le vœu de virginité accompli par elle, accompli par lui. Or, tout lui semblait démenti maintenant par les apparences. La Loi mosaïque était sévère : une épouse infidèle, livrée au jugement, encourait la peine de la lapidation, celle du feu autrefois ; le mari pouvait l’abandonner : mais l’acte de répudiation mentionnait, ordinairement du moins, le motif de l’abandon ; c’était un document public, dressé devant témoins. Il y a comme une sorte de moyen terme dans la résolution que va prendre saint Joseph, moyen terme douloureux et respectueux à la fois. Ne pouvant se soustraire à la réalité, ne pouvant accepter comme sien un enfant dont il ignore l’origine ni demeurer avec sa mère, incapable pourtant de conclure à une faute, tant il sait la pureté de Notre-Dame, et bien résolu à ne point la dénoncer publiquement, il songe à la quitter, à la renvoyer, mais sans éclat, aussi secrètement qu’il le pourra. Du moins, c’est l’hypothèse qui s’offre à lui et vers laquelle il incline, comme pouvant seule donner satisfaction à toutes les exigences. Rien ne montre plus vivement que cette anxiété de Joseph l’admirable virginité des deux époux.

Tandis que Joseph portait dans son âme le douloureux problème, un ange du ciel, probablement Gabriel, se présenta à lui pendant le sommeil. La Sainte Vierge veillait, lorsque l’ange s’adressa à elle : on lui demandait un consentement ; saint Joseph pouvait dormir : on lui donnait seulement une explication. L’ange est délicat et affectueux dans ses formules : « Joseph, fils de David... » On lui rappelle, par le nom qui lui est donné, une prophétie que la race de David avait dû conserver avec soin ; on le prépare à reconnaître à l’enfant les droits davidiques. « N’hésitez pas à garder auprès de vous Marie votre épouse. Que nul scrupule légal ne vous arrête, qu'aucun soupçon ne naisse en votre esprit : il n’y a pas de tache en Marie. Ce qui est né en elle est l’œuvre de l’Esprit-Saint. » Cela suffisait à Joseph pour le passé et le présent ; le reste de l’annonciation concerne l’avenir du Fils prédestiné. Car c’est un fils que l'épouse vierge mettra au monde ; et l’époux vierge, par une disposition divine, le reconnaîtra pour sien. Le Verbe incarné n’est pas simplement, en effet, le fils adoptif de saint Joseph, ni saint Joseph simplement le père de Notre-Seigneur Jésus-Christ au titre d’un amour vraiment paternel : il est le père du Seigneur parce que le Seigneur est le vrai fils de son épouse ; parce qu’il est le fruit béni de cette virginité féconde dont lui, Joseph, est le gardien, l’appui, le témoin. Le Fils de Dieu est donc à lui, et il lui imposera un nom, comme Zacharie l’a fait pour son enfant. « Vous l’appellerez Jésus » dit l’ange. Et il donne la raison de ce nom qui signifie « Yahweh sauveur » : car il délivrera son peuple de ses péchés. Une fois de plus, le Messie est présenté comme apportant un salut spirituel.

Au verset 22, ce n’est plus l’ange qui parle, mais l’évangéliste. Tout ceci, c’est-à-dire non seulement le message céleste, mais aussi l’anxiété de saint Joseph, tout advint de manière à réaliser la prophétie du Seigneur, en Isaïe (VII, 14). Elle est rappelée ici pour qu’apparaisse, grâce à son rapport avec les faits, l’exactitude de son accomplissement ; et de plus, selon l’intention habituelle de saint Matthieu, afin de montrer aux Juifs convertis l’harmonie des deux Testaments. « Voici que la Vierge portera dans son sein et enfantera un fils, et on lui donnera le nom d’Emmanuel », — ce qui signifie « Dieu avec nous », traduit l’évangéliste. Ce n’est pas le lieu de commenter la prophétie célèbre. Rappelons seulement que l’enfantement miraculeux d’une vierge avait été donné comme signe au roi Achaz, huit siècles auparavant. On l’avait rassuré, contre tous les dangers qui menaçaient la maison de Juda, par cette divine garantie : Juda devait être la tige du Messie, le Messie ne pouvait manquer de venir ; donner à Achaz cette promesse, c’était montrer la vanité des menaces ennemies et lui assurer la durée.

Jamais nous ne songerons assez aux sentiments qu’éveillèrent dans le cœur de Joseph les paroles angéliques. Dieu lui montra quelle place lui était faite dans son éternel dessein. Nous pressentons un peu la vénération nouvelle qu’il conçut pour son épouse, Mère de Dieu, l’attitude d’adoration où il entra devant le Verbe fait chair qui venait se ranger sous sa tutelle et sous sa paternité : il devenait auprès de lui l’ombre créée du Père éternel. Mais surtout nous devinons l'abîme de silence et d’humilité où sa vie se perdit dès lors. L’Écriture n’a pas conservé une seule de ses paroles. C’était lui le chef de la Sainte Famille : il commandait, tel était son devoir ; la Sainte Vierge obéissait, le Seigneur aussi. Quelle vie ! Quelle destinée ! Une joie silencieuse, profonde, un recueillement infini ; et, après Bethléem, de longues années encore où il vit grandir chez lui, tout près de lui, le Fils de Dieu. C’est le travail obscur de ce patriarche qui a gardé au cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ le sang qu’il voulait verser pour nous, le sang qu’il voulait nous donner dans l’Eucharistie. Comme on comprend bien que ses lèvres demeurent scellées, tant son cœur frémit, tant son âme est pleine, à l’heure où, dans un regard d’admiration et de pieuse tendresse, il demande pardon à Dieu et à la Sainte Vierge de son inquiétude d'un instant. « Et Joseph, sortant du sommeil, fit comme l’ange du Seigneur lui avait ordonné, et il garda son épouse. »

« Et il ne la connut point, tout le temps qui s’écoula jusqu’à ce qu’elle mit au monde son fils premier-né ; et il lui donna le nom de Jésus. » En toute cette question, répétons-le, il est décisif de remarquer que le dessein précis de l’évangéliste est de nous parler de la conception et de la naissance virginale du Seigneur, et non d’autre chose. Or, la naissance virginale du Seigneur est un fait, et la perpétuelle virginité de sa Mère en est un autre. Saint Matthieu s’est borné à mettre le premier en lumière ; de l’autre, il n’est pas question ; l’historien ne retient ici que les événements qui intéressent son plan. Quant au premier-né, ce n’est pas forcément celui après qui il y a quelqu’un, mais celui avant qui il n’y a personne. Nul besoin pour nous de voir ici une allusion à la filiation adoptive de saint Jean ou à la filiation adoptive de tous ceux que saint Jean représentait. Saint Matthieu appelle rapidement l’attention sur cette idée de primogéniture, parce que le premier-né avait, devant la loi juive, une situation juridique spéciale et des relations particulières avec Dieu. Il était l’héritier : par conséquent, Jésus, en qualité de premier-né, pouvait prétendre à l’héritage de David ; il devait être présenté au temple de Jérusalem et racheté : la famille entière était concentrée et sanctifiée en lui.

Saint Matthieu n’a fait qu’indiquer d’un mot la naissance du Seigneur ; saint Luc nous en donne le récit. In diebus illis : à l’époque où Élisabeth mit au monde Jean-Baptiste et où l’épouse de Joseph portait encore l’Enfant-Dieu dans son sein, parut un édit de César Auguste, ordonnant le recensement de tout le monde romain. Ces recensements étaient fréquents alors, presque périodiques. La Judée n’était pas, à proprement parler, province romaine : elle avait un roi, Hérode ; mais elle était tributaire et soumise, sur plus d’un point, à la volonté de César. Le recensement avait pour but non pas l’enrôlement militaire, mais la fixation des impôts. Il s’accomplit sous la haute surveillance de Sulpicius Quirinus, alors gouverneur de Syrie. Ce fut le premier qui eut lieu sous Quirinus, note l’évangéliste, pour le distinguer d’un second, en l’an 6 ou 7, qui provoqua une révolte à laquelle les Actes font allusion (V, 37). Il se fit tout à la fois selon les coutumes romaines, en comprenant tous les hommes, et conformément aux coutumes des Juifs, par famille et par tribu ; l’enrôlement de chacun s'effectuait dans sa ville d’origine, là où étaient conservées les généalogies. La Judée était sillonnée, les villes remplies de gens qui allaient se faire inscrire. Saint Joseph se soumit à la loi ; lui aussi, il « monta » de Nazareth en Galilée, jusqu’à Bethléem de Juda, la ville d’où était sorti David. Car Joseph appartenait à la maison et à la famille de David. Les descendants du grand roi étaient alors fort ignorés : c’était presque une sécurité pour eux. Il y en avait encore à l’époque de Domitien, un siècle plus tard, selon Eusèbe ; ils étaient laboureurs et ne durent leur salut qu’à l’humilité de leur vie. Le temps de la Sainte Vierge approchait ; elle voulut accompagner son époux, malgré la fatigue de ce long voyage. Elle allait, consciente, au-devant de la prophétie, selon laquelle le Messie devait naître à Bethléem (Mt., II, 5-6).

Et lorsqu’ils arrivèrent à Bethléem, voici que les jours où Marie devait être mère furent accomplis. La ville était remplie de monde. À l’hôtellerie, au caravansérail où ils se présentèrent, on ne put les recevoir. Il n’y avait pas de place pour le Fils de Dieu et pour sa Mère. Joseph et Marie se réfugièrent dans une étable, en une grotte abandonnée. Et la Vierge mit au monde son Fils, « le premier né ». Elle l’enveloppa des langes dont sa prévoyance l’avait pourvue. Elle le coucha dans la crèche, dans la mangeoire des animaux, le seul berceau qui fût laissé à l’Enfant-Dieu. Mais il avait sa Mère, il avait la tendresse de Joseph ; en réalité, nul enfant n’a été accueilli comme celui-là.

Le Seigneur donnera plus tard à Jean-Baptiste, comme marque de sa mission, ce signe caractéristique : « Les pauvres sont évangélisés. » Mais, dès sa naissance, toutes ses préférences sont déjà pour les petits et pour les humbles. Sans doute, les premiers avertis furent les anges, puisque, selon la théologie, Dieu leur révèle les choses à mesure qu’Il les accomplit. Mais, renseignés, les anges demandèrent à l’Enfant ses ordres ; et il les envoya d’abord aux bergers, alors nombreux aux environs de Bethléem. Ils menaient la vie toute primitive, la vie nomade, celle d’Abel et des patriarches, celle qui est la moins attachée aux biens de la terre, la plus affranchie et la plus libre. Ils se relevaient, de veille en veille, et se succédaient dans la garde de leurs troupeaux, passant la nuit en plein air. Et voici qu’un ange du Seigneur, ‒ l’ange de l’incarnation peut-être, ‒ se présenta à eux, soudain, et qu’une clarté divine les enveloppa. Ils eurent grand peur, tout d'abord. Mais l’ange les rassura : « Ne craignez point. Car c’est une bonne nouvelle que je viens vous apprendre, une grande joie, pour vous et pour tout le peuple d’Israël. Voici : il vous est né, cette nuit même, un Sauveur, dans la ville de David : c’est le Christ Seigneur. » Mais la ville de David était grande et remplie de monde : il fallait donner aux bergers des indices auxquels on pût reconnaître le nouveau-né : « Vous trouverez un petit enfant, enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Les bergers de Bethléem connaissaient les réduits où se réfugiaient pêle-mêle les troupeaux, les bêtes de somme et les pauvres voyageurs qui n’avaient pas trouvé de meilleur abri. Un enfant, des langes, une crèche : un tel signalement du Messie était bien inattendu pour des âmes juives !

Cependant, l’ange qui venait de parler n’était plus seul. Avec lui, tout à coup, « une multitude de la milice céleste » fit entendre un fragment des divines symphonies. C’étaient des voix qui louaient Dieu et qui disaient : « Gloire à Dieu dans les hauteurs. Paix sur la terre aux hommes qui sont aimés de Lui ! »

C’est le cantique des anges, après celui d’Élisabeth, de Notre-Dame, de Zacharie. La gloire de Dieu étant le but des choses, c’est ce dont les anges nous parlent premièrement. Ils nous avertissent ensuite que la réconciliation est faite aujourd’hui entre le ciel et la terre, qu’il existe quelqu’un en qui Dieu et l’homme se rencontrent : Notre-Seigneur Jésus-Christ. La paix est offerte à tous les hommes, sans exception, qui consentiront à bénéficier de la faveur divine. Selon notre Vulgate, il s’agirait ici de la bonne volonté, non pas de Dieu, mais des hommes ; ce n’est pas, en effet, sans un acte de loyauté et d’adhésion que l’homme communie au mystère du Christ et expérimente ainsi la tendresse du Père.

Les bergers écoutaient encore. C’était si beau ! les voix si pures, si bien accordées ! Les anges chantaient si bien les Laudes que, volontiers, les pâtres de Bethléem eussent écouté jusqu’à l’éternité. Mais les voix s’éloignèrent, les anges retournèrent au ciel, et la colline s’enveloppa de silence. La grande lumière disparut : on revit les étoiles. Elles n’étaient plus les mêmes. Le monde tout entier était changé ; il était, selon l’expression du Martyrologe de Noël, « consacré par le très miséricordieux avènement » du Verbe Incarné ; le monde désormais semblait baigné de la clarté de Dieu. Cela n’a point cessé depuis lors : l’incarnation est une chose qui dure. L’humanité ne cessera plus d’être dans les bras et sur le cœur de Dieu. Les bergers ne voyaient pas, sans doute, toute l’étendue de la grâce et de leur grâce. Quand ils sortirent du ravissement, ils se dirent les uns aux autres : « Passons donc jusqu’à Bethléem ; allons voir ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître. » Ils vinrent en grande hâte et ils trouvèrent Marie, et Joseph, et le petit Enfant couché dans la crèche.

Au verset 17, le sens de la Vulgate est qu’après avoir vu, les bergers reconnurent la réalité de ce qui leur avait été dit sur cet Enfant. Mais il vaut mieux traduire : ils firent connaître, ils racontèrent ce qui leur avait été révélé au sujet du nouveau-né. Ils en devisèrent sans doute avec la Sainte Vierge et saint Joseph. Ils le dirent aussi aux gens de Bethléem. Et tous ceux qui les entendirent s’émerveillèrent de leur récit. Il y eut de l’étonnement, de l’enthousiasme, peut-être néanmoins dans un cercle assez restreint. Joseph et Marie ne demeurèrent pas davantage sous le hangar ou dans la grotte : on leur trouva des parents, ou bien une demeure hospitalière les accueillit. On reposa l’Enfant dans un berceau plus doux que le premier ; et lorsque vinrent les Mages, il est dit qu’ils trouvèrent la Sainte Famille dans une maison. ‒ Les habitants de Bethléem admirèrent donc sur l’heure. Mais, comme les enfants, les peuples oublient. Il y avait heureusement quelqu’un qui n’oubliait pas, qui gardait précieusement tous ces événements, tous ces détails, toutes ces paroles dans son cœur. Et elle les étudiait, les comparait, les méditait. Et de qui saint Luc peut-il bien avoir appris cela, sinon de Notre-Dame elle-même ? Quant aux bergers, ils s’en retournèrent, glorifiant et louant Dieu de tout ce qu’ils avaient vu et entendu : c’était bien ce que leur avaient annoncé les anges.

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Méditation sur le 2e mystère joyeux

 Tirée de L'Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb

La Visitation

La scène a lieu dans la maison de Zacharie et d’Élisabeth. La Sainte Vierge, avertie du bonheur de sa cousine, désire la féliciter aussitôt. Nous ne saurions préciser l’origine et le degré de la parenté qui unissait Notre Dame et Élisabeth.

Au souvenir de la Visitation, les paroles de saint Ambroise se présentent d’elles-mêmes à notre mémoire : Non quasi incredula de oraculo, nec quasi incerta de nuntio, nec quasi dufritans de exemplo, sed quasi laeta pro voto, religiosa pro officio, festina pro gaudio, in montana perrexit. Depuis l’incarnation, les œuvres et les démarches de Notre-Dame sont les œuvres et les démarches communes d’elle et de son Fils. C’est une communion douce et continue. Elle appartient toute à ce sacrement de pureté, de beauté, de tendresse, qui repose dans son sein. Elle se lève, elle va sans retard dans la région montagneuse d’Hébron ou de Juttah, pour féliciter sa cousine ; mais elle accomplit toutes choses, répétons-le, sous la pression intérieure de son Fils.

