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1er mystère joyeux

L’Annonciation

 Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.

COMMENT L'ARCHANGE GABRIEL VINT ANNONCER À LA BIENHEUREUSE VIERGE
LE MYSTÈRE DE L'INCARNATION : DE QUELLE MANIÈRE IL LA SALUA ET LA DÉLIVRA
DE LA CRAINTE QUE CETTE NOUVELLE LUI AVAIT CAUSÉE.

 

I. — L'archange Gabriel est envoyé à Marie

Considérons, en premier lieu, ce qui se passa dans le ciel, quand arriva le temps que Dieu notre Seigneur avait marqué pour se faire homme. Représentons-nous la Très Sainte Trinité assise sur un trône éclatant de gloire. Elle se propose de faire connaître à l'humble Vierge qui doit être la Mère du Verbe incarné, tout ce qui concerne ce mystère, et elle se détermine à lui envoyer une solennelle ambassade pour l'engager à accepter cet honneur. L'évangéliste saint Luc raconte le commencement de cette histoire en ces termes : « Dieu envoya l'Ange Gabriel dans une ville de Galilée, nommée Nazareth, à une Vierge qui avait pour époux un homme de la maison de David, appelé Joseph, et le nom de la Vierge était Marie » (Luc, 1, 26-27). Au sujet de cette ambassade, examinons quel est celui qui l'envoie, celui qui en est chargé, celle à qui elle s'adresse et quel en est l'objet, en nous efforçant de retirer de ces considérations quelque utilité pour notre âme.

1. Celui qui l'envoie est le Dieu tout-puissant, qui sans avoir besoin de ses créatures, mais uniquement parce qu'il est bon, et pour faire du bien aux hommes, se plaît à communiquer avec eux, leur envoyant des messages et des ambassades, et employant à cette fin, comme serviteurs, des créatures aussi nobles que sont les anges. Ils sont en effet, comme dit saint Paul, « les envoyés du Très-Haut, et viennent de sa part exercer leur ministère en faveur de ceux qui doivent être les héritiers du salut » (Hebr. 1, 14). Or, leur service consiste à descendre et à monter continuellement l'échelle mystérieuse que vit Jacob, afin d'apporter aux hommes les ordres de Dieu, et de reporter vers Dieu les prières et les vœux des hommes.

Ô Dieu d'une majesté infinie, qu'est-ce que l'homme pour que vous daigniez vous souvenir de lui ; et le fils de l'homme, pour que vous envoyiez ainsi les esprits célestes le visiter ? Que vos anges eux-mêmes vous louent de l'amour si tendre que vous avez pour nous !

2. Celui qui est chargé de cette ambassade est un des premiers archanges. Il s'appelle Gabriel, nom qui signifie force de Dieu, pour marquer la vertu toute-puissante, et du Seigneur qui l'envoie, et de celui qui doit se faire homme, et des œuvres que fera un jour le Verbe incarné, et des ministres qu'il emploiera pour les publier dans tout l'univers. C'est de ces hérauts de l'Évangile que le céleste ambassadeur est la figure. Plein de la vertu du Très-Haut, il est assez fort et assez puissant pour exécuter tout ce qu'il pourra lui commandera, non seulement dans une occasion aussi glorieuse que celle-ci, mais dans toute autre circonstance, quoique moins éclatante. Car toute sa gloire est de faire ce que Dieu veut ; aidé du secours de la grâce, nous devons nous revêtir de force pour accomplir en toutes choses la divine volonté.

3. Celle à qui s'adresse cette ambassade est une fille pauvre, oubliée du monde, mariée à un artisan pauvre comme elle ; et elle demeure dans une petite ville si peu estimée des Juifs, qu'à peine s'imaginent-ils qu'il puisse sortir quelque chose de bon de Nazareth a. Mais, par contre, elle est très sainte et très pure ; ce qui la rend si estimable devant Dieu, qu'il la préfère aux filles des rois et des empereurs de la terre. Car, aux yeux de ce souverain Juge, il n'y a point d'autre grandeur que la sainteté. C'est ainsi que nous devons juger nous-même, estimant uniquement ce que Dieu estime.

