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Lettre de liaison n° 90 (31 janvier 2019)
Chers amis,
Pour que la comparaison entre les secrets de La Salette et de Fatima soit de quelque utilité (voir lettres de liaison n°88 et n°89), il convient d’abord de voir quel crédit accorder à celui de La Salette. En effet, pour beaucoup, le secret de Mélanie Calvat est une invention de la voyante et a été condamné par Rome : il n’y a donc pas lieu de s’en préoccuper. Pour d’autres, il est au moins très suspect. Qu’en est-il exactement ? Indépendamment des liens avec Fatima, la réponse à cette question est importante, car à la fin de l’apparition de La Salette, par deux fois, Notre-Dame dit à Mélanie et Maximin : « Vous le ferez passer à tout mon peuple. »
Le sujet prêtant à discussion, cette lettre sera un peu plus longue que d’habitude, car, il a paru préférable de rassembler tous les arguments dans une même lettre plutôt que de les répartir sur plusieurs lettres.
Avant d’analyser les différentes "condamnations" du secret, il est nécessaire de commencer par voir comment le secret de Mélanie fut connu par le Vatican.
Comment le secret parvint au Vatican
La Sainte Vierge ayant dit à Mélanie de ne pas révéler le secret avant 1858, c’est à partir de cette date qu’elle commença à en parler. Auparavant, elle ne révéla que quelques points essentiels sur demande expresse des évêques de Grenoble. Le 3 septembre 1858, elle envoya le secret à Pie IX. Elle était à l’époque dans un carmel en Angleterre. Se jugeant insuffisamment libre pour accomplir sa mission, après avoir obtenu l’autorisation du pape, elle rentra en France en septembre 1860 et fut reçue par les religieuses de la Compassion à Marseille.
C’est là qu’elle fit la connaissance d’un évêque italien, Mgr Petagna, évêque de Castellammare di Stabia, au sud de Naples, qui avait dû fuir l’Italie à cause de la révolution. Mgr Petagna devint le confesseur et directeur de conscience de Mélanie. Elle lui remit un exemplaire du secret ainsi qu’à plusieurs autres personnes.
Lorsque Mgr Petagna put rentrer en Italie, il proposa à Mélanie de l’accueillir dans son diocèse. C’est ainsi qu’en mai 1867, elle s’installa à Castellammare dans une maison prêtée par Mgr Petagna. Elle eut également droit à un chapelain : le père Fusco, rogationiste. Ayant repris ses fonctions épiscopales, Mgr Petagna ne pouvait plus assurer la fonction de directeur et confesseur de Mélanie. Aussi chargea-t-il l’abbé Zola de le remplacer, charge que celui-ci assuma jusqu’en 1873, date à laquelle il fut nommé évêque d’Ugento et quatre ans plus tard, évêque de Lecce, dans le sud de l’Italie.
Peu après, Mgr Petagna rendit visite Pie IX qui avait reçu la version courte du message en 1851, puis une version complète en 1858. Le pape lui dit que Mélanie ne devait pas être cloîtrée afin de pouvoir accomplir sa mission. À partir de ce moment, Mélanie put se consacrer complètement à sa mission. Dès le mois de mai 1868, Mélanie remit à l’abbé Zola un exemplaire du secret. Elle remit également un exemplaire à plusieurs ecclésiastiques, en particulier en 1870 à l’abbé Bliard et au supérieur de La Salette. Les premières éditions du secret parurent en France dès la fin de l’année 1870. L’abbé Bliard le fit paraître début 1873 à Naples dans une brochure qui reçut l’imprimatur de Mgr Sforza, archevêque de Naples, et l’approbation de Pie IX.
Entre 1872 et 1874, le directeur de l’Œuvre d’Orient, M. Girard, publia cinq livres sur le secret qui eurent les encouragements de plusieurs théologiens et évêques. Pour trois d’entre eux, il reçut même un agrément de Pie IX.