Notre-Dame était venue seule, semble-t-il. Elle entra dans la demeure de Zacharie, et salua Élisabeth. Ce n’était pas seulement une mère vierge qui venait féliciter une mère jadis stérile ; c’était le Sauveur encore voilé qui venait sanctifier son Précurseur. Élisabeth fut avertie de cette œuvre de sanctification par le tressaillement et l’exultation de son enfant. Zacharie avait pu lui faire connaître les promesses angéliques concernant le fils qu’elle avait miraculeusement conçu. Il devait être un précurseur : mais le précurseur de qui, exactement ? Avant même que la Sainte Vierge eût prononcé d’autre parole que celles de la salutation, la mission de l’enfant, le mystère dès lors réalisé du Messie, la maternité virginale de Marie, tout cela fut montré à Élisabeth. L’Esprit de Dieu, qui sanctifiait son fils par le sacrement du Seigneur et de sa Mère, éclaira son âme et sa pensée. Un transport de joie surnaturelle la saisit, lui fit poursuivre la salutation angélique et chanter un cantique ; car c’est un vrai cantique, au même titre que le Magnificat et le Benedictus ; c’est à peine s’il leur cède en beauté :

Vous êtes bénie entre les femmes et le fruit de vos entrailles est béni.
Et d’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ?
Car votre voix, lorsque vous m’avez saluée, n’a pas plus tôt frappé mes entrailles, que l’enfant a tressailli de joie dans mon sein.
Heureuse celle qui a cru ! Car elles seront accomplies les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur.

À la salutation l’ange : « pleine de grâces », se joint le salut d’Élisabeth : « bénie entre les femmes ». Une malédiction a été portée à l’origine, prononcée contre le diable et contre la terre. Mais une bénédiction universelle a été promise aux patriarches ; et la voici venue : Notre-Dame la porte en elle. Elle est bénie elle-même, parce qu’elle a été, en vue des mérites de son Fils, éminemment rachetée au jour de l’Immaculée-Conception. Bénie entre toutes les femmes, cela veut dire au-dessus de toutes, et aussi bénie parmi elles : car les femmes qui s’attristaient autrefois du châtiment attiré par Ève sur leur sexe, chantent maintenant la bénédiction apportée par Marie. Élisabeth fait d’ailleurs remonter jusqu’au Fils de la Vierge cette bénédiction dont il est le principe : « Et le fruit de votre sein est béni. » — « Et comment m’est-il donné que la Mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ? » On peut comparer l’attitude de sainte Élisabeth devant Notre-Dame à celle de saint Jean Baptiste en face du Seigneur ; elles sont absolument identiques : « C’est moi, s’écria saint Jean, qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! » Élisabeth dit : « la Mère de mon Seigneur » c’est-à-dire de mon Dieu ; elle est donc bien renseignée ; elle confesse d’un mot toute l’Incarnation. Même, elle ajoute les indices qui ont formé sa conviction et ouvert son âme à la lumière divine. Dieu est l’auteur de nos certitudes, Il peut créer en nous une conviction que rien ne puisse ébranler. « Car voici qu’au moment où le son de votre voix parvenait à mes oreilles, le petit enfant a tressailli d’allégresse dans mon sein. Et bienheureuse celle qui a eu foi (c’est le sens donné par le grec), car elles s’accompliront, les choses qui lui ont été dites de la part du Seigneur. » Peut-être la pensée d’Élisabeth se replie-t-elle sur la peine infligée à l’incrédulité de son mari ; au moins, du côté de Notre-Dame, il n’y a eu ni hésitation ni défiance ; et si splendide qu’ait été la promesse angélique, toute la parole de Dieu se réalisera. Les trois cantiques de saint Luc sont singulièrement expressifs des personnages qui les prononcent, et l’Esprit de Dieu qui les inspire, laisse à chacun d’eux son entière physionomie. Élisabeth est surtout une mère, une mère pieuse. Elle croit, elle croit tout le mystère ; elle s’étonne que la grandeur de la Mère de Dieu s’incline vers elle ; mais elle ne songe qu’incidemment à la "consolation" du peuple juif. Elle ne dit rien non plus de l’universalité de la Rédemption : ce sera le thème réservé à Notre-Dame. Elle songe, elle, à son fils, à la relation de son fils avec le fruit béni que Notre-Dame porte en son sein. Le cantique de la Sainte Vierge, en réponse à celui d’Élisabeth, n’est pas original dans son expression, mais dans son acception seulement. Il rappelle divers passages des Psaumes, des Prophètes, et surtout le cantique d’Anne, mère de Samuel (I Rois II, 1-10). Notre-Dame ne loue Dieu qu’avec les propres paroles de Dieu, et les formules inspirées lui sont tellement familières qu’elles se placent d’elles-mêmes sur ses lèvres. On peut diviser le Magnificat en quatre strophes.

« Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit tressaille de joie en Dieu, mon salut. » C'est une louange qui naît de l’âme et de l’esprit de Notre-Dame : tout son être intérieur, âme, esprit, se traduit dans cette louange, comme si la personne entière était un cantique vivant et s’employait à exalter Dieu. Elle appelle Dieu son salut : et en effet, nous l'avons remarqué déjà, la Sainte Vierge a été sauvée d’une façon éminente, puisque la mort de son Fils lui a donné, par anticipation, d’être conçue sans tache. Son allégresse sainte n’efface pas l’humilité. Elle reconnaît que le premier amour de Dieu envers elle est, comme Dieu même, sans motif et sans cause. Tout ce qui n’est pas Dieu est si petit ! Notre-Dame s’est déclarée naguère la servante du Seigneur : elle le rappelle aujourd’hui. Qu’avait-elle qui la recommandât aux préférences divines ? Tout est venu de Dieu, qui s’est incliné, dit-elle, non vers des mérites personnels, mais vers l’obscurité, la petitesse, la simplicité de sa servante ; et voici que désormais toutes les générations diront bienheureuse cette humble vierge de Juda. N’est-il pas vrai que la prophétie est extraordinaire, sur les lèvres de Marie ? N’est-il pas vrai qu’elle s’est bien réalisée ? Depuis vingt siècles, et de plus en plus, toutes les nations, bénies dans le Fils, ont béni la Mère, l’ont acclamée, l’ont enveloppée d’une vénération et d’une tendresse incomparables. À elle seule, cette gloire de Notre-Dame pourrait prouver la vérité de l’Incarnation et la divinité du christianisme.

La deuxième strophe commence à célébrer l’œuvre de Dieu en Notre-Dame et par elle. Ce que le Tout-Puissant a réalisé en elle, Notre-Dame ne le précise point : « Il a réalisé de grandes choses, il a fait grand pour moi, celui qui est puissant ; et son nom est saint. Et sa miséricorde s’étend, de génération en génération, sur ceux qui le craignent », c’est-à-dire, en langage biblique, qui le regardent, qui l’aiment et qui lui sont fidèles. Notons le caractère large, volontairement imprécis, de toutes ces paroles qui rappellent le style des Psaumes. Même en remerciant Dieu d’un bienfait très déterminé, Notre-Dame et les auteurs inspirés dirigent leur parole comme si elle devait servir toujours et devenir l’expression éternelle de la reconnaissance chrétienne. Observons aussi que la Sainte Vierge, comme son Fils, comme l’apôtre saint Paul, aperçoit la miséricorde de Dieu s’étendant universellement sur tous les hommes. C’est l’annonce de l’Église et de sa catholicité.

Même, dans la troisième strophe, Notre-Dame, voyant réalisées déjà les dernières conséquences de ce qui s’est accompli en elle, annonce, en style prophétique, que la force du bras divin a désormais déplacé l’axe des choses, dissipé la vanité des sages remplis d’eux-mêmes, fait descendre les potentats de leur trône et exalté les humbles, appelé au festin les pauvres affamés et écarté les opulents. C’est, à grands traits, la description d’une révolution qui a déçu les Juifs charnels, recueilli les gentils, déconcerté la pensée purement humaine. Nous retrouverons le développement de cette idée au cours de tout le récit évangélique.

Enfin, la Sainte Vierge termine par la louange un cantique commencé par la louange. Elle rend hommage à la fidélité de Dieu. Dieu est venu au secours d’Israël, son serviteur, en envoyant le Messie dont le monde avait besoin, mais non le Messie conquérant et guerrier que rêvait la Judée. Après une longue attente, durant laquelle l’humanité a eu le loisir d’éprouver sa faiblesse, Dieu s’est souvenu enfin de sa miséricorde, selon qu’Il l’avait promis à nos pères, à Abraham surtout, et à sa postérité, pour jamais. Mais cette postérité éternelle, c’est le Christ et tous ceux qui sont nés de lui (Gal. III, 16). Notre-Dame a bien retenu et compris la parole de l’auge ; c’est la même chose de parler, comme Gabriel, du roi « dont le règne n’aura point de fin », et de « la postérité d’Abraham, pour l’éternité ».

Il nous paraît très probable que la Sainte Vierge est demeurée près de sa cousine jusqu’après la naissance de saint Jean Baptiste ; mais pour achever aussitôt ce qui concerne Notre Dame, saint Luc fait ici une interversion ; il nous dit que la Mère de Dieu retourna, chez elle après trois mois environ. L’Annonciation ayant eu lieu au sixième mois de la maternité d’Élisabeth, et Notre-Dame étant partie presque aussitôt pour Hébron ou Juttah, la nativité du Précurseur dut coïncider avec la fin du séjour de Notre-Dame en cette région.

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Méditation sur le 1er mystère joyeux

 Tirée de L'Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Fils de Dieu
de Dom Paul Delatte, osb

L'Annonciation

Après l’annonciation du Précurseur, l’annonciation du Messie. Les cinq mois silencieux d’Élisabeth se sont écoulés. Nous sommes arrivés au sixième mois depuis la scène du temple. Maintenant, la scène est à Nazareth, dans la Galilée. Une humble maison, plus auguste que le temple. Un ménage humble et pauvre : un artisan, son épouse vierge. Regardons. Là nous pouvons tout apprendre. Nazareth est l’école par excellence. Nous voyons le milieu et l’atmosphère où s’accomplissent les œuvres de Dieu : l’humilité, la pauvreté, la solitude, la pureté, l’obéissance.
Ce même archange Gabriel, envoyé, dans l’Ancien Testament, pour renseigner Daniel sur le mystère des semaines d’années et la date de l’avènement du Messie, député à Zacharie pour lui apprendre que l’heure est proche, est maintenant envoyé de Dieu dans une ville de la Galilée, Nazareth, à une vierge du nom de Marie, épouse de Joseph, un rejeton de la famille de David.

« Et ayant pénétré près d’elle, il dit : Je vous salue, pleine de grâce... » Ce n’est pas avec des paroles qu’il faut commenter. Aussi bien, les termes sacrés sont pleins, riches de signification profonde. C’est vraiment la joie qui est annoncée au monde, et depuis cette heure-là, il n’y a plus que du bonheur pour ceux qui acceptent l’Incarnation. Cette création surnaturelle qui s’éveille à la parole de l’ange, suffit à l’allégresse du temps et à celle de l’éternité.
Le terme grec traduit par gratia plena, signifie une plénitude de grâce reçue par Notre-Dame. Saint Thomas nous a dit en quoi consiste cette plénitude (Somme Théologique, III, q. XXVII, art. 5). Et comme la grâce est la dot de l’âme et la condition de son union à Dieu, celle qui est pleine de grâce est pleinement à Dieu, pleinement avec Dieu ; elle est sainte non seulement par ses privilèges, mais par ses vertus. « Le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. »

L’ange ne dit rien de plus. La salutation était plus large que toutes celles adressées dans l’Ancien Testament, l’attitude de l’ange infiniment respectueuse, la Vierge infiniment humble. Joignons ensemble tous ces éléments, et nous aurons la raison de la prudente réserve de Notre-Dame. Lorsqu’on remarque qu’elle fut troublée à ces paroles de l’ange, cela veut dire qu’elle demeura indécise sur ce qu’elle devait répondre. Et, gardant le silence, elle recherchait, à part elle, ce que pouvait signifier une telle salutation. Encore une fois, elle est humble, elle est prudente : l’ange l’a abordée comme une reine, mais il n’a encore rien dit de son message divin.

En face de ce silence, qui contenait une interrogation muette, Gabriel reprit la parole. Le ne timeas n’a pas pour dessein de bannir une crainte proprement dite, mais seulement d’exclure même le trouble et l’indécision que nous venons de décrire. Cette fois Notre-Dame est appelée par son nom : « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. » La faveur de Dieu, la tendresse de Dieu, qui est souveraine, qui est gracieuse, qui est active, s’est reposée sur elle. La même expression a été employée au sujet de Noé, qui bâtit l’arche du salut ; Noé trouva grâce devant le Seigneur (Gen., VI, 8). Mais il s’agit aujourd'hui d’une faveur plus haute, d’une arche plus sainte, d’un salut plus complet. La Sainte Vierge connaissait les Écritures ; elle avait lu et médité, au chapitre VII d’Isaïe, les mots mêmes que l'ange emploie maintenant. « Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils, et on l’appellera Emmanuel. » — « Voici, dit l’ange, que vous concevrez dans votre sein et que vous enfanterez un Fils, et vous l’appellerez Jésus. » Le parallélisme était flagrant. Emmanuel, « Dieu avec nous », c’était l’équivalent de Jésus, « Dieu Sauveur ».

Observons par quels traits l’ange dessine la mission du Fils de la Vierge. Il sera grand : il sera appelé, parce qu’il sera réellement, Fils du Très-Haut. L’ange ne dit pas : le Fils du Très-Haut. Ses paroles semblent calculées pour marquer une relation intime avec Dieu, sans exprimer encore nettement la filiation divine et la seconde personne de la très Sainte Trinité.
Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Il régnera pour les siècles sur la maison de Jacob, et son règne n’aura point de fin. Remarquons les termes et l’étendue de la prophétie. C’est chose extraordinaire que cet enfant, qui n’est pas né encore, soit promis à sa Mère comme un roi, et comme un roi éternel, en dépit de l’humiliation à laquelle était réduit, à cette époque, le peuple juif tout entier. Peut-être avons-nous le droit de remarquer aussi que cette prophétie s’est accomplie, qu’elle s’accomplit chaque jour encore, qu’elle est partiellement inachevée, et que le temps ne dure que pour lui donner le loisir de sa pleine réalisation.

Il semble que Notre-Dame, même avant la salutation angélique, aurait dû se reconnaître comme prédestinée à devenir la Mère de Dieu. Elle connaissait admirablement les Livres Saints ; elle était pleine de grâce ; elle savait que les temps étaient venus ; elle était de la famille de David ; le Messie devait naître d’une vierge : or il lui avait été inspiré de vouer, la première, sa virginité à Dieu. Tous les indices semblaient donc réunis. Comment ne s’est-elle pas demandé : « Mais n’est-ce pas de moi qu'il est question ? » Elle ne se l’est pas demandé. Les humbles s’ignorent. Peut-être avait-elle souhaité seulement d’être la servante de la Mère du Messie. Et la salutation de l’ange, si claire pour nous après l’événement, ne fit pas sortir la Vierge de cette divine ignorance d’elle-même. Après tout, il y avait moyen d’interpréter les paroles angéliques de manière à demeurer en deçà d’une grandeur à laquelle elle n’avait jamais songé. Aussi longtemps qu’il demeurait une imprécision, une part d’obscurité dans le message divin, ce serait une retraite, un abri où se réfugierait l’humilité de la Vierge. Y a-t-il au monde un spectacle plus beau que celui-là ? Dieu, qui y était attentif, dut s’y complaire. Nous aussi, perdons-nous dans cette splendeur.
Voici comment on pourrait traduire cet incomparable malentendu : « Dieu, par l’ange, me promet un fils. Il sera glorieux. Mais puisque l’ange n’a pas dit formellement qu’il est le Messie, qu’il est le Fils de Dieu, ce sera un roi comme les autres, un homme comme les autres. Il naîtra d’une femme, non d’une Vierge. Or, j’ai voué à Dieu mon corps et mon âme ; mon mariage n’est qu’un voile, et mon époux le gardien prédestiné de ma virginité. Comment donc pourra s’accomplir la promesse angélique, puisque j’ai fait vœu de n’être à aucun homme ? »

Dans la réponse de l’ange, nous entendons la réponse de Dieu. Le Fils qui sera donné à Marie, ne sera pas le fruit d’un commerce humain : le vœu de virginité demeurera donc sauf. « C’est l’Esprit de Dieu, l’Esprit-Saint, qui descendra sur vous ; c’est la force du Très-Haut qui vous couvrira de son ombre. » Le texte grec est susceptible de plusieurs interprétations. La vertu de Dieu, c'est-à-dire le Fils de Dieu, vous demandera son voile, sa nature humaine, l’ombre dont il s’enveloppera pour se rendre visible aux regards humains ; la vertu de Dieu, le Fils de Dieu, entrera en vous, comme on entre dans sa demeure ; il se reposera à l’ombre de votre sein ; il sera, par vous, Dieu avec nous, Emmanuel, beaucoup plus vraiment que dans le Saint des Saints et à l’ombre des grands chérubins qui étendent leurs ailes sur le propitiatoire ; une troisième interprétation, celle qui est commune, et préférable, semble-t-il, reconnaît qu’il est question encore du Saint-Esprit, comme dans la première partie du verset ; nous aurions affaire à un cas de parallélisme synthétique et d’équivalence entre L’Esprit-Saint descendra sur vous et La force du Très-Haut vous couvrira de son ombre. Par deux fois, l’ange a voulu signifier la pureté virginale de la conception promise. Ce n'est point l’homme, c’est Dieu seul, c’est la sainteté et la pureté de Dieu qui interviendra. Esprit-Saint et Vertu du Très-Haut indiquent tous deux une même réalité : Dieu dans sa sainteté et son pouvoir infini, en un mot l’élément actif de cette création surnaturelle. Les paroles qui suivent et que nous traduisons d'après le grec, marquent le résultat, le fruit béni de cette action : « C’est pourquoi l'enfant qui doit naître sera appelé Saint et Fils de Dieu. » Le Fils de Dieu prendra, grâce à Notre-Dame, sa place dans la création, sa place, la première et l’unique, dans la famille humaine (Rom., VIII, 29).

