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Méditation pour le 3e mystère douloureux

Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

DE L'ECCE HOMO, ET DU DERNIER INTERROGATOIRE
QUE PILATE FIT SUBIR À JÉSUS

I. — Jésus présenté au peuple

1) Quand Pilate entra dans l'endroit où se trouvait Notre-Seigneur, lorsqu'il le vit tout couvert de sang et entièrement défiguré, il pensa qu'il n'avait qu'à le faire paraître dans cet état devant le peuple pour apaiser sa fureur. Il ordonna donc aux soldats de le conduire dans un lieu élevé, d'où il pût être vu de tous ; et précédant lui-même le Sauveur de quelques pas, il dit aux Juifs : Voici que je vous l'amène afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucun crime. Alors Jésus parut devant toute la multitude, portant sa couronne d'épines et un manteau de pourpre.

Quelle confusion dut éprouver notre divin Sauveur, lorsqu'il se vit en présence d'une immense multitude dans cet ignoble travestissement, et avec quelle humilité il supporta ce nouvel affront.

2) Et Pilate dit au peuple : Voici l'homme. Ces paroles sont comme dites par Pilate en son propre nom ; puis comme venant du Saint-Esprit et du Père éternel qui les mettent dans la bouche de Pilate ; examinons comment nous devons les entendre et les prononcer nous-même.

En premier lieu, dans la pensée de Pilate, elles veulent dire : Voici cet homme qui s'attribue le titre de roi, la qualité de Messie et de Fils de Dieu. Voyez comme je l'ai fait châtier. À peine a-t-il la forme d'un homme : et cependant il est homme. Puis donc qu'il est homme comme vous, ayez pitié de votre nature, contentez-vous des châtiments que cet homme misérable a reçus.

Regardons cet homme ; considérons attentivement tout son extérieur, et qu'un si lamentable spectacle te touche de compassion pour lui. Regardons cet homme déchiré par les fouets, souillé de crachats, meurtri de soufflets, revêtu par dérision d'un manteau de pourpre, couronné d'épines, rassasié d'opprobres, accablé de douleurs. Arrêtons les yeux sur lui, et voyons avec quelle vérité il a dit de lui-même par la bouche d'un de ses prophètes : Je suis un ver de terre, et non pas un homme, l'opprobre des hommes et l'abjection du peuple. En effet, le plus beau des enfants des hommes a perdu son éclat, il est devenu méconnaissable.

En second lieu, ces mêmes paroles signifient, dans l'intention du Saint-Esprit : Voici cet homme qui paraît, il est vrai, semblable aux autres hommes, mais qui est en réalité plus qu'un homme ; car il est le Fils du Dieu vivant, le Messie promis dans la loi, le chef des hommes et des anges, le Rédempteur du genre humain, l'unique remède à tous les maux. Son amour envers les hommes l'a porté à devenir l'opprobre des hommes pour acquitter leurs dettes, et les délivrer de la mort éternelle qu'ils ont méritée par leurs péchés. Aussi est-il digne que toute la terre lui rende d'infinies actions de grâces ; que tous les peuples le reconnaissent pour vrai Dieu et vrai homme, qu'ils le louent, l'adorent et le servent dans tous les siècles.

Telles sont les qualités glorieuses, les titres de grandeur que je dois approfondir par la méditation en contemplant cet homme. Imaginons que le Saint-Esprit nous le présente à nous-même, dans l'état où Pilate le présenta aux Juifs, et qu'il nous dit : Voilà l'homme. Ces paroles nous feront éclater en transports d'admiration, de confiance et d'amour ; elles nous forceront à nous écrier : Est-il possible qu'un homme si saint, la sainteté même, soit réduit à cette extrémité 1 Que ne devons-nous pas espérer de celui qui nous a témoigné une charité si excessive ? Comment ne pas aimer de tout l'amour de notre cœur celui qui a tant fait et souffert pour nous ?

En troisième lieu, ces paroles sont comme prononcées par le Père éternel. Voici, nous dit-il, cet homme que j'ai envoyé au monde pour être le maître des hommes, le modèle de toute perfection et de toute sainteté. C'est pour accomplir cet emploi qu'il a consenti à être tellement défiguré par les tourments. Considérez donc attentivement ses vertus intérieures cachées sous des dehors si étranges et si méprisables. Voyez son humilité au milieu de tant d'opprobres ; son esprit de pauvreté dans un dénuement si absolu ; sa douceur parmi tant d'outrages ; sa patience dans les plus cruelles douleurs ; sa modestie, son obéissance, sa charité au milieu de tant d'ennemis qui blasphèment contre lui, qui le persécutent à outrance, qui ne lui témoignent que de l'horreur. Et puisque c'est pour vous servir d'exemple, qu'il a voulu perdre sa beauté et son éclat, jusqu'à devenir entièrement méconnaissable, regardez-le bien, et gravez fidèlement au fond de votre âme sa douloureuse image.