En 1876, Mélanie envoya la règle de l’ordre de la Mère de Dieu à l’abbé Bliard. En octobre, la règle fut également envoyée à Rome et fut étudiée par trois importants cardinaux de la Curie, les cardinaux Ferrieri, Consolini et Guidi.
Le 20 février 1878, Léon XIII fut élu au pontificat. Mélanie rédigea alors une brochure intitulée L’apparition de la Très Sainte Vierge sur la montagne de La Salette le 19 septembre 1846 dans laquelle elle racontait en détail l’apparition de La Salette. Elle y inséra une version complète du secret (la dernière qu’elle rédigea), exception faite de la règle de l’Ordre de la Mère de Dieu. La brochure fut achevée le 21 novembre 1878 et envoyée au Vatican.
Le 3 décembre 1878, neuf mois après son accession au pontificat, Léon XIII reçut Mélanie en audience privée. Le pape aurait pu saisir l’occasion pour exprimer un profond désaccord sur le secret et ordonner à Mélanie de se taire. Il fit exactement le contraire : il lui demanda d’aller à La Salette pour y diffuser le message et fonder l’ordre de la Mère de Dieu. Mélanie lui objecta que l’évêque de Grenoble, Mgr Fava, y était fermement opposé. Le pape lui demanda alors de rédiger des constitutions qui puissent rendre la règle applicable. Début janvier 1879, Mélanie rédigea les constitutions demandées, lesquelles furent remises à la Congrégation des Religieux qui les approuva au mois de mai suivant. Or la règle de l’ordre de la Mère de Dieu fait intégralement partie du secret confié par Notre-Dame à Mélanie. Demander à la voyante de rédiger des constitutions permettant de vivre la règle est donc une véritable reconnaissance de l’authenticité du secret par le pape lui-même.
De retour à Castellammare, Mélanie envoya à Léon XIII une copie de tous ses écrits. Enfin, le 15 novembre 1879, Mgr Zola, l’ancien confesseur de Mélanie devenu évêque de Lecce, accorda son imprimatur à la brochure que Mélanie avait achevée de rédiger l’année précédente.
1re tentative de condamnation : la lettre du cardinal Caterini
Une vive polémique s’éleva alors en France. Dès 1880, plusieurs évêques dénoncèrent l’écrit de Mélanie et tentèrent d’en obtenir une condamnation par le Vatican.
Sur intervention du cardinal Bartolini, la Congrégation de l’Inquisition demanda à Mgr Zola de retirer la brochure de Mélanie et de s’expliquer sur l’imprimatur qu’il lui avait donné. Et le cardinal Caterini demanda à Mgr Sarnelli, le nouvel évêque de Castellammare, d’interdire à Mélanie de commenter son secret.
Devant la polémique soulevée par le texte, plusieurs cardinaux demandèrent à Léon XIII de communiquer les documents qu’il avait reçus afin de vérifier qu’ils étaient bien identiques à la brochure de 1879 qui soulevait tant de problèmes. Le 27 mars 1880, s’entretenant du sujet avec le cardinal Ferrieri et le père Fusco, Léon XIII leur confia : « Ce document doit être publié ». Le lendemain, le cardinal Ledochowski, qui avait revu la brochure avant son édition, reçut l'avocat Amédée Nicolas au Vatican, et lui demanda, de la part de Léon XIII, de « rédiger une brochure explicative du secret tout entier afin que le public le comprenne bien ».
Mais la polémique continua. De nombreuses lettres parvinrent au Vatican ou à l’évêché de Castellammare. En particulier, Mgr Cortet, évêque de Troyes, affirma que cette brochure « causait du trouble en France » et demanda à la congrégation de l'Index sa condamnation. En juin, la Congrégation de l'Index se déclara incompétente : « C'est une question de fait [et non de doctrine] de savoir si oui ou non le clergé et les ordres religieux sont aussi corrompus. », et renvoya l’évêque de Troyes à la Congrégation de l’Inquisition.