Il y a une grande différence entre l’accueil fait par Zacharie au message angélique : « Comment saurai-je qu’il en sera ainsi ? » et celui de la Sainte Vierge : « Comment cela se fera-t-il ? » Aucun doute n’effleure l’âme de Notre-Dame ; elle demande seulement à l’ange comment, dans sa vie, se pourront concilier deux devoirs : celui de l’obéissance et celui de son vœu. Néanmoins, nous remarquerons que Dieu use, dans l’un et l’autre cas, du même procédé. Il traite sa créature avec respect ; il lui donne un signe, c’est-à-dire une preuve de ses dires et une garantie de la foi qu’il réclame. Ainsi, ses témoignages sont croyables à l’infini. Ce signe, la Sainte Vierge ne le sollicitait pas : il lui fut gracieusement accordé. Pour obtenir son consentement, l’ange en appelle à une autre conception miraculeuse : Votre parente Élisabeth, elle aussi, a conçu un fils dans sa vieillesse ; depuis six mois déjà elle le porte en son sein, elle, la stérile. Car nulle parole prononcée par Dieu, nulle promesse sortie de ses lèvres ne sera jamais trahie, ni démentie, ni inexécutée.

Il y avait un intérêt extrême, pour l’humanité et pour Dieu même, à ce que la Sainte Vierge donnât son adhésion au mystère. Lorsqu’il s’agit d'union et de mariage, il doit y avoir un consentement libre des deux parties. L'union hypostatique n’échappe pas à cette loi. C’est une union : ce n’est pas une conquête, ni une contrainte, une sorte de mainmise violente, où ne seraient point respectés les droits et la dignité d’un des contractants. Dieu, nous l’avons dit, traite sa créature avec égards. Or, ce consentement indispensable à l’Incarnation, Dieu ne pouvait le demander ni à la portion de l’humanité qui avait précédé et qui n’existait plus, ni à la portion qui existait alors et qu’on ne pouvait plébisciter pour savoir si elle consentait à l’union divine, ni à la portion future de l’humanité. On ne pouvait non plus consulter la nature humaine individuelle que devait revêtir le Verbe : elle n’existait pas encore, et c’était précisément en vue de son existence que le consentement était sollicité. Voilà donc les destinées du monde suspendues aux lèvres et au cœur de Notre-Dame. Entendons l’Église, dans sa liturgie, la supplier de consentir à Dieu : Recevez, Vierge Marie, la parole qui vous a été transmise par l’Ange de la part du Seigneur… Monde créé et monde incréé, tous les deux sont anxieux, attentifs, épiant la réponse de la Vierge, qui, pour tous deux, sera décisive. Ce n’est pas un rêve arbitraire, mais la doctrine de saint Thomas d’Aquin. L’Annonciation, dit-il, était convenable : « pour montrer ainsi un certain mariage spirituel entre le Fils de Dieu et la nature humaine. Et voilà  pourquoi l'Annonciation demandait le consentement de la Vierge représentant toute la nature humaine » (Somme Théologique, III, q. XXX, art. 1). La Sainte Vierge n’ignorait pas ce que devait impliquer pour elle la maternité divine. Dieu n’a pas surpris sa mère. Elle savait, par l’Écriture, sur quelles épées nues son cœur serait traîné. C’est non les yeux fermés, mais les yeux ouverts, l’âme avertie et pleinement consciente, qu’elle adhère au vouloir du Seigneur.

La condition faite à Notre-Dame par l’Incarnation entraîne deux conséquences, qu’il nous suffira d’indiquer ici. La première, c’est que jamais fils n’a été le bien de sa mère autant que le Seigneur l’a été de Marie. La virginité de Notre-Dame attache son Fils à elle toute seule, à elle exclusivement, comme le fruit de sa pureté ; il est le Fils de sa chair et de sa volonté ; à lui elle a vraiment tout donné. Mais comment osons-nous parler de tels mystères ? Il nous faudrait pourtant ajouter encore qu’à l’heure même de l'Incarnation, Notre-Dame a concentré et ramassé en elle l’humanité entière, que son âme a comme embrassé et enveloppé tout ce que nous sommes, et qu’à l’exemple de son Fils, à raison du même acquiescement qui lui a été demandé par Dieu, nous sommes à elle comme nous ne sommes à personne. Elle est la Mère de tous les vivants, la nouvelle Ève. Comment peut-il demeurer une tristesse sur terre, depuis que l’éternité elle-même s’est inclinée, que les deux se sont abaissés, que l’ange est venu au nom de Dieu, et que Notre-Dame et notre Mère lui a répondu simplement : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon votre parole » ?

Et l’ange se retira d’auprès d’elle. Et, en même temps que la Vierge disait à Dieu : « Voici la servante du Seigneur », dans une adoration parfaite, s’élevait de son sein une adoration plus parfaite encore. La Mère de Dieu se disait la servante du Seigneur ; le Fils de D'eu se disait l’esclave et le serviteur de Dieu. L’apôtre saint Paul nous l’a révélé : « Lorsque le Christ fit son entrée  ici-bas, il dit : Vous ne vouliez plus d’hosties et d’oblations, alors vous m’avez donné un corps ; les holocaustes et les victimes pour le péché ne vous plaisent point, alors j’ai dit : Me voici, selon qu’en tête du livre, il est écrit de moi, pour faire, ô Dieu, votre volonté. » (Hébr., X, 5-7.) C’est au même instant que, du cœur du Fils comme de celui de la Mère, montait vers Dieu le parfum d’un même sacrifice, d’une même adoration.

 

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Méditation sur le 5e mystère glorieux

LE COURONNEMENT DE LA TRÈS SAINTE VIERGE AU CIEL

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

I. — La gloire de l’auguste Marie dans le ciel

Considérons, en premier lieu, quelle est la gloire essentielle de l’âme de Notre-Dame dans le ciel.

1) Si, selon la parole du Sauveur dans l’Évangile, on donne à tous les justes une mesure bonne, pleine, pressée et surabondante, quelle mesure ne donnera-t-Il pas à sa très sainte Mère ? Si on se sert généralement pour tous les hommes de la mesure dont ils se servent pour les autres, de quelle mesure Notre-Seigneur se sert-Il, ou plutôt, peut-Il garder quelque mesure avec celle qui L’a toujours servi sans mesure ? La mesure que la Vierge a toujours gardée en ce qui touchait le service de son Fils était bonne parce qu’elle contenait tout ce qu’il y a de meilleur et de plus parfait, sans mélange d’aucune faute ; elle était pleine, parce qu’elle renfermait la plénitude des grâces, des vertus et des œuvres les plus saintes, accompagnées de toutes les circonstances qui rendent une action parfaite ; elle était pressée parce qu’il y entrait bien des travaux, des mortifications et des douleurs ; elle était surabondante parce qu’on y voyait non seulement les préceptes accomplis, mais encore les conseils évangéliques observés, avec un désir ardent et illimité de se signaler tous les jours davantage au service de son Seigneur. Puis donc que Dieu distribue aux justes une mesure de gloire qui surpasse incomparablement leurs services, quelle gloire ne réservait-Il pas à celle qu’Il avait choisie entre tous les justes pour être sa Mère ? Lui seul qui donne cette récompense, et elle qui la reçoit, peuvent la comprendre. Pour nous, il nous suffit de savoir que rien ne manqua au bonheur de la Vierge, qu’elle fut pleinement satisfaite et qu’elle éprouva la vérité de cette parole de David : Je serai rassasié quand m’apparaîtra votre gloire.

2) Imaginons que Dieu lui dit en ce jour ce que nous lisons dans l’histoire de Judith : Asseyez-vous maintenant ; buvez et mangez avec joie, parce que vous avez trouvé grâce devant moi. Marie Lui répondit sans doute, empruntant les paroles de la libératrice de Béthulie : Oui, Seigneur, je boirai, car mon âme est aujourd’hui glorifiée plus qu’en tous les jours de ma vie. Elle boit en effet, et elle étanche sa soif au torrent des délices éternels. Son entendement est satisfait par la claire vision de Dieu, un en substance, trois en personnes ; elle s’abreuve à l’océan de la sagesse infinie avec une telle abondance que la plénitude de science des chérubins disparaît et ressemble au vide, en comparaison de la plénitude de Marie. Sa volonté est satisfaite par l’amour béatifique qui l’attache pour jamais au Créateur. Elle entre aujourd’hui dans le cellier mystérieux où sont les meilleurs vins ; elle en boit jusqu’à l’ivresse et ils lui embrasent le cœur d’un amour si excessif pour l’éternelle bonté que les séraphins, ces esprits de feu, ne sont que glace comparés à Marie. Son esprit est satisfait par la possession paisible du souverain Bien après lequel elle avait tant soupiré. Elle est comme plongée dans un fleuve de paix et dans un océan de plaisirs qui apaisent si pleinement sa soif, que les anges paraissent auprès d’elle une terre sans pluie et sans rosée.

3) Enfin, Dieu épuise pour ainsi dire ses trésors et emploie sa puissance et sa bonté à contenter les désirs de sa Mère, l’enrichissant de tous les biens qui conviennent à une pure créature. Il se souvient qu’elle L’a porté dans son sein, qu’elle Lui a donné à boire, non un verre d’eau froide, mais le lait abondant de ses mamelles ; et Il veut qu’en récompense elle s’abreuve d’un lait plus doux et plus pur dans le sein de sa divinité. Il sait qu’elle a bu au calice très amer de sa Passion, et Il lui présente le calice délicieux de sa gloire, qui lui fait oublier les peines passées et dont la douceur surpasse infiniment l’amertume du premier. Il essuie toutes ses larmes, Il apaise toutes ses douleurs, Il la délivre de toutes les misères du vieil homme, qui se trouve renouvelé en elle par les qualités glorieuses de l’homme nouveau.

Ô Reine du ciel, je vous félicite de votre gloire et je me réjouis du bonheur que vous goûtez à la table de votre Fils. Vous êtes assise à sa droite ; sa nourriture et son breuvage sont les vôtres. Vous méritez d’occuper cette place et de participer à ce banquet à plus juste titre que les apôtres, puisque vous êtes demeurée avec Jésus au moment de la tentation et de l’affliction. Maintenant donc que vous êtes au sein de l’abondance, ne nous oubliez pas, pauvres nécessiteux qui vivons sur la terre ; donnez-nous de quoi soulager notre faim et notre soif, et ne nous refusez pas du moins les miettes qui tombent de votre table.

Ces réflexions doivent nous exciter à prendre la ferme résolution d’imiter la Vierge notre Mère en donnant comme elle au service de Dieu une part bonne, pleine, pressée et surabondante, ainsi qu’il a été dit tout à l’heure. Si la pensée de notre faiblesse nous inspire quelque crainte, rappelons-nous la gloire que Dieu nous promet, gloire qui est sans comparaison au-dessus de tout ce que nos œuvres peuvent avoir de mérite par elles-mêmes. Il n’y a nulle proportion, dit saint Paul, entre les souffrances de cette vie, et la gloire qui nous attend dans l’autre.

II. — Le couronnement de la Reine du ciel

Considérons ensuite le couronnement de la Vierge notre Dame, ainsi que les autres circonstances de sa gloire.

1) Marie fut élevée au-dessus des neuf chœurs des anges. Son divin Fils la plaça sur un trône resplendissant à sa droite et lui témoigna incomparablement plus d’amour que ne put en témoigner Salomon à Bethsabée lorsqu’il la fit asseoir auprès de lui sur un autre trône. C’est alors que s’accomplit cette prophétie de David : La Reine s’est tenue à votre droite, toute vêtue d’or, et parée d’ornements d’une admirable variété.

Car, comme il est dit que Notre-Seigneur est assis à la droite de son Père, parce qu’il possède auprès de Lui les plus précieux biens de la grâce et de la gloire, ainsi disons-nous que la Vierge est assise à la droite de son Fils, parce qu’elle occupe après Lui le rang le plus élevé dans le ciel et qu’elle surpasse en gloire les esprits bienheureux, autant que la dignité de mère l’emporte sur la qualité de serviteur.

Ô Reine des anges, je ne puis vous exprimer la joie que je ressens de vous voir ainsi élevée à la droite de votre Fils. Cet or qui brille sur vous, c’est la charité ; et cette variété d’ornements dont vous êtes environnée, ce sont vos autres vertus. Si le premier ange qui se perdit par son orgueil, était dans le ciel revêtu d’une robe magnifique, enrichie de neuf sortes de pierres précieuses qui représentaient les différentes perfections des neuf chœurs de la milice céleste, à combien plus forte raison êtes-vous douée et parée de toutes les perfections des pierres vivantes qui composent la cité du Très-Haut ! Regardez, ô Mère de miséricorde, ma pauvreté ; donnez-moi la robe nuptiale, je veux dire la charité, afin que je sois digne de paraître devant Dieu, et de jouir de sa présence en votre compagnie dans l’éternité.

2) La glorieuse Vierge fut couronnée par la très sainte Trinité de plusieurs couronnes. Le Père éternel lui mit sur la tête la couronne de puissance. Il l’investit d’un pouvoir illimité, subordonné toutefois à celui de Jésus-Christ, sur toutes les créatures qui sont dans le ciel, sur la terre et dans les enfers. Ainsi s’accomplit en elle cette parole de David : Vous l’avez couronnée de gloire et d’honneur ; vous l’avez établie sur les œuvres de vos mains. Le Fils plaça sur son front la couronne de sagesse. Il lui donna une connaissance claire non seulement de sa divine essence, mais encore de toutes les choses créées, de celles en particulier qu’il lui importait de connaître en sa qualité de mère et d’avocate des hommes. Le Saint-Esprit posa sur son chef auguste la couronne de charité, en la remplissant d’amour pour Dieu et de zèle pour la perfection et le salut des âmes. Quelle ne fut pas l’admiration des trois hiérarchies des anges lorsqu’ils virent étinceler ces couronnes sur la tête de Marie. Les séraphins admiraient l’ardeur de sa charité ; les chérubins, la plénitude de sa sagesse ; les trônes, l’abondance de sa paix ; les dominations, la grandeur de sa puissance ; les vertus, l’excellence de ses dons ; tous les autres anges, le comble de sa perfection et de sa sainteté. Réjouissons-nous de voir la Mère de Dieu porter si noblement cette triple couronne. Bénissons le Seigneur qui nous a donné dans le ciel une Mère si puissante qu’elle peut remédier par son intercession à toutes nos misères, une Mère si éclairée qu’elle connaît tous nos besoins et voit jusqu’aux moindres mouvements de notre cœur, une Mère si charitable qu’elle souhaite plus que nous-même l’accomplissement de tous nos désirs.

Ô aimable Mère, couronnée par votre fils Jésus de miséricorde et de grâce, priez-le de m’accorder ici-bas cette même couronne, afin que je mérite un jour celle de la gloire dans les hauteurs des cieux.

3) La très sainte Trinité décerna de plus à Marie les trois couronnes de gloire accidentelle que les théologiens nomment Auréoles. Le laurier dont elles sont composées ne perd jamais sa verdure, ni dans le temps, ni dans l’éternité. Ces couronnes sont les marques distinctives dont Dieu honore les vierges, les martyrs et les docteurs. Il ne pouvait les refuser à la Mère de son Fils puisqu’elle est la Vierge des vierges, qu’elle a souffert un cruel martyre au pied de la croix, et qu’elle a exercé d’une manière très relevée les fonctions de docteur, en communiquant, sur les vérités de la Religion, des lumières sublimes à ceux-mêmes qui étaient les docteurs du monde.

Ô Reine des anges et des hommes, que vous possédez légitimement ces couronnes dans le ciel, vous qui avez produit partout des fruits de bénédiction et de grâce sur la terre ! Comme vierge, vous avez rendu trente pour un ; comme maîtresse des docteurs, soixante pour un ; comme martyre, cent pour un. Il est donc juste qu’à de tels travaux répondent de si précieuses couronnes. Afin que je m’en rende digne moi-même, demandez au Seigneur que je porte des fruits abondants et que ma vie soit féconde en vertus et en saintes œuvres.