Considérons Notre-Seigneur Jésus-Christ, à l'intérieur et à l'extérieur. À l'extérieur, il paraît moins qu'un homme ; à l'intérieur, il est, plus qu'un homme ; au dehors, il est défiguré par d'affreuses plaies ; au-dedans, il est orné de grâces et de vertus incomparables. Que cette considération fasse naître en nous de vifs désirs d'imiter ses divins exemples.

En dernier lieu, exerçons-nous à prononcer moi-même ces paroles : Voilà l'homme. Nous tournant donc vers le Père éternel, disons-lui, pour le disposer à nous accorder toutes nos demandes : Père saint, voilà l'homme. Regardez cet homme couvert de blessures et horriblement défiguré à cause de nos péchés. Vous nous commandez de le regarder, afin que nous ayons compassion de lui ; et nous vous supplions de le regarder, afin que vous ayez pitié de nous. Vous voulez que nous le regardions, afin de le prendre pour modèle ; regardez-le, Seigneur, afin de nous accorder en sa considération les grâces sans lesquelles nous ne pouvons l'imiter. Père juste, nous avons tous indignement outragé votre Majesté souveraine par nos péchés ; arrêtez vos regards sur cet homme qui a souffert des tourments inouïs pour satisfaire à votre justice ; que sa vue apaise votre colère et nous obtienne le pardon de nos offenses. Ô Père des miséricordes, voilà l'homme I Regardez cet homme qui porte tous les autres hommes dans son cœur, et qui offre sa vie pour eux ; ne me regardez pas moi seul, mais regardez en même temps cet homme ; et ce que je ne mérite pas par moi-même, accordez-le-moi par ses mérites, puisqu'il souffre pour moi. Ô Dieu, notre protecteur, jetez les yeux sur nous, et regardez-la lace de votre Christ : il vous sera impossible de rejeter ceux qu'il tient cachés dans le secret de sa face adorable, si tristement défigurée pour leur salut. Contemplez celui qui est le miroir sans tache de votre Majesté ; vous reconnaîtrez en lui vos traits, puisqu'il est la figure de votre substance ; vous y verrez aussi les nôtres, car nous sommes ses images. Par l'amour que vous portez à ce Fils unique, qui vous est en tout semblable, pardonnez-nous, purifiez-nous, sanctifiez-nous, sauvez toutes les âmes créées à son image, et rachetées au prix du sang qu'il verse dans le triste état où il se trouve.

II. — Les, Juifs demandent la mort de Jésus

1) À la vue de Jésus, les princes des prêtres et leurs serviteurs se mirent d crier : Crucifiez-le, crucifiez-le.

Considérons la cruauté satanique des pontifes, des prêtres, du peuple même qu'ils ont entraîné dans leur parti. La vue du Sauveur couvert de plaies et de sang, loin d'exciter leur compassion, allume en eux le désir de le voir soumis à de nouvelles tortures. Ils répètent dans leur fureur : Crucifiez-le, crucifiez-le : ce qui signifie dans leur bouche : Vous avez bien commencé, Pilate, achevez de même ; vous l'avez fait flageller, condamnez-le à mourir sur la croix : les fouets doivent être suivis du crucifiement.

Oh ! qui pourrait dire quels furent les sentiments du cœur de Jésus lorsqu'il entendit ces cris effroyables, et qu'il vit avec quelle opiniâtreté son peuple persévérait à demander sa mort ? Les Juifs se montraient en ce point plus cruels que les Gentils ; car la férocité de ceux-ci paraissait assouvie, et la haine de ceux-là ne cessait de dire : Encore plus, encore plus. Jésus-Christ cependant se rappelait les faveurs dont il avait comblé ceux de sa nation, et voyant de quelle ingratitude ils payaient ses bienfaits, il déplorait l'aveuglement d'un peuple coupable que Dieu ne pouvait manquer de punir et d'abandonner. Comment mon cœur n'est-il point navré de douleur, quand je considère celui qui mérite d'être souverainement aimé devenu pour les siens l'objet d'une implacable haine ? Comment mon visage ne se baigne-t-il pas de larmes, quand je contemple la face de mon Seigneur baignée dans son sang, sang généreux que ses ennemis sont impatients de répandre jusqu'à la dernière goutte ? Aime donc, ô mon âme, aime tendrement celui qui a tant d'amour pour toi ; aime-le de toutes tes forces, en satisfaction de la haine injuste qui le poursuit, et efforce-toi de montrer plus d'ardeur à le servir, que les Juifs ne déploient de malice à le persécuter.