Ici, il convient de rappeler la différence entre les congrégations de l’Index et de l’Inquisition. En effet, la congrégation de l'Inquisition, devenue Congrégation du Saint Office en 1908 sous Pie X, puis Congrégation pour la Doctrine de la Foi en 1965 sous Paul VI, traitait des affaires concernant les apostats et les hérétiques. L’examen et éventuellement la condamnation des livres ou écrits dénoncés à Rome ou prohibés par les autres congrégations, notamment par la congrégation de l'Inquisition, relevait non pas de cette congrégation, mais de la congrégation de l’Index qui devait, en outre, tenir à jour une liste de tous les livres devant être corrigés, l’Index. Le pape devait en approuver les mises à jour. Benoît XV supprima la Congrégation de l’Index en 1917 et chargea le Saint Office de la mise à jour l’Index, lequel fut lui-même supprimé en 1966 par Paul VI. Mais en 1880, il y avait encore deux congrégations différentes : l’Inquisition et l’Index.
Le fait que la Congrégation de l’Index ait renvoyé Mgr Cortet à la Congrégation de l’Inquisition s’explique parfaitement, car la congrégation avait examiné la brochure de 1879 quelques mois avant son impression et n'y avait rien trouvé de suspect. Elle pouvait donc difficilement se déjuger. De plus, la congrégation des Rites avait également approuvé les constitutions de Mélanie rédigées à partir de la règle de l’Ordre la Mère de Dieu.
Tous les efforts de Mgr Cortet pour obtenir la condamnation de la brochure furent vains. Il menaça alors le cardinal Caterini du retrait du Denier de Saint-Pierre, « si l'on ne faisait pas quelque chose en sa faveur ». Pour apaiser la situation, le 14 août, le cardinal répondit à l'évêque de Troyes :
Révérendissime Seigneur,
La Sacrée Congrégation de l'Inquisition a reçu de la Congrégation de l'Index les lettres de votre Grandeur relatives à l'opuscule intitulé : L'Apparition de la Très Sainte Vierge sur la montagne de la Salette. Les très Éminents Cardinaux avec moi Inquisiteurs Généraux de la Foi, jugent digne des plus grands éloges le zèle que vous avez déployé en leur dénonçant cet opuscule. Ils veulent que vous sachiez que le Saint-Siège a vu, avec le plus grand déplaisir, la publication qui en a été faite et que sa volonté expresse est que les exemplaires répandus déjà parmi les fidèles soient retirés de leurs mains partout où la chose sera possible, mais maintenez-le entre les mains du clergé pour qu’il en profite.
À la réception de cette lettre, Mgr Cortet fut très déçu, car, même si le cardinal Caterini demandait de retirer l’opuscule de la main des fidèles, il ajoutait : « mais maintenez-le entre les mains du clergé pour qu'il en profite ». Or, à elle seule cette phrase prouvait que le Vatican non seulement ne condamnait pas le document, mais validait en quelque sorte l’origine divine du secret ; car on ne maintient pas entre les mains des prêtres pour qu’ils en profitent, une brochure qui ne serait que le fruit de l’imagination d’une voyante.
N'osant donc publier cette lettre, Mgr Cortet l'envoya à l’évêque de Nîmes, Mgr Besson, lequel la fit publier dans la Semaine Religieuse de Nîmes du 5 septembre 1880, mais de façon tronquée par le communiqué suivant :
Monseigneur l'évêque de Nîmes a, comme l'ont fait plusieurs de ses collègues, dénoncé à la Sacrée Congrégation de l'Inquisition un opuscule récemment publié sous ce titre : L'Apparition de la Très Sainte Vierge sur la Montagne de La Salette, lequel contiendrait le secret de Mélanie. La Sacrée Congrégation de l'Inquisition a exprimé son jugement sur cet opuscule dans une lettre adressée à Mgr l'Évêque de Troyes, par Son Éminence le Cardinal Caterini, Préfet de ladite Congrégation. L'importance de cette décision nous oblige à la faire connaître sans retard :
Révérendissime Seigneur,
La Sacrée Congrégation de l'Inquisition a reçu de la Congrégation de l'Index les lettres de votre Grandeur relatives à l'opuscule intitulé : L'Apparition de la Très Sainte Vierge sur la montagne de la Salette. Les très Éminents Cardinaux avec moi Inquisiteurs Généraux de la Foi, jugent digne des plus grands éloges le zèle que vous avez déployé en leur dénonçant cet opuscule. Ils veulent que vous sachiez que le Saint-Siège a vu, avec le plus grand déplaisir, la publication qui en a été faite, et que sa volonté expresse est que les exemplaires répandus déjà parmi les fidèles soient retirés de leurs mains partout où la chose sera possible......