4) Enfin, la Vierge fut couronnée de cette couronne de douze étoiles, dont saint Jean fait mention dans l’Apocalypse. Car, comme toutes les grandeurs et toutes les vertus qui brillent séparément dans chacune des douze hiérarchies des saints, se trouvent réunies dans la seule Vierge Marie, il était conforme à la justice qu’elle reçût les récompenses de tous les justes de la cour céleste, figurées par les douze étoiles. La Mère de Jésus posséda en effet, dans le plus haut degré qu’il soit possible d’imaginer, la foi et l’espérance des Patriarches, la lumière et la contemplation des Prophètes, la charité et le zèle des Apôtres, le courage et la magnanimité des Martyrs, la patience et la pénitence des Confesseurs, la sagesse et la pénétration des Docteurs, la sainteté et la pureté des Prêtres, la solitude et le recueillement des Solitaires, la pauvreté et l’obéissance des Religieux, la chasteté et l’innocence des Vierges, l’humilité et les souffrances des Veuves, la fidélité et la concorde des Époux. Dieu, par conséquent, la combla de toutes les récompenses qu’Il partage entre ces divers états. Disons plus, Il les lui prodigua avec un excès indicible ; car c’est d’elle que Salomon a écrit : Plusieurs d’entre les femmes ont amassé des richesses ; pour vous, vous les avez toutes surpassées. C’est-à-dire : Un grand nombre d’âmes justes ont accumulé des trésors de mérites et de vertus ; mais vous en avez amoncelé vous seule plus que toutes ensemble.

Contemplons des yeux de la foi la Mère du vrai Salomon, avec le diadème dont son Fils l’a couronnée au jour de l’allégresse de son cœur, au jour de son entrée dans le ciel. Considérons la joie ineffable de cette Reine des hommes et des anges, qui, dans un délicieux transport, chante comme autrefois son Cantique : Mon âme glorifie le Seigneur et mon esprit est ravi en Dieu mon Sauveur. Parce qu’il a regardé la bassesse de sa servante, voici que désormais toutes les générations me diront bienheureuse ; car le Tout-Puissant a fait en moi de grandes choses, et son nom est saint.

Ô glorieuse Vierge, c’est maintenant que toutes les créatures du ciel et de la terre peuvent vous proclamer à haute voix bienheureuse, puisque vous entrez en possession du bonheur parfait dont vous n’aviez jusqu’ici que l’espérance. Le Tout-Puissant a toujours opéré en vous de grandes choses ; mais Il met aujourd’hui le comble et le sceau à ses libéralités, en récompensant votre humilité de la couronne de gloire. Douze étoiles resplendissent autour de votre tête. Elles signifient que les saints, vos fidèles imitateurs, sont votre gloire et votre couronne, et qu’ils sont redevables de leurs victoires à votre intercession et à votre secours. Aussi, dans un sentiment d’humilité et de reconnaissance, déposent-ils à vos pieds leurs couronnes, confessant qu’ils ne les ont obtenues que par l’efficacité de vos prières. Ô avocate pleine de miséricorde, ô puissante médiatrice, intercédez pour moi, secourez-moi, afin que je sois, moi aussi, votre joie et votre couronne ; inspirez-moi enfin la résolution inébranlable de combattre si vaillamment en cette vie, que je remporte par vous la victoire et que je reçoive en l’autre la couronne éternelle de gloire. Ainsi soit-il.

 

 

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Méditation sur le 4e mystère glorieux

L'Assomption

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

  

I. — Le corps de Marie exempt de la corruption du tombeau

Considérons, en premier lieu, que le corps de Notre-Dame, durant les trois jours qu'il resta dans le sépulcre, demeura aussi intact que si l'âme n'en était pas séparée. Car, comme Dieu, par un privilège spécial, la préserva de la tache du péché originel, bien que sa conception, dans l'ordre naturel, n'ait pas été différente de celle des autres enfants d'Adam, de même, quoique sa mort ait ressemblé à celle des autres hommes, son corps néanmoins, par une grâce singulière, fut exempt de la corruption du tombeau, qui est la peine du péché. En sorte qu'elle n'eut point de part à la malédiction que le Seigneur avait lancée contre l'homme, en lui disant : Tu es poussière, et tu retourneras en poussière. Or Dieu lui accorda ce privilège pour trois raisons.

1) Ce fut pour honorer sa pureté virginale qui avait été toute miraculeuse et sans exemple, confirmée par un vœu exprès, et gardée inviolablement jusqu'à la mort. Une semblable pureté méritait sans doute une récompense extraordinaire. Or pouvait-elle en avoir une qui lui fût plus proportionnée que l'incorruptibilité de ce corps, dont elle avait toujours été le principal ornement ?

2) Ce fut pour récompenser l'innocence et la sainteté de son âme qui, dans un corps mortel, n'avait jamais senti le ver intérieur des consciences coupables, à laquelle il ne s'était jamais attaché la moindre poussière, et qui n'avait participé en rien aux imperfections de l'Adam terrestre. C'est pour ce sujet que les vers ne touchèrent point au corps de la plus pure des vierges, et qu'il ne fut point réduit en poussière, non plus que celui de l'Adam céleste, dont le Prophète, admirant la sainteté, disait : Vous ne permettrez pas, Seigneur, que votre Saint voie la corruption.

3). Il était de l'honneur du Fils de conserver dans son intégrité le corps de sa Mère. Car la chair de Jésus, dit saint Augustin, est la chair de Marie. Puis donc que la chair de Jésus n'avait pas éprouvé la corruption, il était juste que celle de Marie en fût exempte.

Ô digne Mère de mon Sauveur, arche du Nouveau Testament, fabriquée de bois incorruptible de Sétim, et revêtue d'un or très pur, dans laquelle a reposé celui qui est le propitiatoire commun de tous les pécheurs ; je me réjouis de l'incorruptibilité de votre corps, et de la beauté de votre âme, à qui les vertus, comme un or fin et brillant, donnent un merveilleux lustre. Obtenez-moi cette pureté incorruptible d'un esprit doux et modeste, qui est un riche ornement aux yeux de Dieu, afin que mon âme étant exempte de la corruption du péché, mon corps, au dernier Jour, soit délivré de la corruption qui est la peine du péché.

 

II. — Le corps de Marie ressuscité le troisième jour

Considérons, en second lieu, la résurrection de la bienheureuse Vierge, dont le corps sortit vivant et glorieux du sépulcre au troisième jour, par la toute-puissance de son Fils. Jésus, plein d'amour et de tendresse pour sa Mère, crut que ce serait trop peu faire pour elle de conserver son corps sans corruption jusqu'au temps de la résurrection générale. Il voulut prévenir ce temps et lui rendre la vie au bout de trois jours : ce qu'il fit pour plusieurs raisons.

1) Non content d'avoir comblé le désir surnaturel que l'âme de sa Mère avait de contempler Dieu face à face, le Sauveur voulut encore satisfaire l'inclination naturelle qu'elle conservait pour son corps, ainsi que les autres saints, qui selon saint Jean dans l'Apocalypse, prient instamment le Seigneur de hâter la résurrection des leurs. Et comme le corps et l'âme de Marie avaient toujours travaillé de concert pour accomplir la volonté de Dieu sur la terre, il était conforme à sa bonté de les réunir au plus tôt, afin qu'ils recommençassent à le louer et à le servir dans le ciel, avec plus de ferveur que jamais.

2) Ce fut encore pour nous donner une ferme espérance de notre résurrection future. Car ce n'est pas seulement Jésus-Christ, Dieu et homme, qui est ressuscité ; c'est encore sa Mère, bien qu'elle ne soit qu'une pure créature. Que cette pensée excite en nous de vifs désirs d'aller à Jésus et de rechercher, non les choses de la terre, mais celles du ciel, où il a établi son trône, et où celle en qui il a pris un corps semblable au nôtre est assise à sa droite.

3) Il fallait en outre que Notre-Dame conservât dans tous les siècles, jusqu'au jour du jugement, la qualité de Mère de Dieu. Or ce glorieux titre ne convient pas à son âme seule, mais à son âme et à son corps réunis ensemble.

4) Il était à souhaiter qu'elle pût exercer dans le ciel l'office de mère et d'avocate des hommes, et apaiser la colère de son Fils irrité contre eux en lui montrant ses mamelles, comme le Fils adoucit le courroux de son Père en lui découvrant ses plaies.

5) Enfin, comme le premier Adam avait eu, dans le paradis terrestre, une aide et une compagne semblable à lui par les qualités naturelles, de même le second Adam voulut en avoir une dans le ciel, qui lui ressemblât en ce qui concerne la gloire du corps et de l'âme.

Ces raisons, et quelques autres, déterminèrent Dieu à tirer du tombeau la dépouille mortelle de l'auguste Marie, et à réunir sans retard son âme à son corps pour jamais. Oh ! Qui pourrait dire de quelle joie ce nouveau bienfait remplit le cœur de Notre-Dame, et avec quel transport elle entonna, dans ce troisième jour, son admirable Cantique : Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit est ravi en Dieu mon Sauveur ! Le Tout-puissant a fait en moi de grandes choses, en glorifiant mon âme et mon corps. Oh ! Quel contentement ressentit ce corps sacré quand il se vit réuni à cette âme bénie, qui lui communiqua les quatre qualités des corps glorieux ! Car il devint à l'instant même plus resplendissant que le soleil, plus beau que la lune. Il fut doué de l'immortalité, de l'impassibilité, de la légèreté, de la subtilité, exempt désormais de la faim, de la soif, de la fatigue ; à l'abri de tous les changements et de toutes les misères ; en un mot, ressuscité à une vie nouvelle et bienheureuse pour ne plus mourir.

Je vous rends grâces, ô Verbe éternel, de cette dernière faveur que vous ajoutez à toutes celles dont il vous a plu d'enrichir votre Mère. En songeant à son honneur, vous n'oubliez pas le vôtre ; car la gloire d'une mère est celle de ses enfants. Ô glorieuse Vierge, toutes les puissances de mon âme vous félicitent du nouveau privilège que votre Fils vous accorde en ce jour. Vous n'avez plus rien à lui demander, puisqu'il rend votre corps impassible et immortel comme le sien. Soyez donc ma médiatrice auprès de lui ; montrez-lui les mamelles qui l'ont nourri ; priez-le d'exaucer mes désirs, et de me faire la grâce de le servir si fidèlement en cette vie, que je mérite de participer à sa gloire en l'autre.

 

III. — Le corps de Marie, réuni à son âme, élevé au plus haut des cieux

Considérerai, en troisième lieu, l'Assomption du corps glorieux de la Vierge dans le ciel. Nous ne savons pas, il est vrai, comment s'opéra cette merveille. Nous pouvons toutefois nous le figurer, en comparant l'Assomption de la Mère avec l'Ascension du Fils. Supposons donc que Marie ressuscita dans le tombeau, où son âme descendit pour se réunir à son corps, de la même manière que tous les hommes ressusciteront à la fin des siècles.

1) Des milliers d'anges gardaient le sépulcre de la Mère de Dieu. Ils y faisaient entendre des concerts célestes, comme nous l'avons dit plus haut ; et dirigeant de là leurs voix vers le ciel, ils adressaient à Jésus-Christ ces paroles de David : Levez-vous, Seigneur, entrez dans votre repos, vous, et l'arche de votre sanctification. Car ne sera-ce pas vous procurer un délicieux repos d'emmener avec vous l'arche vivante, dans laquelle fut déposé le trésor infini de la sainteté ?

2) Aussitôt l'arche commença à s'élever, portée par les mains des chérubins et des séraphins. Elle franchit majestueusement les régions de l'air, au milieu des acclamations des esprits bienheureux, enivrés d'une joie et d'une allégresse inexprimables, et perçant tous les cieux, elle arriva enfin jusqu'à l'empyrée.

3) Son Fils bien-aimé, qui l'y attendait, la reçut avec un contentement ineffable, et la plaça, en sa qualité d'arche de la nouvelle alliance, dans le Saint des saints, au lieu le plus élevé du temple, c'est-à-dire sur le premier siège d'honneur de la cité de Dieu. Il la couronna ensuite, comme l'arche ancienne, d'une couronne d'or très pur, la revêtant d'une beauté indicible, et environnant son corps d'une clarté qui surpassait la lumière même du ciel. Oh ! Que la Jérusalem céleste fut splendidement éclairée en ce jour par ces deux astres, ce Soleil et cette Lune, Jésus et Marie ! Oh ! Que les anges furent ravis de voir leur Reine ainsi honorée, dans l'espoir que, par son intercession, tant de places laissées vides dans leurs rangs par la chute des esprits rebelles seraient remplies ! Oh ! Combien les autres bienheureux se réjouirent en voyant ainsi glorifiée cette Mère de miséricorde qui devait, par ses prières, ouvrir le ciel à une infinité d'enfants d'Adam, rachetés par le sang de son Fils ! Oh ! Que cette humble Mère fut elle-même comblée d'allégresse lorsqu'elle se vit élevée du plus bas de la terre au plus haut des cieux.

Je me réjouis, ô Mère très sainte, de ce que vous êtes parée aujourd'hui de deux vêtements de gloire : l'un pour votre âme, commun aux autres âmes bienheureuses ; l'autre, par anticipation et par privilège, pour votre corps. Oui, le Seigneur Jésus accomplit fidèlement ses promesses ; car il vous donne au lieu de la cendre, une couronne ; au lieu de larmes, une huile de Joie ; au lieu d'un esprit affligé, un manteau de gloire ; et il veut que, dès maintenant, vous possédiez dans votre terre une double récompense, avec une joie qui ne finira jamais. Ô ma douce Mère, attirez mon esprit au ciel, où vous êtes assise à la droite de votre Fils. Car, où est la Mère, là doivent être les enfants ; où est le corps, là les aigles se rassembleront. Qui me donnera les ailes de l'aigle, afin que je vole jusqu'au ciel, et que j'y contemple la gloire de votre corps sacré ! Apprends, ô mon âme, à t'élever dans un saint transport au-dessus de toi-même, au-dessus de toutes les créatures. Oublie les choses de la terre, et ne soupire plus qu'après celles du ciel. Là est ton Père céleste ; là est ta glorieuse Mère ; humilie-toi comme elle en ce monde, et tu participeras à son élévation dans le royaume éternel. Ainsi soit-il.

 

IV. — L'entrée de Marie dans le ciel

Considérons enfin l'entrée triomphante de la Reine du ciel dans le séjour des bienheureux. À peine eut-elle rendu le dernier soupir, que son âme, dégagée des liens du corps, s'envola au ciel, et entra au même moment dans la gloire qui lui était préparée. Mais afin de mieux comprendre ce mystère, il faut méditer successivement, à notre manière, ce qui s'exécuta en un seul et même instant.

1) Représentons-nous l'accueil plein de tendresse que Jésus fit à sa Mère, et la joie ineffable dont il se plut à la combler. C'est alors que s'accomplirent ces paroles de l'Épouse : Sa main gauche est sous ma tête, et il m'embrasse de sa main droite. Il l'avait soutenue, pendant sa vie, par la contemplation des mystères et des œuvres de son humanité, figurée par la main gauche : et maintenant, il l'embrasse et l'environne par la vue claire de sa divinité, signifiée par la main droite. Oh i qui pourrait exprimer l'allégresse de cette âme bienheureuse en ce premier moment ! Avec quel transport et quel amour ne dit-elle pas : J'ai trouvé celui que j'aime ; je le tiens, et je ne le laisserai point aller qu'il ne m'emmène avec lui, et ne m'introduise dans la maison de ma mère, dans la Jérusalem céleste !

Ô glorieuse Vierge, obtenez-moi une si parfaite pureté de cœur, et une charité si ardente, que mon âme, au sortir de son corps, soit reçue entre les bras de son Bien-aimé, et qu'elle monte avec lui dans la maison de ma mère, c'est-à-dire dans le ciel, où vous, qui êtes ma vraie Mère, vivez enivrée dans la compagnie de votre Fils, durant les siècles des siècles.

2) Imaginons l'illustre cortège des neuf chœurs des anges qui accompagnent leur auguste Reine dans son Assomption. Ils la saluent, dit saint Athanase, en lui donnant mille titres d'honneur ; ils lui témoignent la joie qu'ils ressentent de conduire leur souveraine dans la cité du Dieu vivant ; ils la félicitent des grandes choses que Dieu a faites en elle ; ils chantent d'une voix unanime la salutation de l'archange Gabriel, où sont compris en abrégé ses plus glorieux privilèges. Pour nous, nous nous mêlerons en esprit parmi les hiérarchies célestes ; nous chanterons avec elles les louanges de la Mère de Dieu ; nous célébrerons son triomphe, et nous lui dirons, comme les Hébreux à Judith leur libératrice :

Vous êtes la gloire de Jérusalem, de l'Église militante, de l'Église triomphante ; vous êtes la joie des vrais Israélites, de ceux qui voient Dieu par la contemplation en cette vie, et de ceux qui le voient en l'autre par la lumière de la gloire ; vous êtes l'honneur de notre peuple, parce que vous avez agi avec courage, et que vous avez gardé une chasteté parfaite. C'est pourquoi vous serez bénie éternellement ; et le Seigneur bénira, en votre considération ; tous ceux que vous aurez pris sous votre maternelle et puissante protection.

3) Remarquons que Marie fut portée au ciel, non par les anges, comme Lazare avait été porté dans le sein d'Abraham ; mais par les mains et dans les bras de son divin Fils. Ainsi voulut-il reconnaître les services qu'elle lui avait rendus, et les caresses qu'elle lui avait faites, lorsqu'elle le portait dans ses bras pendant son enfance. C'est ce qui remplissait d'étonnement les esprits célestes. Quelle est celle-ci, se demandaient-ils, qui monte du désert, pleine de délices, appuyée sur son Bien-Aimé ? Comme s'ils disaient : Quelle est cette Vierge privilégiée qui sort du monde, désert stérile, où il n'y a que travail et que douleur ; et qui néanmoins est riche, heureuse, opulente, pleine de délices spirituelles, appuyée, non sur elle-même, non sur les anges, mais sur le Seigneur qu'elle aime uniquement ?