2) Pilate, indigné de l'obstination des pontifes et de leurs partisans, leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le : car pour moi je ne trouve en lui aucun crime. Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir, parce qu'il s'est fait le Fils de Dieu.

Par ces paroles, ils accusent implicitement le Sauveur d'avoir blasphémé : car ils prétendent qu'il n'a pu sans blasphème se dire le Fils de Dieu, non par adoption, mais par nature, et que, par conséquent, selon la loi, il doit être puni de mort. Ô prodigieux aveuglement d'un peuple passionné ! Il rejette comme un blasphème une vérité divine, autorisée par les Écritures, qui donnent au Messie la qualité de Fils de Dieu ; une vérité confirmée par tous les miracles que Jésus-Christ a opérés pour prouver sa divinité. C'est donc un blasphème formel de dire qu'il a blasphémé ; et ceux qui lui font ce reproche méritent la mort, selon la loi. Mais le vrai blasphème demeure impuni, et le blasphème faussement imputé ne trouve point de pardon. D'où vient cela ? De ce que Jésus veut s'humilier jusqu'à subir le châtiment dû aux blasphémateurs, afin de satisfaire pour eux à la justice de son Père et de leur obtenir miséricorde.

La conduite des Juifs nous fournit encore cette réflexion. Il est ordinaire aux méchants et aux imparfaits de se prévaloir de la loi sans se mettre en peine de la garder, à moins qu'ils n'y soient portés par quelque intérêt. Alors ils se servent de la loi comme d'un masque pour cacher leur intention perverse. Une semblable manière d'agir ne m'inspirera que de l'horreur. Sans doute il me sera permis de me glorifier de la loi ; mais avant tout je dois être jaloux de l'observer exactement. Autrement, la loi deviendrait ma condamnation ; car elle me convaincrait de désobéissance.

III. — Crainte de Pilate

Quand Pilate eut entendu ces paroles, il craignit davantage. Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : D'où êtes-vous ? Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui dit donc : Vous ne me parlez point ? Ne savez-vous pas que j'ai le pouvoir de vous faire crucifier, et que j'ai le pouvoir de vous délivrer ? Jésus lui répondit : Vous n'auriez aucun pouvoir sur moi, s'il ne vous avait été donné d'en haut.

1) Considérons pour quelle raison Pilate fut saisi de crainte quand il apprit que Jésus-Christ Notre-Seigneur se disait le Fils de Dieu. L'éclat de tant de vertus, pensa-t-il en lui-même, rend croyable que cet accusé est ce qu'il dit ; et, par conséquent, le condamner serait s'exposer à encourir l'indignation de la divinité. La douceur et la patience de Jésus devaient avoir quelque chose de bien surprenant, puisqu'elles suffirent, sans autres miracles, pour persuader à un juge païen et peu zélé pour la justice, qu'un homme si profondément humilié et traité avec tant d'inhumanité pouvait être le Fils du Dieu vivant.

2) Considérons comment ce mauvais juge, cédant à un mouvement d'orgueil, s'emporta soudainement contre Jésus, parce qu'il s'imagina que son autorité était blessée par le silence du Sauveur. Remarquons également sa présomption, sa gravité affectée, son arrogance dans les paroles dont il se sert pour relever sa dignité. Tous ces défauts sont communs chez les hommes du monde : nous devons en être fort éloigné, si nous voulons nous être du parti de Jésus-Christ.

3) Considérons tout particulièrement la prudence admirable que fait paraître notre Rédempteur, soit qu'il parle, soit qu'il se taise. Dans la circonstance présente, il se tait d'abord, parce que sa réponse n'aurait point d'autre effet que sa justification personnelle ; puis il parle, lorsqu'il s'agit de soutenir l'honneur de Dieu, et de réprimer un esprit superbe qui présume de sa puissance. Et alors il parle avec autant de liberté que s'il n'avait pas à craindre la mort. Il dit donc à son juge : Ne vous glorifiez point du pouvoir dont vous êtes revêtu, car vous ne le tenez pas de vous-même, mais du ciel. C'est mon Père céleste qui vous l'a donné ; et, sans sa permission, vous n'auriez aucune autorité sur moi. C'est ici que resplendit la bonté du Père éternel, qui abandonne son propre Fils à un juge inique, pour nous procurer une vie immortelle.