Rome, 14 août
P. Card. Caterini
La phrase « mais maintenez-le entre les mains du clergé pour qu'il en profite » était remplacée par des points de suspension !
L’évêque de Nîmes ne fut pas le seul à utiliser ce stratagème pour tenter de faire croire que le secret était condamné. Une semaine auparavant, le cardinal Caterini avait écrit une lettre très semblable au révérend père Archier, supérieur général des Missionnaires de La Salette. Le texte de cette lettre fut publié dans l’Ami du clergé du 26 août 1897 et se terminait également par une série de points de suspension, laissant entendre qu’il ne s’agissait que d’un extrait de la lettre. Et les pères de La Salette n’ont jamais voulu publier l’intégralité de la lettre.
Revenons au communiqué de l’évêque de Nîmes. Il contient une erreur : le cardinal Caterini n’était pas préfet de la congrégation de l’Inquisition, mais secrétaire. Le préfet en était à l’époque le pape.
En outre, cette lettre est écrite sur du papier sans en-tête d'une congrégation, sans numéro d'enregistrement, sans aucune marque officielle, simplement signée de la main du cardinal Caterini. Elle ne mentionne pas la date de la réunion de la congrégation, ce qui est de rigueur dans une affaire pareille. Cette lettre n’a donc aucune valeur ni canonique, ni officielle. D’ailleurs, l’expression « les éminents cardinaux et moi » signifie que ce n’est pas un document officiel de la Congrégation de l’Inquisition, mais une lettre personnelle exprimant l’avis du cardinal Caterini et de certains membres de cette congrégation. Enfin, elle est adressée au seul Mgr Cortet, évêque de Troyes et ne peut donc engager toute l’Église.
De plus, l’expression « n'a pas plu » n'est absolument pas une formule de condamnation. Un déplaisir n’est pas une condamnation formelle. Si le Saint Siège avait vraiment voulu censurer l’écrit de Mélanie et désapprouver les évêques de Naples et de Lecce, il s'y serait pris différemment : il aurait fait émettre un document officiel émanant de la Congrégation de l’Index (et non pas de l’Inquisition), lequel document devait obligatoirement porter la signature du pape. La lettre du cardinal Caterini ne pouvait donc engager ni la Congrégation de l’Index, ni le Saint-Siège, ni constituer une condamnation émanant de ces autorités.
Mélanie et Mgr Zola, directement mis cause par l’imprimatur qu’il avait donné, doutèrent que cette lettre du cardinal Caterini exprime réellement la pensée du pape. Tous deux s’enquirent auprès de diverses personnalités au Vatican, notamment deux cardinaux de l’Inquisition et de l’Index, le cardinal Ferrieri et Mgr Pennacchi, consulteur de l’Index. Tous ignoraient la lettre du cardinal Caterini. En réalité, celui-ci avait, par une simple lettre privée, engagé à faux ses collègues de l’Index et du Saint-Siège. Plus tard, le secrétaire du cardinal Caterini, qui avait rédigé la lettre, présenta ses excuses à Mgr Zola, en ajoutant qu'il avait eu la main forcée.
Quelques années plus tard, dans une lettre du 5 mars 1896, Mgr Zola révéla les dessous de cette affaire :
(…) Entre temps, on agit puissamment auprès du Saint-Siège pour que l'opuscule de Mélanie fût mis à l'index. Plusieurs ont dit qu'en cette circonstance quelques cardinaux se réunirent pour porter sur lui un jugement ; quant à ce fait je l'ignore absolument ; mais je puis affirmer avec certitude, et même officiellement, que tous les efforts pour obtenir la prohibition formelle de l'opuscule furent vains.