C'est ainsi qu'elle s'éleva jusqu'au plus haut des cieux, aux applaudissements universels de la cour céleste, et au plein contentement de la très sainte Trinité. Le Père éternel se réjouissait d'avoir auprès de lui sa Fille chérie ; le Fils, de posséder sa douce Mère ; le Saint-Esprit, de voir en sa compagnie son Épouse bien-aimée. Oh ! Quelle réception pleine d'allégresse ! Quels tendres baisers de paix ! Quels affectueux embrassements ! quels colloques amoureux entre une telle Fille et un semblable Père, une telle Mère et un pareil Fils, une telle Épouse et un tel Époux ; entre les trois Personnes divines délibérant sur les moyens d'honorer la Reine des vertus

Le fruit principal que nous devons retirer de cette contemplation, c'est un désir efficace d'imiter Marie dans la plus glorieuse des entreprises, celle de gagner le ciel, commençant à nous y disposer dès maintenant. En premier lieu, nous renoncerons de cœur au monde, le considérant comme un désert, et nous privant des plaisirs des sens, pour nous rendre capable de goûter les délices de l'esprit. En second lieu, nous nous efforcerons d'avancer et de monter chaque jour dans le chemin de la vertu, ne nous appuyant ni sur nos propres forces, ni sur un bras de chair, mais sur le bras du Tout-Puissant qui est seul notre force et notre soutien. En troisième lieu, nous ferons en sorte de nous réjouir toujours en Dieu et dans les œuvres de son service. Nous mériterons ainsi de recevoir ses dons avec abondance, et d'être riche en Jésus-Christ ; et il ne nous manquera aucune des grâces qui nous sont nécessaires pour attendre avec confiance le jour où il daignera nous manifester sa gloire.

 

 

 

 

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Méditation sur le 3e mystère glorieux

La Pentecôte

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

 I. — Réunion des disciples dans le cénacle

Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, tous les disciples se trouvèrent rassemblés dans un même lieu.

Sur ces paroles, considérons ce qu’il y a de mystérieux, et dans le lieu, le temps, le jour auxquels le Saint-Esprit descendit sur les disciples et dans leur réunion simultanée en un même endroit.

1) On ne peut pas douter que ce ne fût pas une inspiration de l’Esprit-Saint lui-même que, le jour de la Pentecôte, tous les disciples, au nombre d’environ cent vingt, se rendirent avec la bienheureuse Vierge dans le cénacle où ils avaient coutume de s’assembler. Tous, d’un commun accord, demandaient à haute voix au Père éternel, et au Fils même, qu’Ils leur envoyassent le Saint-Esprit, si expressément et si souvent promis. Leurs prières furent portées par les anges devant le trône de Dieu, et l’Homme-Dieu y joignant les siennes, ils obtinrent dès ce jour-là ce qu’ils souhaitaient. Car quiconque prie avec dévotion et persévérance est exaucé tôt ou tard, pourvu qu’il attende avec patience la visite du Seigneur.

2) Le cénacle était l’image de l’Église universelle où tous les disciples de Jésus-Christ demeurent unis par la profession d’une même foi, par le culte d’un même Dieu et par l’observance d’une même loi. Or, comme le Saint-Esprit fut donné en ce jour à ceux-là seuls qui étaient dans le cénacle, ainsi est-il donné aujourd’hui à ceux-là seuls qui sont dans l’Église et qui ont les dispositions requises pour le recevoir. Hors de l’Église, il ne faut point espérer cette faveur. La colombe, envoyée par Noé sur la terre après le déluge, ne put trouver hors de l’arche où mettre le pied ; de même l’Esprit-Saint, désigné par cette colombe, ne trouve point où se reposer hors de l’Église, figurée par l’arche. C’est ce qui faisait dire au Fils de Dieu que le monde ne peut le recevoir. Par le monde, Il entend ceux qui refusent d’embrasser sa religion, qui réprouvent sa doctrine, qui s’opposent à sa sainte loi.

Je vous rends grâces, ô mon Sauveur, de ce que vous avez daigné m’admettre dans votre Église en laquelle, si je le veux, le Saint-Esprit descendra sur moi, à la condition que je lui prépare mon cœur, à l’exemple des apôtres, par la charité et par la prière.

3) Examinons pour quelle raison l’Esprit sanctificateur vint le jour de la Pentecôte, fête solennelle parmi les Juifs, dans laquelle, cinquante jours après la manducation de l’Agneau pascal, on célébrait la mémoire de la promulgation de la loi donnée à Moïse sur le mont Sinaï. Ce divin Esprit voulait nous montrer qu’Il venait principalement pour imprimer dans les âmes des fidèles la loi de grâce publiée par Jésus-Christ et pour abolir l’ancienne loi qui n’était que l’ombre de la nouvelle. Elles furent donc établies l’une et l’autre le même jour, mais d’une manière bien différente. La loi ancienne, loi de crainte, fut promulguée au milieu des éclairs, au bruit du tonnerre, au son des trompettes. Dieu l’écrivit sur des tables de pierre, comme une loi pesante, propre à des hommes durs de tête et incirconcis de cœur. La loi nouvelle, au contraire, loi d’amour, fut publiée avec douceur et gravée par le Saint-Esprit sur des tables de chair, c’est-à-dire dans nos cœurs ; et alors on vit l’accomplissement de la promesse que le Seigneur avait faite par la bouche d’Ézéchiel : Je changerai vos cœurs de pierre en des cœurs de chair.

Ô Père éternel, votre droite est votre Fils unique qui procède de Vous, et par qui Vous avez créé toutes choses ; votre doigt est cet Esprit qui procède à la fois de Vous et de votre Fils, et par qui Vous avez réformé toutes vos œuvres, en écrivant votre loi sainte dans le cœur des hommes. Écrivez-la dans le mien avec ce doigt de votre droite ; imprimez-la si profondément que jamais elle ne s’efface ; et puisque Vous me commandez de l’écrire moi-même en faisant avec amour tout ce qui dépend de moi pour l’accomplir, donnez-moi ce que Vous m’ordonnez, afin que je l’exécute comme Vous le désirez.

4) On peut encore donner la raison suivante de la descente du Saint-Esprit sur les disciples cinquante jours après la résurrection du Sauveur. Dans l’ancienne loi, Dieu avait dit à Moïse : Tu sanctifieras la cinquantième année, et tu l’appelleras la rémission pour tous les habitants de la terre ; car c’est l’année du jubilé. De même, dans la loi nouvelle, l’Esprit-Saint vient remettre aux hommes pécheurs toutes leurs dettes, par les mérites du sang de Jésus-Christ, cinquante jours après sa Passion et sa Résurrection. C’est pourquoi l’Église, dans sa liturgie, nomme cet Esprit sanctificateur la rémission de tous les péchés.

Ô divin Esprit, venez dans mon âme avec la plénitude de vos dons ; accordez-moi le pardon entier, l’indulgence plénière de toutes mes offenses, afin que, purifié de toute souillure, je puisse dans une jubilation éternelle participer aux joies de votre gloire dans les siècles des siècles.

II. — Un vent impétueux précède la descente du Saint-Esprit

Et soudain on entendit un grand bruit, semblable à celui d’un vent impétueux, qui venait du ciel.

Chacune de ces paroles exprime une propriété de la venue de l’Esprit-Saint dans nos âmes. Il s’annonce ordinairement par de saintes inspirations, c’est-à-dire par des mouvements subits que nous ressentons, des éclairs qui nous découvrent quelque vérité de la foi, des jets de feu qui nous embrasent de l’amour de tout ce qui est bon et saint.

1) Le bruit dont parle l’Écrivain sacré se fait entendre soudainement. L’inspiration d’en haut, la visite de l’Esprit-Saint n’est attachée ni à un certain jour, ni à une certaine heure. On la reçoit quand on y pense le moins, lorsque le dispensateur de toute grâce le veut et de la manière qu’Il le veut. L’Esprit, disait le Sauveur, souffle où Il veut parce que ses inspirations sont des effets de sa pure miséricorde. Nous devons donc Le supplier en tout temps de venir et attendre sa venue, laissant à sa paternelle providence le soin de déterminer le jour et l’heure de sa visite. Elle sera toujours imprévue, mais elle aura toujours lieu au moment le plus convenable.

2) Ce fruit vient du ciel. Il ne part point, comme le vent ordinaire, de l’orient ou de l’occident, du septentrion ou du midi ; car ce n’est point de la terre que l’inspiration de Dieu prend son origine, mais du ciel. Tout don excellent, dit l’apôtre saint Jacques, et tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières. Le don excellent, c’est le Fils ; le don parfait, c’est le Saint-Esprit. L’un et l’autre, avec tous les biens qui dérivent de ces deux sources, viennent du ciel et nous sont envoyés par le Père éternel, de qui procèdent le Fils et le Saint-Esprit.

Ô Père des lumières, faites descendre sur moi du plus haut des cieux ce don excellent et ce don parfait. Arrachez-moi à la terre et enlevez-moi par la vertu de ce souffle puissant jusqu’au lieu d’où il vient.

3) Ce bruit est semblable à celui du vent ou de l’air. C’est pour signifier que le Saint-Esprit opère en nous, par ses inspirations, des effets merveilleux et surnaturels analogues à ceux de l’air dans l’ordre naturel. C’est l’Esprit-Saint qui nous donne et nous conserve la vie de la grâce. C’est par son souffle que nous respirons. Ce souffle amortit en nous les ardeurs de la concupiscence ; il nous purifie en séparant dans nos âmes la paille d’avec le bon grain, et ce qu’il y a de précieux et d’excellent d’avec ce qui est vil et imparfait ; enfin il nous pousse et nous excite à fuir le péché et à embrasser la vertu. De sorte que, comme nous respirons l’air, que nous vivons par l’air et que la privation de l’air nous ôterait la vie, de même, c’est dans l’Esprit-Saint que nous avons l’être, le mouvement et la vie de la grâce, dont Il est seul l’auteur et le conservateur.

Ô Esprit de vie qui avez ressuscité par votre souffle les morts que Dieu fit voir au prophète Ézéchiel, soufflez sur tant d’âmes mortes par le péché et rendez-leur la vie de la grâce. Ô vent céleste du midi, soufflez dans le Jardin de mon âme ; faites-en refleurir les arbres à demi morts, c’est-à-dire les vertus faibles et languissantes ; faites-leur produire en abondance des fleurs et des fruits à la gloire du Seigneur et pour l’édification du prochain. Ô Dieu éternel qui, pour sauver de la mort les trois jeunes Hébreux au milieu de la fournaise de Babylone, avez changé les flammes en un vent rafraîchissant, envoyez-moi votre Saint-Esprit afin que, comme un souffle bienfaisant, Il tempère en moi les ardeurs de la sensualité et excite toutes mes puissances à Vous louer éternellement.

4) Ce vent du ciel est impétueux. C’est pour marquer avec quelle force et quelle ardeur l’Esprit-Saint porte les âmes à la pratique des vertus. Sa violence néanmoins est toujours douce parce qu’elle procède de son amour et ne blesse pas notre liberté. Mais Il hait la négligence et la tiédeur. La grâce du Saint-Esprit, dit saint Ambroise, est ennemie de la lenteur et de la paresse dans les bonnes œuvres. Aussi, quand Il entre dans une âme, Il la conduit comme un vaisseau qui vogue à pleines voiles, le vent en poupe, sans travail et avec une extrême rapidité. Mais Il est en même temps un pilote expérimenté qui gouverne habilement son navire et le mène sûrement au port. C’est de ces âmes ferventes et généreuses que saint Paul a dit : Tous ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu, sont les enfants de Dieu.

Ô Esprit divin, qui portez vos enfants bien-aimés avec une ferveur persévérante aux œuvres de vertu et de sainteté, descendez dans mon âme comme un vent impétueux et poussez-la fortement partout où votre bon plaisir l’appelle. Mais, de peur qu’elle n’échoue par une ferveur indiscrète, dirigez-la Vous-même dans toutes ses voies afin qu’elle arrive heureusement au port de l’éternelle félicité.

5) Le bruit de ce vent impétueux, semblable à un coup de tonnerre, se fait entendre dans toute la ville. Ce dernier trait nous montre que l’Esprit de Dieu opère dans les saints, et par leur moyen, des effets qui retentissent dans tout le monde, soit par l’exemple de leur vie parfaite, soit par leurs œuvres extraordinaires ou tout à fait miraculeuses, soit particulièrement par la force de leur parole et de leur prédication. C’est ce qui paraît dans les apôtres dont il est écrit : Leur voix s’est répandue par toute la terre, et leur parole s’est fait entendre jusqu’aux extrémités du monde. Ainsi le Sauveur nomma les deux fils de Zébédée enfants du tonnerre, parce qu’ils devaient prêcher l’Évangile aux nations avec une voix de tonnerre.

Ô Dieu de mon cœur, faites retentir votre voix à mes oreilles ; que votre inspiration touche efficacement mon âme afin que j’entreprenne et que j’accomplisse, avec votre secours, des œuvres importantes qui édifient mon prochain et excitent les hommes à Vous glorifier éternellement.

III. — Puissance de ce vent impétueux

Et il remplit toute la maison où les disciples étaient assis.

1) L’Esprit-Saint remplit toute la maison, pour signifier que, dans la loi de grâce, il se communique avec abondance et avec plénitude aux fidèles, afin qu’ils puissent s’acquitter parfaitement de toutes les œuvres de piété, de tous les exercices de la charité chrétienne, de toutes les obligations de leurs différents états, de tous les ministères sacrés qui leur sont confiés dans l’Église, en quoi la loi de grâce l’emporte comme infiniment sur la loi de nature et sur la loi écrite. Un ami de Job dans la loi de nature, et le prophète Élie dans la loi écrite, furent favorisés de la visite de l’Esprit de Dieu, et ils Le comparent à un souffle léger, au sifflement d’un vent faible et subtil ; car alors Il ne se donnait que par mesure. Mais depuis la Passion de l’Homme-Dieu, Il vient comme un vent impétueux qui remplit toute la maison parce qu’Il se donne sans réserve et qu’Il distribue toute sorte de grâces à toute sorte de personnes. Le Sauveur lui-même, pendant sa vie mortelle, ne communiquait pas les dons du Saint-Esprit avec tant de libéralité. C’est pourquoi saint Jean disait que le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’était pas encore glorifié. Mais après sa résurrection, les cataractes du ciel furent ouvertes : un déluge de grâces inonda notre terre, et la rendit fertile en fruits de sainteté. Isaïe, ravi de cette merveille, s’écriait : La terre est remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer l’est des eaux qui débordent sur le rivage.

Quelles actions de grâces Vous rendrai-je, ô mon très doux Rédempteur ? Sur la croix, Vous avez versé des ruisseaux de sang par les plaies de votre corps adorable ; et, en vertu de ce sang divin, Vous avez ouvert les sources du ciel pour répandre votre Esprit sur tous ceux qui désirent profiter des mérites de votre Passion ! Répandez-Le de nouveau, je Vous en conjure, sur toute l’Église qui est votre maison, afin que tous ses enfants Vous servent avec un redoublement de ferveur et de fidélité.

2) Ce vent remplit toute la maison et il n’y a aucun endroit si retiré ni si caché qu’il ne pénètre. Par où nous voyons que le Saint-Esprit, autant qu’il dépend de Lui, s’offre et se communique généralement à tous les hommes, en quelque partie du monde qu’ils soient. Il vérifie de la sorte cette parole du Sage : L’Esprit du Seigneur remplit l’univers ; et cette promesse de Dieu à son peuple : Dans les derniers temps, Je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards des songes mystérieux. En ces jours-là, Je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront.

3) Le Saint-Esprit voulut nous apprendre que quand Il entre dans une âme à la manière d’un vent impétueux, Il la remplit tout entière, Il occupe toutes ses puissances et n’y laisse rien de vide. Il remplit sa mémoire de saintes pensées, son entendement de lumières célestes, sa volonté d’affections et de désirs fervents, son appétit même de penchants au bien, et ainsi toute la maison se trouve pleine de grâces et de vertus. Il y établit surtout l’amour de Dieu et le zèle de sa gloire, la confiance en sa miséricorde, un profond respect pour sa majesté, une joie très vive de ses perfections, une extrême reconnaissance de ses bienfaits, une détestation sincère du péché, des résolutions efficaces d’obéir à Dieu, et des désirs ardents de souffrir pour lui les plus rudes travaux.

Ô divin Esprit, que ne remplissez-Vous ma mémoire et mon entendement, afin que toutes mes pensées, n’ayant point d’autre objet que Vous, s’unissent ensemble pour Vous louer comme un jour de fête ? Que ne remplissez-Vous de même mon cœur et mon appétit des plus pures flammes de votre amour afin que tous mes désirs et toutes mes inclinations soient conformes aux vôtres ? Remplissez-moi tout entier de votre divinité afin que toutes mes œuvres soient pleines devant Vous, et qu’il ne reste en moi rien de vide, rien qui puisse Vous offenser ou Vous déplaire.