4. L'objet de l'ambassade est d'obtenir de cette humble Vierge qu'elle consente à accepter la maternité divine. Car la conduite du Créateur à l'égard de ses créatures est si noble, qu'il ne veut les engager dans aucune affaire difficile et importante, si elles n'y consentent librement. D'ailleurs, quoique cette maternité fût infiniment honorable, elle devait attirer après elle bien des peines. Il était donc convenable que la Vierge acceptât de son plein gré non seulement l'honneur, mais encore le fardeau, pour le porter avec plus de mérite, et le trouver plus doux et plus tolérable. — Et telle est la conduite de Dieu envers les hommes. Il ne veut ni entrer dans leur cœur par sa grâce, ni les élever à la dignité d'enfants de Dieu, sans un consentement libre de leur part, lorsqu'ils ont l'usage de la raison.

5. Enfin, considérons cette ambassade sous le point de vue spirituel, et appliquons-la à nous-même. Nous reconnaîtrons que Dieu nous envoie chaque jour des ambassades spirituelles lorsqu'il nous prévient de ses inspirations. Que sont-elles autre chose, dit saint Bonaventure, que des messagers ou ambassadeurs du Très-Haut ? Par elles, Il nous parle et nous manifeste ses volontés ; par elles, Il nous presse de lui accorder l'entrée de notre âme, et il nous exhorte à nous occuper continuellement des choses qui regardent son service. Nous devons donc, lorsque nous ressentons en nous ces saints mouvements, les recevoir avec respect comme des ambassadeurs de Dieu ; lui rendre grâces de ce qu'il daigne nous parler de la sorte ; consentir à tout ce qu'il demande de nous, et le supplier de nous faire entendre souvent sa voix.

Ô Père plein de tendresse, qui me demandez mon consentement avec autant d'amour et d'empressement que si mon intérêt était le vôtre : inspirez-moi tout ce que vous désirez que je fasse, car je suis prêt à faire tout ce que vous m'inspirerez.

II. — L'archange Gabriel salue Marie

Considérerons en second lieu, comment l'ange apparut à Marie, et de quelle manière il la salua. Il prit un corps formé d'air, semblable à celui d'un homme d'une grande beauté, et entra ainsi dans l'endroit où était la Vierge. Son extérieur modeste, respectueux et grave annonçait une vertu parfaite, et décelait la sainteté de celui qui était caché sous ces traits empruntés. Cet exemple nous enseigne ce que doivent être, dans leur extérieur, les hommes apostoliques, qui, selon la parole de saint Paul, sont les ambassadeurs de Jésus-Christ ; et aussi les religieux qui font profession de mener une vie angélique. Tout en eux doit respirer la sainteté et l'inspirer à ceux qui les voient.

Dès que l'ange fut entré, il salua la Vierge, usant, non de paroles mondaines, mais de paroles toutes divines que Dieu lui avait dictées. « Je vous salue, lui dit-il, vous qui êtes pleine de grâces ; le Seigneur est avec vous ; vous êtes bénie entre les femmes. » Cette salutation était nouvelle, ainsi que le font remarquer les Pères, et n'avait jamais été employée sur la terre. Elle avait été composée par la très sainte Trinité pour honorer Marie, pour déclarer sa sainteté et relever sa dignité aussi nouvelle que le grand mystère auquel elle se rapportait. Car, comme Jésus-Christ devait être le nouvel Adam, opposé au premier ; de même, la Vierge sa Mère devait être la nouvelle Ève, opposée à la première. C'est dans cet esprit et avec ces sentiments d'estime, qu'il convient de réciter et de méditer la Salutation angélique. Arrêterons-nous à chaque mot, pour approfondir tout ce qu'elle renferme de grandeur ; excitons en nous des affections de joie et de reconnaissance, puisqu'il est juste que nous nous réjouissions de l'élévation incompréhensible de Marie, et que nous remercions le Seigneur à qui seul elle en est redevable. Demandons enfin de participer à quelques-unes de ces grâces, et prenons la résolution d'imiter en tout ce que nous méditons ce qui est imitable.