Seulement, à la fin, pour calmer un peu les prélats français qui continuaient à faire la guerre au secret, le cardinal Caterini, secrétaire du Saint Office, écrivit une lettre dans laquelle il disait que le Saint-Siège avait vu avec déplaisir la publication du Secret (faisant surtout allusion à la partie concernant le clergé) et ne jugeait pas qu'il fût à propos de le laisser entre les mains des fidèles.
Cette lettre disait de retirer, autant que possible, ces exemplaires des mains des fidèles. Voilà tout ce qu'on put obtenir de Rome.
Mais les journaux, mensongers comme de coutume, publièrent que le Saint-Office venait de lancer une absolue prohibition de l'opuscule, d'où surgit bientôt dans les âmes faibles un doute portant sur la réalité même de l'apparition de Notre-Dame de la Salette.
En réalité, l'opuscule de Mélanie n'a jamais été mis à l'Index : on manifesta seulement la volonté de ne pas le voir entre les mains des fidèles, précisément à cause de la partie concernant le clergé ; mais il n'y eut dans cette lettre pas un mot qui pût infirmer l'authenticité de ce même secret, ni la valeur des prophéties qu'il renfermait.
Mgr Zola précisait également :
Tous les prélats et autres dignitaires ecclésiastiques de ma connaissance qui ont connu le secret, tous sans exception, ont porté un jugement entièrement favorable au dit secret, soit par rapport à son authenticité, soit au point de vue de son origine divine, passée au crible des Saintes Écritures, ce qui imprime au secret un caractère de vérité qui en est désormais inséparable. Parmi ces prélats, qu'il me suffise de vous nommer le cardinal Consolini, le cardinal Guidi, le cardinal Riario Sforza, archevêque de Naples, Mgr Ricciardi, archevêque de Sorrento, Mgr Petagna, évêque de Castellammare, et d'autres illustres prélats dont le nom ne revient pas en ce moment à ma mémoire.
Ainsi la lettre du cardinal Caterini ne fut obtenue qu’à la suite de pressions d'une partie de certains évêques français et cherchait surtout à apaiser la violence de leur opposition.
2e tentative : La condamnation des livres de l’abbé Combe
Mais les opposants ne s’avouèrent pas vaincus. Deux livres sur le secret rédigés par un prêtre du diocèse de Moulins, l’abbé Combe, furent condamnés par la Congrégation de l’Index : le premier, Le grand coup avec sa date probable, publié en 1894, fut condamné en 1901 ; le second, Le secret de Mélanie, bergère de La Salette, et la crise actuelle, publié en 1906, fut condamné en 1907. Suite à ces deux condamnations, les opposants affirmèrent que le secret l’était aussi. Ainsi, dans le Bulletin du diocèse de Reims en date du 25 mai 1912, on pouvait lire : « le tissu de grossièretés et de sottises publié sous le titre de Secret de La Salette, etc. … ou Secret de Mélanie, etc. … avait été mis à l’Index, le 7 juin 1901 et les 12 avril 1907. » Sachant ces informations au moins en partie erronées, le marquis de la Vauzelle fit part de son étonnement à l’archevêque de Reims, le cardinal Luçon, et lui demanda si les mises à l’Index visaient réellement la brochure de Mélanie ou seulement les ouvrages où elle était citée. Le cardinal Luçon lui répondit : « Les articles du Bulletin reproduisent bien mon propre sentiment » ajoutant qu’il allait toutefois transmettre sa demande au révérend père Lépidi, Maître du Sacré Palais et membre des congrégations du Saint-Office et de l’Index.
Le 16 décembre 1912, le père Lépidi répondit au cardinal Luçon :
Voici ce qui m'a été donné de recueillir par des informations séreuses sur l'affaire du secret de La Salette vis-à-vis des Congrégations Romaines, Index et Saint-Office :
1° Le secret de La Salette n'a jamais été condamné d'une manière directe et formelle par les Sacrées Congrégations de Rome.