IV. — Les Juifs ont recours à l'intimidation pour obtenir la condamnation de Jésus

La réponse que le Sauveur fit à Pilate augmenta le désir que ce juge avait de le délivrer ; mais les pontifes poussaient des cris menaçants, et disaient : Si vous délivrez cet homme, vous n'êtes point ami de César. C'est-à-dire : Si vous, le renvoyez absous, nous porterons nos plaintes à César ; nous vous accuserons d'avoir rendu à la liberté un homme qui est son ennemi, un homme qui, au préjudice de César, a usurpé le titre de roi. Pilate, intimidé par ces menaces, conduisit de nouveau Jésus hors du prétoire et dit aux Juifs : Voilà votre roi. Ces paroles peuvent se considérer comme venant de Pilate, qui parle de son propre mouvement, ou comme venant de l'Esprit divin, qui les prononce par l'organe dé Pilate.

1) De son côté, Pilate les profère par dérision. Il semble dire : Voilà ce misérable, assez insensé pour s'imaginer qu'il est votre roi. Considérez-le ; reconnaissez-vous en lui un roi, ou un homme qui puisse aspirer à la royauté ? Il n'est tout au plus qu'un roi de théâtre, comme l'annoncent sa couronne, son sceptre, et sa pourpre. Portez-lui compassion, et ne pensez pas que, même en se disant roi, il soit pour César un adversaire bien redoutable.

2) Le Saint-Esprit prononce ces mêmes paroles par la bouche de Pilate, pour déclarer aux Juifs qu'ils ont devant eux leur roi si ardemment désiré. Voici, leur dit-il, votre roi ; celui que vous attendez depuis tant de siècles ; le Messie qui, selon les oracles des prophètes, doit être votre Sauveur. Il est l'héritier légitime de David ; il est le roi que Dieu a oint et sacré pour vous délivrer de la servitude du démon. Son sceptre est un sceptre de justice et son règne durera éternellement. Je vous le présente : voyez si vous le reconnaissez et si vous voulez le recevoir pour votre Seigneur.

Entrons dans ces sentiments et imaginons que ces paroles s'adressent à nous-même et à tous les fidèles. Voici votre Roi, monarque, saint et sage, doux et humble, libéral jusqu'à la munificence, que son seul amour pour vous a réduit, à l'état si lamentable dans lequel vous le voyez. Voici le Roi que Dieu le Père a établi chef de l'Église militante et de l'Église triomphante ; le Roi du ciel et de la terre, le Roi de gloire, le Roi éternel, dont le règne n'aura point de fin.

V. — Les princes des prêtres et le peuple rejettent Jésus-Christ leur véritable roi

Les Juifs s'écrièrent : à mort, à mort, crucifiez-le. Pilate leur dit : Que je crucifie votre roi ? Les pontifes répondirent : Nous n'avons point d'autre roi que César.

1) Je considérerai la fureur incroyable des Juifs qui ne peuvent pas même supporter la vue de Jésus-Christ. Ôtez-le, ôtez-le, répètent-ils unanimement ; que nos yeux ne le voient pas plus longtemps ; crucifiez-le, et finissez-en une fois avec cet homme. C'est ainsi qu'ils vérifient à la lettre ce qui est écrit d'eux-mêmes au livre de la Sagesse : Dressons des embûches au juste, parce qu'il nous est inutile, qu'il est contraire à nos œuvres, qu'il nous reproche nos manquements à la loi, et qu'il nous déshonore en décriant notre conduite. Il se vante d'avoir la science de Dieu, et il s'appelle le fils de Dieu. Il censure jusqu'à nos pensées ; il nous est odieux même à voir, car sa vie n'est point semblable à celle des autres, et ses voies ne sont point les nôtres.

2) Considérons la malice et l'aveuglement des Juifs. Ils rejettent le roi légitime que Dieu leur a donné pour être leur libérateur et leur souverain bienfaiteur, et ils acceptent pour maître un tyran qui, après les avoir dépouillés de leurs biens, les a encore privés de la liberté dont ils se sont toujours montrés si jaloux. Ils se soumettent sans réserve à un prince qu'ils ont détesté jusqu'alors, et cela en haine de la personne et de la royauté de Jésus-Christ. Mais Dieu permettra, en punition de cette félonie sacrilège, que ces partisans de César perdent leur véritable roi et leur Messie ; il permettra que le roi terrestre qu'ils se sont choisi se tourne contre eux, détruise leur ville, renverse leur temple et désole leur pays.

Appliquons ensuite ces réflexions à nous-même. Rappelons-nous combien de fois nous avons quitté le Roi du ciel pour servir un roi de la terre, pour acquérir une gloire vaine et périssable, vivant en réalité comme si nous n'eussions pas eu d'autre maître que César. Nous ne pouvons assurément faire une injure plus grave à Jésus-Christ, qu'en nous montrant l'imitateur des Juifs endurcis et infidèles.

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