1. JE VOUS SALUE

1. L'ange, pour manifester sa joie et ôter à la Vierge toute crainte, s'empresse de lui faire connaître qu'il est porteur d'une bonne nouvelle, et lui dit en entrant : Je vous salue. Ce qui signifie : Que Dieu vous sauve ; que la paix soit avec vous ; réjouissez-vous, et ne craignez point ; car la nouvelle que je vous apporte est une nouvelle de joie et de bonheur.

Ô Reine des vierges, de toute l'affection de mon cœur je vous salue et vous dis : Que Dieu soit votre salut, puisque c'est par vous qu'a commencé le nôtre, lorsque vous avez conçu dans votre sein notre divin Sauveur. C'est vous qui avez changé le nom d'Ève, en détournant les maux qu'elle avait attirés sur tous ses enfants, et en attirant sur nous les bénédictions célestes. Ève a été le principe du péché ; vous, vous êtes le principe de la grâce. Par Ève, la mort est entrée dans le monde ; par vous est entrée la vie. Ève nous a faits les esclaves de l'ancien serpent ; vous, vous lui avez écrasé la Miel. Réjouissez-vous, ô Vierge bénie, de l'heureux choix que Dieu a fait de vous. Donnez-moi un cœur nouveau, afin que je vous chante tous les jours un nouveau cantique de louange avec une ferveur toujours nouvelle.

2. Recherchons les causes pour lesquelles l'ange, en saluant Marie, ne la nomma point par son propre nom, et ne lui dit pas : Je vous salue, Marie, mais : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre les femmes. Il agit de la sorte pour nous faire comprendre que Dieu voulait donner à la Mère de son Fils de nouveaux noms très glorieux, comme il en avait donné au Messie dans l'Écriture ; noms, dont il veut qu'elle soit honorée par les fidèles dans toute l'Église. De même donc que nous appelons Salomon, le Sage, et saint Paul, l'Apôtre : ainsi veut-il que nous appelions la Vierge, Pleine de grâce, Bénie entre les femmes. Et comme le nom du Messie est Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous, de même, le nom le plus glorieux à Marie sera celui-ci : Le Seigneur est avec vous.

Ô bienheureuse Vierge, que d'autres vous nomment le Rejeton de la tige de Jessé, la Porte du ciel, le Trône de la Sagesse ; qu'ils inventent encore des noms nouveaux : pour moi, je veux vous appeler avec l'ange : Pleine de grâce, Demeure du Seigneur, Bénie entre les femmes ; je veux, pour votre gloire, publier les grandeurs renfermées dans ces augustes noms.

2. PLEINE DE GRÂCE

1. Examinons en quoi consiste cette plénitude, et comment la Vierge est pleine de grâce dans toutes les acceptions de ce mot. Elle est pleine de la grâce sanctifiante ; pleine de charité, de foi et d'espérance ; pleine d'humilité, d'obéissance, de patience et de toutes les vertus. Elle est pleine aussi de sagesse, de science, de piété, de crainte du Seigneur, et des autres dons du Saint-Esprit. Sa mémoire est pleine de saintes pensées ; son entendement, plein de lumières célestes ; sa volonté, pleine d'actes et d'affections ferventes d'amour et de zèle, de désirs enflammés de la gloire de Dieu, de la venue du Messie et de la rédemption du monde. Voilà l'état actuel de plénitude où l'ange la trouve, lorsqu'il entre pour la saluer. Elle est absorbée dans la contemplation des mystères de notre salut, qui l'occupent presque continuellement. De plus, elle est pleine de grâce dans toutes ses œuvres ; parce qu'elle n'en fait aucune qui ne soit pleine, entière, solide, et qui n'ait toute la plénitude possible de pureté d'intention, de ferveur et d'amour. De sorte qu'elle est infiniment éloignée de mériter le reproche que Dieu fait à cet évêque dans l'Apocalypse : « Je ne trouve point vos œuvres pleines devant moi. » (Apoc. 3,2)