4) Enfin, ce vent impétueux remplit toute la maison où les disciples étaient assis. Ces dernières paroles renferment un enseignement important. Si nous voulons véritablement que l’Esprit-Saint descende dans notre âme et l’occupe tout entière, nous devons éviter de nous répandre au dehors et de courir après les objets profanes. Il faut au contraire que nous demeurions au-dedans de nous et que nous nous conservions dans une tranquillité parfaite, nous employant à entretenir de saintes pensées, à exciter de pieux désirs, à faire quelques bonnes œuvres, en attendant que cet Esprit tout de feu descende dans notre cœur, le remplisse et le perfectionne par son amour. C’est pour cette raison que, quand Dieu se propose de visiter une âme, Il la porte au recueillement, la fait entrer en elle-même, l’établit dans un profond repos ; puis Il y entre avec la plénitude de ses dons.

IV. — Le Saint-Esprit descend en langues de feu sur les disciples

En même temps ils virent paraître comme des langues de feu, qui se partagèrent et s’arrêtèrent sur chacun d’eux.

1) Considérons pourquoi l’Esprit-Saint descendit sur les disciples sous la forme d’une flamme visible. Selon la doctrine de l’Ange de l’École, ce divin Esprit apparaît aux hommes sous des formes sensibles pour désigner les effets merveilleux qu’Il vient opérer dans les âmes qui Le reçoivent. Au baptême de Notre-Seigneur, Il prit la forme d’une colombe, symbole de l’innocence et de la fécondité qu’Il communique pour toute sorte de bonnes œuvres. Dans la transfiguration, Il parut sous la forme d’une nuée lumineuse pour signifier la doctrine dont Il éclaire les âmes et la protection qu’Il étend sur ses élus. Dans le cénacle, Il fut donné la première fois comme un souffle pour marquer que c’est de Lui que nous recevons la vie spirituelle au moyen des sacrements. Aujourd’hui, Il descend en forme de feu pour montrer que, comme le feu purifie, éclaire, brûle, s’élève en l’air, se prend et se communique à tout, se répand et transforme en soi tout ce qu’il rencontre, de même, le Saint-Esprit purifie les âmes en consumant la rouille de leurs vices et en changeant, selon le langage de l’Écriture, tout ce qu’elles ont d’écume et d’étain en un or très pur. Il éclaire l’entendement de ceux qu’Il visite, par une lumière surnaturelle qui leur fait croire les vérités de la foi avec plus de certitude que s’ils les voyaient des yeux du corps. Il allume dans leur cœur le feu de l’amour de Dieu et du prochain. Il élève leur esprit de la terre au ciel, et fait que, par la contemplation, ils y établissent leur repos, comme dans leur sphère et dans leur centre. Enfin, Il se les unit si étroitement qu’ils deviennent un même esprit avec Lui, par la participation de ses dons et par un lien d’un parfait amour. Car Il est ce feu divin dont Jésus parlait lorsqu’Il disait à ses apôtres : Je suis venu apporter le feu sur la terre ; et que souhaité-Je, sinon qu’il s’allume ?

Ô mon Sauveur, accomplissez en moi votre désir ; allumez ce feu dans mon âme, terre froide et stérile, afin qu’il consume tout ce qu’il y trouve de terrestre et qu’il l’élève au-dessus d’elle-même jusqu’au plus haut des cieux. Ô divin Esprit, puisque Vous êtes un feu dévorant, détruisez tout ce qu’il y a de vicieux en moi ; rendez-moi capable de recevoir toutes les qualités de ce feu, sa lumière, sa chaleur, sa légèreté, son activité, et transformez-moi tout à fait en lui.

2) Considérons pourquoi le Saint-Esprit descend du ciel, non en forme de cœurs, mais en forme de langues de feu. C’est pour signifier qu’Il se donne aux apôtres, non seulement afin qu’ils brûlent eux-mêmes du feu de la charité, mais encore afin que leurs langues, ressentant les effets de ce feu, publient dans tout l’univers la loi de grâce et la gloire de Jésus crucifié. Il veut qu’ils soient ainsi sur la terre comme autant de brasiers qui servent à purifier les hommes de leurs erreurs et de leurs péchés, à les éclairer de la lumière de la véritable doctrine, à les embraser des ardeurs de la charité, à les élever au désir des choses célestes et à les unir étroitement à Dieu par les chaînes de l’amour. Il veut enfin que le Fils de Dieu obtienne par-là l’accomplissement de ce qu’il souhaitait avec transport lorsqu’il disait : Je suis venu apporter le feu sur la terre ; et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ?
Remarquons de plus que le Saint-Esprit descend dans nos cœurs en langues de feu toutes les fois qu’Il allume en nous des sentiments de dévotion. La dévotion, dit saint Bernard, est la langue de l’âme avec laquelle nous parlons à Dieu ; et lorsque l’Esprit-Saint nous la communique avec plénitude, c’est une langue de feu qui ne cesse de bénir le Seigneur et de Lui chanter des cantiques de louanges.

3) Les langues se partagèrent. C’est une figure de ce que nous dit l’apôtre saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens. Il n’y a dans l’Église de Dieu qu’un même Esprit ; et toutefois il y a diversité de grâces, de ministères, d’opérations et de dons surnaturels, tels que ceux de sagesse, de science et de foi, de faire des guérisons miraculeuses, d’interpréter les Écritures, sans parler des autres. Mais c’est le Saint-Esprit qui les partage comme Il lui plaît entre les fidèles et qui donne aux ministres de l’Évangile des langues de feu afin qu’ils fassent valoir les talents qu’Il leur a confiés. Cette considération produira en nous des sentiments de reconnaissance envers l’Esprit sanctificateur qui distribue ainsi ses grâces à tous les membres de l’Église.
Réjouissons-nous et remercions-Le de toutes celles qu’Il fait, soit à nous-même, soit à nos frères, puisque les unes et les autres sont pour notre avantage. Car il en est de la société des fidèles comme des membres du corps humain. Le bien de l’œil est utile à la main et le bien de la main est utile à l’œil : l’un et l’autre se prêtent un mutuel secours.

4) Enfin les langues de feu s’arrêtèrent sur chacun des disciples. Lorsque l’Esprit-Saint descend dans nos cœurs, c’est avec l’intention d’y demeurer toujours. Jamais Il ne nous abandonnera si nous ne Le forçons pas à s’éloigner de nous. Mon Père, disait Jésus-Christ, Vous enverra un autre consolateur afin qu’il demeure éternellement avec vous. Si donc Il nous quitte, c’est par notre faute, c’est que nous manquons de sincérité et de droiture avec Dieu. Car l’Esprit de sainteté, dit le Sage, fuit le déguisement ; Il s’éloigne des pensées qui sont sans intelligence et Il se retire devant l’iniquité. Par conséquent, ô mon âme, si tu veux qu’Il demeure en toi et que jamais Il ne t’abandonne, abhorre la duplicité et l’hypocrisie ; bannis de ton cœur toute pensée et toute affection déréglée ; ne donne pas accès au vice ; car celui qui est la pureté même n’entrera point dans une âme perverse, n’habitera point dans un corps assujetti au péchés, ne demeurera, point dans l’homme qui s’est rendu semblable aux animaux privés de raison et n’a d’autre règle de conduite que les inclinations grossières des sens.

V. — Changement subit opéré dans les disciples par le Saint-Esprit

Et tous furent remplis du Saint-Esprit.

1) Considérons la bonté et la libéralité des trois personnes divines : du Père et du Fils qui envoient le Saint-Esprit ; du Saint-Esprit qui veut bien se donner Lui-même. Parmi les disciples réunis dans le cénacle, il y a inégalité de rang et de mérites ; cet Esprit divin les remplit tous de ses dons, les comble tous de joie et se donne tout entier à chacun d’eux, en sorte que tous sont vraiment pleins du Saint-Esprit, tous contents et satisfaits, sans désirer pour lors autre chose que Dieu. Il remplit principalement les puissances de leur âme et n’en laisse aucune vide. Il imprime dans leur mémoire les saintes Écritures afin qu’ils s’en souviennent toutes les fois qu’ils en auront besoin ; Il éclaire leur intelligence afin qu’ils comprennent tous les mystères qui y sont cachés ; Il grave en un instant dans leur cœur la loi de la charité en traits si profonds que, quand il n’y aurait au monde ni Loi écrite, ni Évangile, ils seraient eux-mêmes une loi vivante et l’Esprit qui les enseigne intérieurement la leur ferait observer dans toute sa perfection. En un mot, Il exerce à l’égard de chacun des disciples tous les offices qui Lui sont propres. Comme un vent rafraîchissant, Il les récrée avec suavité ; comme un soleil, Il les inonde de lumière ; comme un feu, Il les pénètre d’une chaleur céleste ; comme médecin, Il les guérit de tous leurs maux ; comme maître, Il leur apprend toutes choses et fait d’eux les maîtres des nations. De timides, Il les rend courageux ; de faibles, forts ; d’ignorants, savants ; d’envieux, charitables ; d’ambitieux, humbles ; d’imparfaits, consommés en toutes les vertus. Ô changement prodigieux ! Ô miracle de la droite du Très-Hauts ! Ô puissance infinie de l’Esprit de Dieu ! Ce que Jésus, durant trois ans, n’a fait ni par ses prédications, ni par ses exemples, ni par ses miracles, l’Esprit de Jésus, qui est la vertu d’en haut, l’opère en un moment, sans peine et sans travail.

Ô mon Sauveur, envoyez-moi ce divin Esprit afin qu’Il me change en un homme nouveau, entièrement selon votre cœur. Venez, Esprit sanctificateur ; remplissez-moi de vos dons afin que je vive non plus d’une vie terrestre, mais d’une vie céleste ; détachez-moi des biens passagers de ce monde et faites que je ne cherche ni ne désire rien hors de Vous, puisque je trouve et possède tout en Vous.

2) Tous les disciples, il est vrai, furent remplis du Saint-Esprit ; tous cependant ne le reçurent pas avec une égale plénitude. On remplit d’eau deux vases d’une grandeur inégale ; celui qui a plus de capacité en reçoit plus que celui dont la capacité est moindre. C’est ainsi que, parmi les disciples, ceux qui étaient le mieux disposés eurent une part plus abondante aux dons de l’Esprit-Saint. D’où il suit que la très sainte Vierge reçut, elle seule, plus de grâces que tous les autres ensemble, les apôtres plus que le reste des disciples, tous heureux, tous louant et remerciant le Seigneur de la faveur insigne qu’Il venait de leur accorder. Réjouissons-nous nous-même du bonheur qui leur est commun ; mais félicitons surtout la Reine du ciel des grâces extraordinaires dont elle est comblée et de la joie qu’elle ressent de voir tous les apôtres et tous les disciples remplis de l’Esprit de Dieu, selon la promesse de son divin Fils.

3) Puisqu’il est certain que le Saint-Esprit se communique avec plus de profusion aux âmes qu’Il trouve mieux disposées, excitons en nous un vif désir de préparer la nôtre avec toute la ferveur possible de Le recevoir. Quatre vertus contribueront à cette préparation. La première est la pureté de conscience ; nous l’obtiendrons en nettoyant avec soin le vase où l’Esprit-Saint doit verser ses dons. La seconde est la pureté de cœur ; nous viderons le nôtre de lui-même et de tout esprit contraire à celui de Dieu. La troisième est la confiance en Dieu ; cette vertu élargit et dilate le cœur de l’homme, non selon la mesure des mérites de l’homme-même, mais selon celle des mérites de Jésus-Christ et de sa bonté infinie. La quatrième est une oraison fervente ; elle attire le Saint-Esprit en lui demandant que, dans la distribution de ses grâces, Il ait plus égard à ce qu’Il est qu’à ce que je suis, à sa grandeur qu’à ma bassesse. Plus je m’efforcerai de pratiquer ces quatre vertus, plus j’acquerrai de dispositions pour recevoir l’Esprit-Saint avec l’abondance de ses richesses.

Ô Dieu tout-puissant, qui avez dit à votre peuple : Ouvrez votre bouche, dilatez votre cœur,  et je le remplirai, voici que j’ouvre ma bouche pour attirer votre divin Esprits ; je ne souhaite rien tant que d’avoir une âme assez grande pour contenir tous ses trésors. Remplissez mon cœur tel qu’il est et étendez-le toujours davantage par votre miséricorde afin que, s’agrandissant de plus en plus, rien ne l’empêche de recevoir sans cesse de nouvelles faveurs.

4) Considérons que la plénitude avec laquelle les disciples reçurent le Saint-Esprit, fut en rapport non seulement avec leurs dispositions personnelles, mais encore avec leurs différents ministères. Car Dieu notre Seigneur ne manque jamais de donner à chaque homme en particulier la grâce qui lui est nécessaire pour s’acquitter des fonctions qu’Il lui confie et pour satisfaire aux obligations de l’état auquel Il l’appelle. C’est ainsi qu’Il remplit de grâces la glorieuse Vierge, saint Jean-Baptiste et les apôtres, proportionnant ses dons à leur dignité et à leur emploi. Il en use de même aujourd’hui à l’égard de ceux qu’Il destine à quelque état ou à quelque ministère dans l’Église.

VI. — Les apôtres reçoivent le don des langues

Et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait de les parler.

1) Considérons la faveur particulière que le Saint-Esprit fit aux apôtres de leur donner en un instant la faculté de parler plusieurs langues pour qu’ils pussent prêcher l’Évangile par tout l’univers. Toutefois, comme ce don ne leur fut pas accordé pour leur utilité propre, mais pour le salut du prochain, c’est à nous à bénir et à remercier le Seigneur d’une grâce qu’Il leur fit pour notre avantage. Remarquons aussi que, comme la confusion des langues, entre les hommes qui entreprirent d’élever la tour de Babel, fut un châtiment de l’orgueil, de même la réunion des langues dans les apôtres fut une récompense de l’humilité. En effet, les orgueilleux enfants du premier Adam, ayant voulu construire une tour dont le faite atteignit le ciel, furent contraints d’abandonner leur entreprise et de se disperser parce qu’ils ne s’entendaient plus les uns les autres, tandis que les humbles disciples du second Adam, désireux de bâtir la tour de la perfection évangéliques qui élève les hommes jusqu’à la vue de Dieu, réussirent dans leur dessein par l’union des langues qui leur fournit le moyen de traiter avec tous les peuples et d’achever heureusement leur édifice spirituel.

Donnez-moi, ô mon Sauveur, un véritable esprit d’humilité ; purifiez ma langue avec le feu de votre amour ; rendez-moi capable de travailler à la construction de cette tour mystérieuse, non seulement dans mon âme, mais encore dans celle de mes frères afin que nous arrivions tous au comble de votre éternelle gloire.

2) Considérons que les apôtres commencèrent aussitôt à parler diverses langues, non selon leur fantaisie, mais selon que le Saint-Esprit les leur faisait parler. Ils ne disaient que ce qu’Il leur dictait, de la manière et avec la ferveur qu’Il leur inspirait. Tous leurs discours étaient de choses saintes, dites saintement, ce qu’ils observèrent toute leur vie, accomplissant ce que devait écrire un jour le grand Apôtre : Nous ne ressemblons pas à ceux qui altèrent la parole de Dieu ; mais nous la prêchons avec sincérité, comme de la part de Dieu, en la présence de Dieu et dans l’esprit de Jésus-Christ. Ce qui signifie : Nous gardons dans toutes nos conversations les quatre règles suivantes :

-        Nous nous proposons, non une fin mauvaise ou vaine, mais uniquement la gloire de Dieu, notre avancement spirituel et le salut de notre prochain.

-        Nous ne nous laissons point aller à un esprit turbulent et passionné, mais nous suivons l’Esprit divin qui est toujours calme et tranquille.

-        Nous songeons que Dieu est présent, qu’il nous écoute et qu’une seule de nos paroles ne peut lui échapper.

-        Nous évitons les discours blâmables ou profanes pour ne parler que de Jésus-Christ, de ses grandeurs ou de ce qui se rapporte à Lui.

3) L’Esprit-Saint lorsqu’Il descend dans une âme, lui fait aussitôt parler intérieurement plusieurs langues. Il lui inspire divers sentiments de dévotion que saint Paul recommandait aux nouveaux chrétiens d’exciter dans leurs cœurs, en leur disant : Remplissez-vous du Saint-Esprit ; entretenez-vous de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de vos cœurs d la gloire du Seigneur, rendant grâces en tout temps et pour toutes choses à Dieu le Père, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà les langues de feu avec lesquelles nous devons parler à Dieu dans notre intérieur, chantant à sa louange des psaumes et des cantiques. Et sur quel sujet rouleront nos entretiens ? Remercions-Le de ses bienfaits ; aimons-Le et réjouissons-nous de ses perfections ; offrons-nous de toute notre âme à Le servir ; exerçons-nous à des actes de toutes les vertus, et exécutons ainsi un concert également agréable à ses oreilles et glorieux à sa souveraine Majesté. Oh ! Que ne nous a-t-il été donné d’entendre la très pure Mère de Jésus, inspirée par le Saint-Esprit, parler toutes ces langues le jour même de la Pentecôte ! Combien ses affections étaient ardentes ; que ses louanges et ses actions de grâces étaient sublimes et embrasées ; comme son âme se fondait en s’entretenant avec son Bien-aimé ! Que n’avons-nous entendu de même les saints apôtres et les autres disciples dont les langues différentes et si bien d’accord, sous la conduite de l’Esprit de Dieu, formaient dans le cénacle la plus ravissante harmonie !