2° Deux livres de M. Gilbert-Joseph-Émile Combe ont été condamnés par l'Index :
- l'un en 1901 : Le grand coup avec sa date probable, étude sur le secret de La Salette, augmenté de la brochure de Mélanie et autres pièces justificatives.
- l'autre livre en 1907 : Le secret de Mélanie et la crise actuelle.
Ces condamnations regardent directement et formellement les deux livres écrits par M. Combe et nullement le secret.
Je prie Votre Excellence d'agréer, etc...
Vatican, 16 décembre 1912. Albert LEPIDI, O. P.
Ce que l’index condamnait, ce n’était donc pas le secret lui-même, mais les commentaires qu’en avait fait l’abbé Combe, commentaires parfois malheureux il faut le reconnaître. Par exemple, dans le premier livre publié en 1894, il prédisait que les catastrophes annoncées dans le secret se réaliseraient le 19 septembre 1896. Or, rien ne s’étant passé en 1896, un tel livre ne pouvait que desservir le secret de La Salette, en laissant entendre qu’il était erroné. Il méritait pour cela d’être condamné. Mais ces condamnations des livres de l’abbé Combe ne constituent nullement une condamnation du secret.
3e tentative : le décret du Saint-Office du 21 décembre 1915
Les opposants ne désarmèrent pas pour autant. Ils firent une nouvelle tentative en 1915. Lors d’un séjour à Rome, le cardinal de Cabrières, archevêque de Nîmes, demanda à nouveau la condamnation de la brochure de 1879. Peu après, le 31 décembre, dans les Acta Apostolicae Sedis paraissait un décret daté du 21 décembre :
DÉCRET sur ce que l’on appelle « le Secret de la Salette »
Il est parvenu à la connaissance de cette Suprême Congrégation qu’il ne manque pas de gens, même appartenant à l’ordre ecclésiastique, qui, en dépit des réponses et des décisions de la Sacrée Congrégation elle-même, continuent – par des livres, brochures et articles publiés dans des revues périodiques, soit signés soit anonymes – à traiter et discuter la question dite du ‘‘Secret de La Salette’’, de ses différents textes et de ses adaptations aux temps présents ou aux temps à venir ; et cela non seulement sans l’autorisation des Ordinaires, mais même contrairement à leur défense. Pour que ces abus, qui nuisent à la vraie piété et portent une grave atteinte à l’autorité ecclésiastique, soient réprimés, la même Sacrée Congrégation ordonne à tous les fidèles, à quelque pays qu’ils appartiennent de s’abstenir de traiter et de discuter le sujet dont il s’agit, sous quelque prétexte et sous quelque forme que ce soit, tels que livres, brochures ou articles signés ou anonymes, ou de toute autre manière. Que tous ceux qui viendraient à transgresser cet ordre du Saint-Office soient privés, s’ils sont prêtres, de toute dignité qu’ils pourraient avoir, et frappés de suspens par l’Ordinaire du lieu, soit pour entendre les confessions, soit pour célébrer la messe ; et s’ils sont laïcs, qu’ils ne soient pas admis aux sacrements avant d’être venus à résipiscence. En outre, que les uns et les autres se soumettent aux sanctions portées soit par Léon XIII dans la constitution ‘‘Officiorum ac munerum’’ contre ceux qui publient, sans l’autorisation régulière des supérieurs, des livres traitant de choses religieuses, soit par Urbain VIII dans le décret ‘‘Sanctissimus Dominus Deus noster’’, rendu le 13 mars 1625, contre ceux qui répandent dans le public, sans la permission de l’Ordinaire, ce qui est présenté comme révélations. Au reste, ce décret n’est pas contraire à la dévotion à la Très Sainte Vierge, invoquée et connue sous le titre de ‘Réconciliatrice de La Salette’.