2. Essayons ensuite de mesurer les dimensions de cette plénitude. Entre plusieurs vases remplis d'une liqueur précieuse, celui qui a une capacité plus grande, en contient plus que les autres. De même, plusieurs saints ont été pleins de grâce : mais la Vierge plus que tous les saints, dit l'Ange de l'École, parce qu'elle était un vase plus grand, et que sa plénitude devait répondre à la dignité de Mère de Dieu, qui surpasse incomparablement toutes les dignités et tous les emplois des autres saints. Et ce vase même, quelque grand qu'il fût, Marie l'agrandissait encore par le bon usage des grâces que Dieu y versait, et elle le rendait chaque jour capable d'en recevoir de plus grandes.

Ô Vierge très sainte, qui pourra dire combien la plénitude de grâce qui vous est propre, excède celle des autres saints qui furent eux-mêmes pleins de grâces ? Eux n'étaient que des ruisseaux ; et vous, comme le signifie votre nom, vous êtes une mer. Je me réjouis de ce que Gabriel vous appelle par excellence pleine de grâce. Il reconnaît que nulle créature ne l'a été comme vous ; et que lui-même et tous les Esprits bienheureux peuvent se dire vides, si on les compare à vous. — Ô bienheureuse Trinité, je vous remercie de la plénitude de grâce dont vous avez comblé cette Vierge souveraine, et je vous supplie, par ses mérites, de remplir le vaisseau de mon âme, qui est si petit, en y répandant la mesure de vos dons qu'il est capable de contenir. Ô Mère de miséricorde, Océan immense de grâces ; s'il est vrai que les fleuves sortent de la mer après y être entrés, qu'il sorte de votre sainte âme un fleuve de grâces qui remplisse tous les vides de la mienne, afin que mes œuvres soient pleines et parfaites devant Dieu. Ainsi soit-il.

3. LE SEIGNEUR EST AVEC VOUS

1. L'ange, par cette troisième parole, enchérit sur les éloges précédents. Le Seigneur est avec vous. Et comment ? D'une manière éminente, d'autant de manières qu'il peut être avec une pure créature. Il est avec vous, non seulement par essence, par présence et par puissance, comme il est avec tous les hommes ; et non seulement par sa grâce, comme il est avec les justes, mais par une grâce de distinction et de privilège, qui le fixe au dedans de vous et établit entre lui et vous une vraie amitié et une intime familiarité. Il est avec vous dans toutes vos puissances, les unissant à lui. Il est dans votre mémoire qu'il captive, afin que vous vous souveniez continuellement de lui ; il est dans votre entendement qu'il éclaire, afin que vous le connaissiez sans cesse ; il est dans votre volonté qu'il embrase, afin que vous l'aimiez toujours. Il est encore en vous par une protection spéciale et une providence toute particulière, veillant à tout ce qui vous touche, vous gouvernant par ses inspirations, vous conduisant dans toutes vos œuvres. Enfin, il est en vous comme dans son ciel, dans son temple, dans son lit nuptial, dans sa maison de repos ; et bientôt, il sera dans votre sein virginal comme votre fils. Je puis donc vous dire en toute vérité, et sans crainte de me tromper : Le Seigneur est avec vous.