Ô divin Esprit, venez dans mon âme ; elle est muette, enseignez-lui à parler diverses langues, à produire mille affections pieuses et ferventes ; et puisque vous désirez que ma voix frappe vos oreilles rendez-la douce et mélodieuse afin qu’elle fasse entendre des sons qui Vous soient agréables, maintenant et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

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Méditation sur le 2e mystère glorieux

L'Ascension

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

I. — Jésus bénit ses disciples assemblés.

1) Tous les disciples du Sauveur, en compagnie de sa bienheureuse Mère, étant arrivés au mont des Oliviers, Il leur apparut avec une douceur ravissante et un éclat incomparable. Au lieu de les embrasser comme des amis dont Il était sur le point de se séparer, Il leur permit de baiser les plaies sacrées de ses pieds et de ses mains, d’où émanait une odeur très suave qui leur réconfortait le cœur. La très pure Marie se présenta la première, et, en qualité de mère, elle colla ses lèvres sur la plaie du côté, dans lequel elle aurait souhaité entrer, pour monter au ciel avec son Fils. Mais elle était trop résignée à la volonté de Dieu pour désirer autre chose que ce qu’Il voulait. Saint Pierre, saint Jean ainsi que les autres apôtres et les disciples s’approchèrent ensuite et baisèrent avec une dévotion et une vénération singulières les cicatrices des mains et des pieds de leur divin Maître.

2) Après cette touchante cérémonie, le Sauveur, au rapport de saint Luc, leva les mains et les bénit.
D’abord, Il leva les mains pour signifier que la bénédiction qu’Il se préparait à donner à ses amis avait pour but d’attirer sur eux, non les biens de la terre, mais ceux du ciel ; biens qui sont le fruit de sa mort sur la croix à laquelle ont été attachées ses mains divines. Il les leva toutes deux, parce que toutes deux ont été élevées étendues, et clouées au bois de son supplice ; toutes deux encore, pour représenter l’abondance de ses bénédictions et pour nous montrer qu’il est prêt à verser sur nous à pleines mains les richesses de la grâce et de la gloire. Cette considération doit produire en nous des sentiments de louange et de reconnaissance, que l’on pourrait exprimer par ces paroles du grand Apôtre : Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés de toutes les bénédictions spirituelles et célestes, par les mérites de son Fils.

Ô mon Sauveur, digne d’être béni à jamais, je vous le demande par ces mains que Vous avez levées sur la croix avec autant de douleur que d’amour, pour attirer sur moi les bénédictions d’en haut, daignez les lever encore maintenant pour bénir votre serviteur. De mon côté, je lèverai les miennes vers Vous par de ferventes prières et par des œuvres qui méritent que Vous me donniez votre bénédiction.

Ensuite Jésus bénit ses disciples, accompagnant son geste de paroles qui déclaraient la nature des biens qu’Il leur souhaitait et qu’Il demandait pour eux à son Père. On ne sait pas précisément de quels termes Il se servit, ni quelle grâce en particulier Il leur souhaita ; mais il est probable qu’Il employa quelqu’une des formules que Dieu avait dictées à Moïse et que les prêtres de l’ancienne loi devaient prononcer pour bénir les enfants d’Israël. Il leur dit donc, par exemple : Que le Seigneur vous bénisse et qu’Il veille sur vous ; que le Seigneur vous regarde d’un œil favorable et qu’Il ait pitié de vous ; que le Seigneur tourne son visage vers vous et qu’Il vous donne la paix. Peut-être aussi répéta-t-Il quelque passage de la prière qu’Il avait faite pour eux dans son discours de la Cène, où Il exprime les derniers vœux qu’Il adressa en leur faveur à son Père céleste : Père saint, conservez en votre nom ceux que Vous M’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous ; prenez-les sous votre puissante protection ; qu’ils Me suivent un jour dans votre royaume, pour y contempler la gloire que Je tiens de Vous, parce que Vous M’avez aimé avant la création du monde. Et comme les bénédictions du Fils de Dieu ne sont pas de simples paroles, mais des effets réels, en souhaitant à ses disciples l’abondance des biens du ciel, Il les combla lui-même de tous les dons surnaturels qu’Il demandait pour eux.

Ô mon Jésus, qui, lorsque Vous bénissiez vos premiers disciples, aviez présents à l’esprit tous ceux qui devaient croire en vous dans la suite des âges, faites-moi part de cette bénédiction, de laquelle dépend mon bonheur. Ne me rejetez pas comme Ésaü, qui ne put obtenir d’Isaac son père, une bénédiction pleine et entière. Bénissez-moi, Père infiniment bon, avant de me quitter ; mais que votre bénédiction attire sur moi les biens du ciel, non ceux de la terre puisque ce ne sont pas les biens de la terre, mais ceux du ciel qui peuvent me rendre heureux.

II. — Jésus quitte la terre

Le Seigneur, ayant béni ses disciples, se sépara d’eux, et ils Le virent s’élever peu à peu de la terre vers le ciel. Il y monta, non comme le prophète Élie, sur un char de feu, mais par sa propre vertu ; sa divinité, semblable à la flamme la plus pure et la plus ardente, Le transportant par un mouvement naturel au plus haut des cieux. Il s’élevait ainsi, accompagné de toutes les âmes des justes et d’un grand nombre d’esprits célestes qui étaient venus au-devant de lui. Les disciples suivaient des yeux le corps de leur. Maître, et sentaient leurs cœurs partagés par trois sentiments.

Le premier était un sentiment d’admiration. Quoi de plus nouveau que de voir un homme s’élever de lui-même dans les airs, sans difficulté et sans efforts, avec des marques illustres de puissance et de grandeur !

Le second, un sentiment de joie inexprimable. Ils se réjouissaient de voir que leur Maître était dans l’allégresse et commençait à faire éclater sa divinité. Ils n’eurent garde de déchirer leurs vêtements, comme Élisée déchira les siens lorsque Élie fut enlevé au ciel. Loin de là, ils furent ravis de voir leur Seigneur monter dans sa gloire avec tant de majesté.

Enfin, le troisième sentiment était un désir extrême de suivre celui qu’ils aimaient uniquement. Leurs cœurs du moins ne consentirent point à se séparer de Lui ; et c’est alors que s’accomplit à la lettre cette prophétie de David : En s’élevant vers le ciel, Il entraîna après Lui la captivité captive. Il emmena en effet deux sortes de captifs. Les uns, à savoir, tous les justes qu’Il avait retirés des Limbes, Le suivirent véritablement et en personne ; les autres, comme sa Mère et ses disciples, Le suivaient de toutes les affections de leurs cœurs, que l’amour avait attachés et inséparablement unis au sien.

Oh ! Que n’ai-je été du nombre de ces heureux captifs ! - Ô mon Jésus, captivez mon cœur et emmenez-le au ciel, afin qu’il y soit toujours en votre compagnie. Quelle joie je ressens de Vous voir au milieu des airs, comme un aigle qui excite ses petits à prendre leur essor et à voler après lui. Donnez-moi, Seigneur, les ailes de l’aigle, afin que je Vous suive partout. Que toute mon ambition soit de m’élever avec Vous au-dessus des choses terrestres. Hors de Vous, je ne veux rien sur la terre, et je n’ai d’autre désir que de jouir de votre présence dans le ciel.

III. — Jésus disparaît aux yeux de ses disciples.

Pendant que les disciples regardaient attentivement le Sauveur monter au ciel, une nuée L’enveloppa et Le déroba à leurs yeux.

1) Considérerons la signification mystérieuse de cette nuée qui environna Notre-Seigneur au milieu de l’air, à la vue de ses disciples. Il est à croire qu’elle était lumineuse et transparente comme il convenait à la gloire de celui qu’elle portait, et à la beauté du paradis où Il montait en triomphe. N’en doutons pas, c’est la nuée merveilleuse dont parlait le Roi-prophète quand il disait : Vous montez sur une nuée, et vous marchez sur les ailes des vents ; c’est-à-dire : Vous vous servez d’une nuée légère comme d’un char triomphal, pour vous élever dans les airs avec pompe et avec majesté. Oh ! Quelle ne fut pas la joie des apôtres lorsqu’ils virent ce char magnifique sur lequel Jésus s’élevait vers le ciel ! S’ils ne poussèrent pas un grand cri comme Élisée lorsque son maître lui fut enlevé, c’est que l’étonnement où ils étaient leur avait ôté l’usage de la voix ; mais, dans leur cœur, ils dirent comme ce prophète : Mon père, mon père, vous, le char d’Israël et son conducteur, avez disparu.

Ô Père très aimable, unique soutien des vrais Israélites, qui ne leur donnez pas moins de force pour Vous servir que de lumière pour Vous contempler, où allez-Vous ? Et comment me quittez-Vous ? Ô mon Père, le guide et le défenseur de ceux qui mettent leur confiance en vous ; recevez-moi dans ce char glorieux ; laissez-moi entrer dans ce nuage éclatant ; permettez-moi de Vous suivre, du moins en esprit, et de contempler la gloire de votre souveraine majesté.

2) Considérerons que Notre-Seigneur ayant été porté quelque temps sur cette nuée, elle L’enveloppa tout entier, et Le déroba aux yeux de ceux qui Le regardaient. Dans le sens spirituel, elle est une figure des objets créés, qui nous empêchent de voir Jésus-Christ, et nous cachent la face de Dieu, ce qui arrive de deux manières.

La première est par notre faute. Nos péchés, nos imperfections sont comme des nuées que nous mettons entre Dieu et nous, et qui nous privent de sa lumière dans l’oraison et dans la contemplation, suivant cette parole de Jérémie : Vous avez posé un nuage devant Vous ; votre prière ne peut monter au ciel. Or comme c’est nous qui avons formé ce nuage, c’est aussi à nous de le dissiper avec le secours de la grâce, par la mortification et par la pénitence. Mais nous devons d’abord examiner ce qui le compose. Est-ce l’orgueil ? Est-ce l’amour des biens de la terre ? Est-ce l’attache déréglée aux créatures ? La cause du mal une fois connue, employons les moyens efficaces pour détruire en nous ce qui s’oppose à un si grand bien, c’est-à-dire à la vue de. Dieu dans le repos de la contemplation.

La seconde manière est indépendante de notre volonté. Elle est un effet de la disposition de la Providence. Dieu se montre à nous en certains temps, et Il se cache en d’autres. Il ne veut pas que nous jouissions continuellement de sa présence, de peur que la douceur de l’oraison ne nous détourne d’autres occupations qui regardent son service. En général, la faiblesse de notre corps, les limites de notre intelligence, les sollicitudes et les misères de cette vie sont des nuées qui nous empêchent de contempler Dieu aussi clairement et aussi longtemps que nous le souhaiterions, comme celles qui passent dans l’air nous ôtent la vue du soleil.

Ô Dieu infini, qui habitez une lumière inaccessible, chassez de mon âme ces nuées épaisses que mes péchés y ont amassées ; ne permettez pas que le prince des ténèbres l’obscurcisse ou la trouble par ses tentations ; éclairez-la de telle sorte, qu’il me soit donné de contempler votre gloire même dans ce monde, en attendant que j’aie le bonheur de Vous voir éternellement dans l’autre, face à face et sans aucun nuage.

IV. — Apparition des anges.

1) Les apôtres avaient perdu de vue leur divin Maître. Cependant, étonnés et hors d’eux-mêmes, ils ne laissaient pas de regarder vers le ciel. Ils seraient demeurés longtemps dans ce ravissement si Dieu n’avait eu recours à un moyen surnaturel pour les en retirer. Il leur envoya donc deux anges sous la figure d’hommes vêtus de blanc, qui leur dirent : Hommes de Galilée, pourquoi vous arrêtez-vous d regarder en haut ? Ce Jésus, qui du milieu de vous s’est élevé dans le ciel, en reviendra un jour de la même manière que vous l’y avez vu monter. Les anges donnent ici aux disciples, et en leur personne à tous les hommes, deux avis d’une extrême importance.

Le premier, c’est que l’admiration, la suspension des sens et les autres affections de la vie contemplative doivent avoir en cette vie une règle et une mesure ; car elles ne sont point notre fin dernière, mais des moyens d’accomplir plus parfaitement la volonté divine et de nous acquitter plus exactement des obligations de notre emploi. Il y a donc une sorte de réprimande dans ces paroles des esprits célestes aux amis de Jésus : Pourquoi vous arrêter si longtemps à regarder le ciel ? Ils semblent leur dire : Cessez, ne continuez pas davantage ; mais allez, et songez maintenant aux fonctions que vous avez à remplir sur la terre.

Le second avis, c’est que les apôtres ne doivent pas séparer le souvenir de l’Ascension du Sauveur de la pensée de son second avènement. Le mystère qui s’est accompli sous leurs yeux les confirmera dans la foi au mystère dont l’accomplissement est réservé à la fin des temps. Ce sont deux vérités qu’ils annonceront ensemble dans la prédication de l’Évangile. Car, s’il se trouve des hommes qui se relâchent dans la pratique de la vertu, sous prétexte que le Seigneur est monté au ciel et qu’il est bien loin de nous, ils se sentiront animés à mieux faire à la pensée qu’Il viendra une seconde fois pour les juger. Mais quand reviendra-t-il ? Les anges se taisent à ce sujet ; ils affirment seulement qu’Il viendra, afin que nous soyons toujours dans l’attente de son retour, et dans l’appréhension du compte que nous aurons à Lui rendre. Comment reviendra-t-Il ? Comme Il est monté, quant à la grandeur et à la majesté qui éclatèrent dans son Ascension. Toutefois, celui qui, en s’élevant vers le ciel, ne donna aux hommes que des marques de bonté et de douceur, apparaîtra, en descendant du ciel, avec un visage terrible et sévère ; et Il les examinera sur tout ce qu’Il leur a recommandé avant de quitter la terre, sans pardonner à ceux qu’Il trouvera coupables.

Par conséquent, ô mon âme, au temps des biens, n’oublie pas les maux. Au jour heureux où Jésus est monté au ciel pour y être ton avocat, souviens-toi du jour redoutable où Il en descendra pour être ton juge. Pense souvent aux ordres qu’Il t’a laissés avant son départ, et tâche de les accomplir avec tant de fidélité, que tu mérites à son retour d’entrer avec Lui dans son royaume, et de participer à sa gloire durant toute l’éternité.

2) Après avoir entendu le message des anges, les apôtres adorèrent le Seigneur et retournèrent pleins de joie, du mont des Oliviers à Jérusalem. Dès qu’ils surent que leur Maître était dans le ciel, assis à la droite de son Père, ils suppléèrent par une foi vive, en fléchissant les genoux, à la faiblesse de leurs yeux qui ne pouvaient pénétrer jusqu’à son trône. Ils retournaient à la cité sainte avec allégresse ; car, bien qu’ils fussent privés de la présence visible de Jésus, ils partageaient les sentiments des âmes les plus saintes, qui préfèrent à ce qui flatte leur propre goût ce qui est agréable et glorieux à Dieu. Cette joie extrême provenait de trois causes : d’une foi ferme qui ne leur permettait plus de chanceler, après avoir vu la gloire dont les travaux et les opprobres du Sauveur avaient été récompensés, ce qui était pour eux un gage de la vérité des choses qui restaient à s’accomplir ; d’une espérance certaine que le Fils de Dieu, selon sa promesse, leur enverrait bientôt le Saint-Esprit, et qu’ils entreraient un jour dans le ciel comme Il y était entré ; enfin, de l’amour ardent qu’ils Lui portaient, et dont ils étaient tellement embrasés que, tandis que leurs pieds foulaient la terre, en retournant du mont des Oliviers à Jérusalem, leurs esprits contemplaient la gloire de leur Seigneur dans le ciel, et s’en réjouissaient comme de leur propre gloire.

3) Ces trois sentiments doivent aussi causer un contentement indicible à nos âmes. Que tous nos efforts sur la terre tendent à augmenter en nous les trois vertus de Foi, d’Espérance et de Charité ; que nous nous attachions principalement à nous réjouir de la gloire de Jésus-Christ notre Seigneur, et à nous consoler dans nos maux par l’espoir de monter un jour où Il est, et d’être à jamais avec Lui. Travaillons donc à nous défaire de tout ce qui peut mettre obstacle à un bonheur si désirable. Purifions nos cœurs de la souillure du péché ; résistons à nos penchants vicieux et déclarons la guerre à nos passions déréglées. Faisons plus : déchargeons-nous, comme d’un gênant fardeau, de tous les biens superflus de ce monde, afin de voler plus légèrement où le Fils de Dieu réside et nous appelle par ces paroles : Où est le corps, là se rassembleront les aigles. Oui, où est le corps glorieux du Sauveur des hommes, là viendront en foule ceux qui ont renouvelé leur jeunesse comme celle de l’aigle, ceux qui, par une ferme confiance en Dieu, changent de force et prennent des ailes d’aigle, pour s’élever à la plus sublime contemplation et voler ensuite partout où le service de leur Seigneur les réclame.