Donné à Rome, au Palais du Saint-Office, le 21 décembre 1915,
Louis Castellano, notaire du Saint Office
Or ce décret ne porte la signature d'aucun des cardinaux dignitaires ou membres du Saint Office, mais uniquement celle de son notaire Louis Castellano. Il aurait au moins dû être signé par le secrétaire du Saint-Office, le cardinal Merry del Val, et par un évêque assesseur. De plus, il n’est fait mention ni de la date de la réunion de la congrégation, ni du résultat du vote sur le décret, ni de sa présentation à l'approbation du pape.
Mais, outre ce problème de forme, le décret ne condamne nullement la brochure de 1879 en général, ni le secret en particulier. Simplement, il « ordonne à tous les fidèles (…) de s'abstenir de traiter et de discuter le sujet dont il s'agit sous quelque prétexte et sous quelque forme que ce soit ». Henri Dion, historien de La Salette, dans Mélanie Calvat, bergère de La Salette, étapes humaines et mystiques, fait cette remarque très pertinente : « Le décret, qui ne rappelle nullement les prescriptions, plus optatives que formelles, du cardinal Caterini, n'interdit ni la diffusion, ni la lecture du secret, ni même de faire l'histoire de ce texte non condamné. Il interdit simplement de traiter et discuter la question, c'est-à-dire, semble-t-il, d'ajouter au texte lui-même toute explication ou commentaire. » C’est cette dernière attitude qui avait valu à l’abbé Combe la condamnation de ces deux livres.
De son côté, Jacques Maritain, professeur à l’institut catholique de Paris, rédigea une étude sur l’esprit et la portée du décret. Il remit lui-même l’étude au pape Benoît XV le 2 avril 1918, lors d’une audience privée. Le pape lui confia alors : « Le secret doit être en substance d’origine divine. » Comment une congrégation romaine aurait-elle pu condamner un secret dont le pape lui-même reconnaissait, au moins en substance, l’origine divine ?
Le décret de 1915 avait au moins le mérite de chercher à mettre fin aux abus des publications et interprétations sur le secret de La Salette.
4e tentative : le décret de 1923
Pour tenter de mettre définitivement fin à la polémique, en 1922, parut un opuscule intitulé L’apparition de la Très Sainte Vierge sur la sainte montagne de La Salette le samedi 19 septembre 1846 – Simple réimpression du texte intégral publié par Mélanie avec l’imprimatur du Sa Grandeur, Monseigneur Sauveur-Louis, comte Zola, Évêque de Lecce, en 1879, suivi de quelques pièces justificatives – Le tout publié avec l’imprimatur de R.P. A. Lépidi, O.P., Maître du Sacré-Palais, assistant perpétuel de la Congrégation de l’Index, délivré à Rome le 6 juin 1922. Il était publié par la Société Saint-Augustin Paris-Rome-Bruges et portait la date de 1922. Comme indiqué par le titre, cet opuscule rassemblait la brochure de Mélanie de 1879, six lettres de Mgr Zola, une de Mgr Petagna ainsi que des mises au point à propos de la lettre du cardinal Caterini, des mises à l’index de 1901 et 1907, et du décret du 15 décembre 1915. Et le père Lépidi avait fait suivre sa signature de la mention manuscrite en français suivante : « Ces pages ont été écrites pour la pure vérité. »
Or quelques mois plus tard, un décret du Saint-Office du 9 mai 1923 condamnait un opuscule portant le même titre : L’apparition de la Très Sainte Vierge sur la sainte montagne de La Salette le samedi 19 septembre 1845 – Simple réimpression du texte intégral publié par Mélanie, etc. Société Saint-Augustin, Paris-Rome-Bruges, 1922.
Dans la session générale de la Suprême Congrégation du Saint-Office, les Éminentissimes et Révérendissimes Cardinaux préposés à la garde de la foi et des mœurs ont proscrit et condamné l’opuscule : L’apparition de la très Sainte Vierge sur la sainte montagne de La Salette le samedi 19 septembre 1845. – Simple réimpression du texte intégral publié par Mélanie, etc. Société Saint-Augustin, Paris-Rome-Bruges, 1922 ; ordonnant, à qui de droit, de faire en sorte que les exemplaires de l’opuscule condamné soient retirés des mains des fidèles. Et le même jour, Notre Saint-Père le Pape Pie XI, dans l’audience ordinaire accordée au R. Père assesseur du Saint-Office, a approuvé, sur le rapport qui lui en a été fait, la résolution des Éminentissimes Pères.