2. Remarquons que les paroles de l'ange n'excluent aucune circonstance de temps, soit passé, soit futur ; mais plutôt qu'elles les embrassent toutes. Le Seigneur est avec vous; c'est comme s'il disait : Dès le premier moment de votre existence, le Seigneur a été avec vous ; il y est maintenant, et il y sera pendant toute l'éternité. Il ne se séparera jamais de vous ; il ne surviendra, ni en lui ni en vous, aucun changement qui diminue les soins de sa providence sur vous.

Ô Vierge trois fois heureuse, je me réjouis du bonheur inappréciable que vous avez de posséder dans vous-même le Très-Haut, sans crainte aucune d'être séparée de sa douce compagnie 1 Suppliez-le de daigner être eu moi par sa grâce, et de m'attacher si fortement à lui par les liens de son amour, qu'il soit avec moi, et moi avec lui dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

4. VOUS ÊTES BÉNIE ENTRE TOUTES LES FEMMES

C'est la dernière parole de la salutation de l'ange.

1. Vous êtes bénie entre les femmes, parce que, demeurant vierge, vous serez exempte de la malédiction attachée à la stérilité ; et devenant mère, vous ne serez point condamnée à enfanter dans la douleur, parce que vous aurez conçu sans plaisir.

2. Vous serez bénie entre les femmes, car, de même qu'une femme a été le principe de toutes les malédictions qui sont tombées sur les hommes ; ainsi vous serez le principe de toutes les bénédictions célestes qui descendront sur eux par les mérites du fruit béni de votre sein. Par lui vous écraserez la tête du serpent, et vous délivrerez le monde des malédictions que les suggestions perfides de son mortel ennemi ont attirées sur lui.

3. Pour cette victoire signalée, vous serez bénie et louée entre toutes les femmes. Les anges dans le ciel et les hommes sur la terre vous donneront mille bénédictions ; les pécheurs aussi bien que les justes vous loueront, parce que tous auront part à la bénédiction abondante que vous leur aurez méritée.

Pour moi, tout indigne que je suis d'être du nombre de vos serviteurs, je vous bénis, je vous loue et je vous glorifie ; et je ressens une joie immense de voir que toutes les créatures vous louent, vous bénissent et vous glorifient. Faites-moi participer, je vous en conjure, aux bénédictions dont votre Fils est la source, et qu'il répand sur son Église par vous, qui êtes le canal de toutes ses grâces. Délivrez-moi, ô ma Souveraine, des malédictions, que j'ai encourues par mes péchés et par les dettes que j'ai contractées envers la justice divine, afin que je puisse bénir et servir votre divin Fils dans les siècles éternels. Ainsi soit-il.

III. — Les vertus que fit paraître Marie saluée par l'ange

Considérons, en troisième lieu, comment Marie reçut le salut de l'ange. « Ayant entendu le messager céleste, elle fut troublée par ses paroles, dit l'évangéliste saint Luc, et elle songeait à ce que pouvait être cette salutation. » En cela, elle fit paraître quatre excellentes vertus que nous pouvons imiter : sa chasteté, son humilité, sa prudence, son amour du silence.

1. Elle montra l'amour extrême qu'elle avait pour la chasteté. Pourquoi se trouble-t-elle ? se demande saint Ambroise. Parce qu'elle voit soudainement un homme au milieu de sa chambre, où elle est seule. C'est le propre d'une vierge modeste de se troubler à la vue et à la première parole d'un homme : comme c'est le propre d'un homme chaste de faire un pacte avec ses yeux, à l'exemple de Job, pour écarter même la pensée d'une vierge.

2. Elle montra surtout sa rare humilité. Car au moment où l'ange parut devant elle sous la figure d'un jeune homme, elle était retirée dans sa chambre, absorbée dans la contemplation des grandeurs de Dieu, des qualités du Messie et de celle qui devait être sa Mère. Or sa profonde humilité lui inspirait de si bas sentiments d'elle-même, qu'elle ne put s'entendre saluer en termes si nouveaux et si glorieux sans se troubler, moins de la vue de l'ange, que parce qu'elle ne trouvait rien en elle qui justifiât les louanges qu'il lui donnait et les grandes choses qu'il disait d'elle.