Ô Roi des hommes et des anges, qui, semblable à un aigle royal, tendez l’air et percez les nues, afin d’établir votre demeure au plus haut des cieux, et qui m’excitez ainsi à Vous suivre par le désir, faites que je rajeunisse comme l’aigle ; donnez-moi des forces nouvelles pour voler après Vous, pour imiter vos vertus, pour m’élever en esprit où est votre corps glorifié, pour vivre enfin de telle sorte sur la terre, que ma conversation soit dans le ciel où Vous vivez et régnez dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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Méditation sur le 1er mystère glorieux

La Résurrection

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

 

DE L’APPARITION DE NOTRE-SEIGNEUR À SA TRÈS SAINTE MÈRE,

ET COMMENT LES ANGES ANNONCÈRENT

LA RÉSURRECTION AUX SAINTES FEMMES

  

I — La manifestation de la Résurrection

1) Aussitôt après sa résurrection, le Sauveur voulut la manifester aux hommes afin qu’ils pussent en recueillir les fruits. Il le fit par trois différentes voies.

En premier lieu, Il se servit du ministère des saints qui étaient ressuscités avec Lui. Au rapport de l’évangéliste saint Matthieu, ils sortirent de leurs tombeaux après la résurrection de Jésus-Christ, vinrent en la cité sainte et apparurent à plusieurs. Ils leur déclarèrent que ce Jésus, qui avait été crucifié, était véritablement le Messie, le Roi d’Israël, le Sauveur du monde, et que déjà Il était ressuscité. Il est à croire qu’ils se firent voir entre autres à Joseph d’Arimathie et à Nicodème, pour les consoler et les affermir dans la foi en la divinité de leur Maître.

En second lieu, Jésus envoya des anges annoncer sa résurrection aux femmes pieuses qui venaient embaumer son corps, et ils leur montrèrent que son sépulcre était vide.

En troisième lieu, non content de ces deux premiers moyens, Jésus voulut se manifester en personne à ses amis et leur découvrir l’excès de sa charité. Ainsi, bien qu’Il dût naturellement, en sortant du tombeau, monter au Ciel, qui est le séjour des corps glorifiés, Il résolut néanmoins de rester plusieurs jours sur la terre pour réunir, comme un bon Pasteur, son troupeau, pour consoler ses disciples, pour les instruire de beaucoup de choses touchant le royaume de Dieu, et pour leur apparaître dans tout l’éclat de sa gloire, afin qu’ils fussent devant les peuples les témoins irrécusables de sa résurrection.

Ô Roi de gloire, que les anges et les hommes Vous louent de cet amour excessif que Vous témoignez à vos serviteurs ! Le monde n’était pas digne de Vous posséder un seul moment après votre résurrection ; mais la même charité qui Vous a retenu près de quarante heures dans les Limbes, Vous oblige de demeurer quarante jours sur la terre, afin de la sanctifier, de l’honorer par votre présence, de prouver à tous les hommes que votre changement d’état n’a pu Vous faire changer de sentiments à leur égard, et que Vous n’oubliez point dans la prospérité ceux qui Vous ont suivi dans l’adversité.

2) Considérons que Notre-Seigneur, au sens spirituel, a également trois différentes voies pour nous découvrir ses mystères, pour nous consoler et pour nous instruire.

La première est par l’entremise des personnes de piété. Ressuscitées avec Jésus-Christ, elles connaissent par expérience sa douceur, ses grandeurs, ses perfections infinies ; et, animées d’un saint zèle, elles communiquent à d’autres leurs lumières, afin que Dieu soit connu et aimé de toutes ses créatures.

La seconde est par le ministère des anges. Ils nous éclairent intérieurement, ils nous enseignent, ils nous consolent, ils lèvent tous les obstacles qui nous empêchent de jouir pleinement des biens renfermés dans Jésus glorifié.

La troisième est par Lui-même. Il nous honore de ses visites, Il nous parle au fond du cœur, Il se fait sentir à nous comme à des disciples bien-aimés, vérifiant en nous dans cette terre d’exil ce qu’Il disait dans le discours de la Cène : Celui qui aime sera aimé de mon Père ; Je l’aimerai aussi et Je me manifesterai lui.

Ô mon Jésus, faites que je Vous aime de tout mon cœur, puisque c’est un si grand bien de Vous aimer ! Oui, vous aimez celui qui Vous aime, et Vous lui découvrez qui Vous êtes, pour l’embraser de plus en plus du feu de votre amour.

II — L’apparition de Jésus à sa très sainte Mère

1) Le Sauveur ressuscité voulut que sa première visite et sa première apparition fût à sa divine Mère. Elle était dans une extrême affliction de sa mort, et ne trouvait d’adoucissement à sa douleur que dans la vivacité de sa foi et dans la fermeté de son espérance. Dès le matin du troisième jour, elle entra dans une contemplation sublime. Par ses désirs enflammés, par les soupirs qui s’échappaient du fond de son âme, elle conjurait son Fils de hâter son retour. Comme la lionne, elle cherchait à réveiller par ses rugissements le lion de Judas endormi dans le sépulcre. Levez-vous, disait-elle avec le Psalmiste, levez-vous, ô ma gloire ; sortez glorieux de votre tombeau pour glorifier tous vos amis. Levez-vous, mon luth et ma harpe ; sortez du fourreau où vous êtes enfermés, et réjouissez par une douce harmonie les cœurs que votre mort a plongés dans la tristesse. Vous avez dit : Je me lèverai au point du jour. Paraissez donc, Soleil de justice, devancez l’aurore impuissante à nous éclairer, et dissipez par l’éclat de vos rayons l’épaisseur de nos ténèbres.

2) Pendant que la Vierge nourrissait ces désirs en son cœur, son Fils béni lui apparut tout à coup, accompagné de trois nombreuses et brillantes troupes. La première était composée d’anges, la seconde, d’âmes glorieuses, la troisième de justes ressuscités. Marie vit sans être éblouie son Jésus dans toute la splendeur de sa gloire ; car Il lui fortifia les yeux du corps et ceux de l’âme, afin qu’elle eût la satisfaction de Le contempler à loisir, et de jouir pleinement de sa divine présence. Oh ! Quelle joie, quelle allégresse, quels transports excita dans le cœur de la Mère la glorieuse visite du Fils ! Elle pouvait dire avec vérité : Je serai rassasiée quand paraîtra votre gloire. Avec quelle tendresse ils se pressèrent dans les bras l’un de l’autre ! Qu’ils s’adressèrent de douces et consolantes paroles ! La Mère baisait avec amour les plaies de son Fils, et ces blessures qui avaient été pour elle des sources de désolation profonde, se changeaient en torrents de délices ; Dieu proportionnant les consolations aux douleurs. En même temps, tous ceux de la suite du Sauveur la saluèrent ; ils la reconnurent pour la Mère de leur Dieu et de leur Libérateur, et ils la remercièrent de tout ce qu’elle avait fait et souffert pour contribuer à leur rédemption. Oh ! Quel plaisir ce fut pour elle de voir en ces âmes rachetées les fruits abondants de la Passion de son Fils ! Elle L’en félicita et s’en réjouit avec Lui, pendant que les anges célébraient ce glorieux jour par des cantiques de joie en l’honneur de Jésus et de Marie.

3) Enfin Jésus, ayant demeuré longtemps avec sa bienheureuse Mère, et l’ayant instruite des plus hauts mystères de la foi, lui assura qu’Il serait encore plusieurs jours sur la terre, et qu’Il la visiterait souvent ; puis Il la quitta, la laissant remplie d’une immense consolation qu’elle ne découvrit à personne. Car, comme cette humble et prudente Vierge ne voulut rien manifester du mystère de l’Incarnation, pas même à Joseph son époux, à qui l’ange le révéla le premier ; ainsi ne parla-t-elle point aux apôtres ni aux saintes femmes de cette visite de son Fils, avant que les anges ou Jésus lui-même ne les eussent informés de sa résurrection.

Ô Vierge sainte, quelles félicitations vous adresser en ce jour ! Nous chanterons le cantique de l’Église : Reine du ciel, réjouissez-vous, alléluia ; parce que celui que vous avez porté dans votre sein, alléluia, est ressuscité comme il l’a dit, alléluia. Priez pour nous le Seigneur, alléluia, obtenez-nous la grâce de chanter dans Sion, notre éternelle patrie, l’alléluia qui n’aura jamais de fin.

III. — Les anges annoncent aux pieuses femmes que le Sauveur est ressuscité

1) Dans le même temps, Notre-Seigneur voulut faire connaître, par l’entremise des anges, sa résurrection aux saintes femmes qui l’avaient suivi, et dont les évangélistes louent la piété en ces termes : Marie-Madeleine, Marie mère de Jacques, Salomé, et d’autres femmes dévotes, qui étaient demeurées dans le repos le jour du sabbat, par respect pour une fête si solennelle, allèrent au sépulcre le dimanche de grand matin, lorsque les ténèbres régnaient encore, portant les aromates qu’elles avaient préparés ; et elles se disaient l’une à l’autre : Qui nous ôtera la pierre qui ferme l’entrée du sépulcre ?

L’exemple de ces saintes femmes nous apprend avec quelle dévotion nous devons chercher le Fils de Dieu ; voyons quelles vertus elles pratiquent pour le trouver.

La première est une obéissance exacte à la loi. Malgré leur désir extrême d’embaumer le corps de Jésus, elles cessent tout préparatif le jour du sabbat, pour ne point enfreindre le précepte du Seigneur. Ce qui nous montre que, sous prétexte de piété, il n’est point permis de manquer à l’obéissance.

La seconde est une diligence extraordinaire. Elles se lèvent avant le jour ; surmontant la timidité si naturelle à leur sexe, elles ne craignent point de sortir et de marcher la nuit, tant il leur tarde de rendre ce dernier devoir à leur Maître. C’est avec ce saint empressement que la Sagesse incarnée veut que nous la cherchions. Ceux, dit-elle, qui me cherchent dès le matin, me trouveront. Et le Sage nous avertit qu’il faut prévenir le lever du Soleil pour recueillir la manne des consolations célestes. Ce met choisi est réservé à l’homme diligent et refusé au paresseux.

La troisième est une ferme confiance en Dieu et une persévérance dans le bien que les difficultés ne sauraient ébranler. Car, bien que ces femmes n’aient pas la force de remuer la pierre qui ferme l’entrée du tombeau, elles ne laissent pas de continuer leur chemin, dans l’espérance que le Seigneur leur viendra en aide. Aussi en récompense de leur confiance trouvèrent-elles, en arrivant, la pierre ôtée et le sépulcre ouvert. C’est ainsi qu’en use la Providence à l’égard de ceux qui se reposent sur Elle dans les choses qui concernent le service de Dieu.

2) Voici, d’après les évangélistes, les principales circonstances de cet événement miraculeux. Tout à coup, un violent tremblement de terre se fit sentir. Car l’ange du Seigneur descendit du ciel, renversa la pierre qui était à l’entrée du sépulcre et s’assit dessus. Son visage était comme l’éclair et ses vêtements comme la neige. Les gardes furent remplis d’effroi et demeurèrent comme morts. Les femmes étant arrivées au sépulcre, virent que la pierre n’y était plus. Elles y entrèrent donc, mais elles aperçurent un jeune homme assis à droite, revêtu d’une robe blanche, et elles furent enrayées. Pour vous, leur dit-il, ne craignez point. Je sais que vous cherchez Jésus de Nazareth crucifié. Il n’est plus ici : il est ressuscité comme il l’a dit. Venez, et voyez le lieu où le Seigneur était placé.

Considérons en premier lieu, l’air majestueux et la beauté de ce prince de la cour céleste ; admirons la force de son bras qui remue sans efforts l’énorme pierre du sépulcre, et qui fait trembler la terre. Il étonne et les méchants et les bons, mais d’une manière bien différente. Pour les méchants, ce sont ici les gardes, il les renverse par terre et les laisse à demi-morts parce qu’ils ne sont pas dignes de contempler son visage resplendissant ; quant aux saintes femmes, il les rassure par de consolantes paroles. Ne craignez point, vous autres, leur dit-il, ce qui signifie : Laissez la crainte aux, soldats, qui sont les ennemis de Jésus ; pour vous, n’appréhendez rien, car je vous annonce une heureuse nouvelle ; celui que vous cherchez est ressuscité.

Considérons, en second lieu, que l’ange donne au Sauveur un nom nouveau. Il l’appelle Jésus de Nazareth, crucifié. Pourquoi ? Il connaît bien les sentiments du cœur de Jésus-Christ. Il sait que cet Homme-Dieu met sa gloire dans les opprobres, et qu’il se fait honneur d’avoir été crucifié pour nous.

Ô Jésus de Nazareth, crucifié, jamais Vous n’avez porté à plus juste titre le nom de Nazaréen que sur la croix. C’est sur cet arbre que Vous avez produit des fleurs et des fruits. Quelles fleurs ? Celles de vos vertus. Quels fruits ? Ceux de notre sanctification, dont Vous jouissez dans votre glorieuse Résurrection. Oh ! Quand Vous chercherai-je avec l’ardeur qui consumait le cœur du grand Paul ! Quand me glorifierai-je avec lui de ne savoir, de ne désirer que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ! – Ô ange saint, venez à mon aide. Fortifiez-moi par l’odeur de ces fleurs, et par la saveur de ces fruits ; car je languis d’amour, et je brûle du désir de contempler Jésus de Nazareth, qui a été crucifié pour moi !

 Considérons, en troisième lieu, que ces femmes, malgré leur piété, n’étaient pas dignes de voir le Sauveur, à cause de leur peu de foi. C’est pour cela que le messager céleste, afin de les disposer à cette faveur, cherche à réveiller leur foi endormie, en leur disant : Entrez et voyez le lieu où on L’avait mis, et alors vous croirez qu’Il est vraiment ressuscité. Il veut aussi ranimer leur charité, en ajoutant : Allez promptement porter cette nouvelle à ses disciples, et à Pierre. Il nomme Pierre en particulier, de peur qu’il ne se décourage au souvenir de son infidélité. Mais il avait lavé son péché dans ses larmes et il méritait bien d’être consolé. Comprenons par-là que le manque de foi malgré de bonnes dispositions est ordinairement ce qui nous prive de la vue et de l’entretien de Notre-Seigneur. D’où nous conclurons que, pour attirer ses visites, nous devons croître de plus en plus dans les vertus qui nous disposent à Le recevoir, sans nous laisser aller à la défiance, malgré nos fautes nombreuses, puisque la faiblesse de saint Pierre ne l’empêcha pas de voir le Maître plein de bonté qu’il avait eu le malheur de renier.

 Considérons, en dernier lieu, comment les femmes, ayant pénétré dans l’intérieur du sépulcre, ne trouvèrent point le corps du Seigneur Jésus. Or il arriva, pendant qu’elles étaient dans la consternation, que deux hommes revêtus de robes éclatantes parurent près d’elles. Et comme elles étaient saisies de frayeur et baissaient la tête vers la terre, ils leur dirent : Pourquoi cherchez vous parmi les morts celui qui est vivant ? Il n’est point ici ; Il est ressuscité. Rappelez-vous comment Il vous a parlé lorsqu’Il était encore en Galilée. Il faut, disait-Il, que le Fils de l’homme soit livré entre les mains des pécheurs, qu’Il soit crucifié le troisième jour. Et elles se souvinrent des paroles de Jésus. Et étant sorties du sépulcre avec crainte et avec une grande joie, elles coururent porter cette nouvelle aux onze apôtres et à tous les autres disciples.

Cet exemple nous montre qu’une dévotion constante envers le Sauveur mérite un surcroît de grâces et de consolations célestes. Ces pieuses femmes ne virent d’abord qu’un seul ange ; mais continuant à chercher le corps de Jésus, elles en virent deux qui leur tinrent le même langage que le premier et les confirmèrent dans la foi par ce doux reproche : Pourquoi persistez-vous à chercher parmi les morts celui qui est vivant et ressuscité ? Nous voyons de plus que les anges ont coutume de nous rappeler les paroles de Notre-Seigneur, et qu’ils s’en servent pour nous instruire, pour nous consoler, pour affermir notre foi, pour ranimer notre espérance, pour enflammer notre charité, en un mot, pour nous rendre dignes de voir Jésus glorifié.

Anges bienheureux, fidèles gardiens de nos âmes, si vous voyez que la mienne cherche parmi les morts celui qui est vivant, c’est-à-dire, si elle cherche Jésus-Christ parmi les choses périssables de ce monde, reprenez-la, je vous en conjure, et redressez-la, afin qu’elle Le cherche où Il est, dans la terre des vivants : c’est là qu’Il règne avec les siens, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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