Donné à Rome, au palais du Saint-Office, le 10 mai 1923.
Louis Castellano, notaire du Saint-Office
Ce décret fut publié dans les Acta Apostolicæ Sedis de 1923 (pages 287 et 288) avec une curieuse erreur de date : 1845 au lieu de 1846, et un titre tronqué, la mention de l’imprimatur du 6 juin 1922 ayant été omise. Comment le Saint-Office pouvait-il condamné un texte pour lequel il avait donné un imprimatur un an plus tôt ? En réalité, ce n'est pas la brochure de 1922 que le Saint-Office condamna, mais une brochure falsifiée par le docteur Grémillon. Celui-ci avait fait imprimer au même format 1 000 exemplaires de l’opuscule de 1922 mais en y ajoutant un texte d’une douzaine de pages contenant des absurdités au sujet de l'Église, texte daté du 2 février 1923 et qu’il signa du pseudonyme de Docteur Henry Mariavé. Il adressa la brochure ainsi falsifiée à une grande partie du clergé français.
De plus, la réunion du Saint-Office eut lieu en l'absence du R-P. Lepidi, malade, qui fut placé devant le fait accompli. Mais une fois rétabli, le père Lépidi maintint l’imprimatur accordé à la brochure de 1922.
5e tentative : La lettre du cardinal Pizzardo
L’affaire fut relancée une fois encore en 1957. En effet, le 8 janvier 1957, s’appuyant sur le décret du 9 mai 1923, le cardinal Pizzardo, secrétaire du Saint-Office, adressa une lettre au père Francesco Molinari, procureur général de la Congrégation des Missionnaires de La Salette, lui disant : « Je me fais un devoir de vous faire connaître que cette Suprême Congrégation a examiné et condamné, par le décret cité, l’opuscule susdit L’Apparition de la Très Sainte Vierge sur la montagne de La Salette, comportant la version du secret de 1879 édité et diffusé par la Société Saint-Augustin. (Saint-Office, 8, I, 1957). » Et il affirmait que l'opuscule était condamné « même sans la lettre du Docteur Mariavé ». Mais le cardinal n’apporte aucune preuve à l’appui de son affirmation. Il n’explique pas non plus pourquoi ce texte avait reçu un imprimatur un an plus tôt, lequel n’a jamais été supprimé. Cette lettre ne peut donc pas être considérée comme un jugement canonique. Et, de toutes les façons, pour avoir force de loi, elle aurait dû émaner officiellement de la Congrégation du Saint-Office à la suite d'une réunion ayant conduit à la rédaction d'un décret publié aux Actes du Siège Apostolique. Or tel n'est pas le cas. Cette lettre du cardinal Pizzardo n’exprime donc qu’un jugement privé, lequel va à l’encontre de toutes les approbations que le secret reçut par ailleurs.
Ainsi, par cinq fois, les opposants à La Salette tentèrent de faire croire que le secret de Mélanie tel qu’elle le rapporta dans la brochure de 1879 portant l’imprimatur de l’évêque de Lecce, était condamné. Mais l’analyse des documents sur lesquels ils s’appuient pour faire une telle affirmation, montre qu’il n’en est rien. Seuls les commentaires sur le secret, faits sans ordre du Saint-Siège ou sans avoir reçu son approbation, sont condamnés, comme le furent les publications de l’abbé Combe et du docteur Mariavé. Le secret de Mélanie, quant à lui, reçut l’approbation d’au moins trois papes (Pie IX, Léon XIII et Benoît XV) ainsi que d’un grand nombre de cardinaux ou évêques dont certains ont été béatifiés depuis.
En union de prière dans le Cœur Immaculé de Marie.
Yves de Lassus
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