3. Elle fit paraître sa prudence en examinant ce que pouvait être ce salut, et à quelle fin il tendait ; et en se gardant de répondre avec précipitation, avant que l'ange se fût expliqué davantage.

4. Elle se renferma donc dans son amour pour le silence, se taisant pour lors et ne répondant que par les marques visibles d'un trouble qui avait pour cause son humilité et sa pudeur.

Ô Vierge très pure, que les paroles qui vous sont adressées par votre divin Époux dans les Cantiques, cadrent bien avec votre conduite présente : Vos joues sont belles comme celles de la timide et chaste tourterelle Car dans vos traits resplendissent la beauté de votre chasteté et l'éclat de votre humilité et de votre sagesse.

Ces vertus ressortiront davantage, si nous établissons une comparaison entre la seconde Ève et la première. Celle-ci, même encore vierge, se promenait, errait çà et là dans le paradis terrestre. À la première demande que lui fit le démon, sous la forme d'un serpent, elle répondit sur-le-champ ; elle lia avec lui une longue conversation, dans laquelle elle fit paraître beaucoup de présomption, de curiosité, d'imprudence, d'envie de parler, et plusieurs autres défauts que nous n'imitons que trop fidèlement, nous qui sommes ses enfants. — Ici, supplions la Vierge très prudente de nous accorder son secours afin qu'en de telles occasions, nous nous efforcions de retracer ses vertus.

IV. — Gabriel dissipe le trouble de Marie

L'ange s'étant aperçu du trouble et de la sainte crainte de la Vierge, lui dit : « Marie, ne craignez point, car vous avez trouvé grâce devant Dieu. »

1. Ces paroles nous apprennent qu'une des propriétés du bon esprit est d'apaiser le trouble et de dissiper les craintes de l'âme, afin qu'elle soit en état de recevoir dans la paix les lumières et les visites du Seigneur. Le trouble de la Vierge était, il est vrai, exempt de toute faute ou imperfection ; mais cela prouve quel soin prennent les bons anges d'apaiser en nous les agitations qui sont l'effet du péché ou de la faiblesse de notre nature. Nous devons donc tâcher de les réprimer nous-même, de peur qu'elles ne soient un obstacle aux visites de Notre-Seigneur, et que nous ne méritions le reproche qu'il fit un jour à la sœur de Madeleine, lorsqu'il lui dit : « Marthe, Marthe, vous vous inquiétez, et vous vous troublez de beaucoup de choses. Or une seule chose est nécessaire. »

Ce calme intérieur, demandons-le à notre ange gardien, en lui adressant avec confiance cette prière :

Ange bienheureux, ôtez de mon cœur toute crainte vaine, afin qu'il soit capable de recevoir les impressions de l'amour divin; apaisez le trouble que produit en moi la pensée des choses de la terre, pour que je puisse contempler les choses célestes : content de cet unique nécessaire, dans la possession duquel consiste mon éternel repos.

2. Méditons cette douce parole que l'ange ajoute pour engager la Vierge à ne point craindre : « Car vous avez trouvé grâce devant Dieu. » Comme s'il disait : « Vous n'avez à craindre ni le démon, ni l'enfer, ni aucun ennemi, visible ou invisible ; vous ne devez vous alarmer ni des grandes choses que je vous ai dites, ni des choses encore plus grandes que je vous dirai bientôt ; car je vous fais savoir que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Cela doit suffire pour vous rassurer pleinement ; puisque c'est à cause de cela même que vous êtes pleine de grâce, que le Seigneur est avec vous, que vous êtes bénie entre toutes les femmes. Quels biens, en effet, ne peut pas attendre de la main libérale du Seigneur celui qui a trouvé grâce devant lui » ? Ô heureuse et mille fois heureuse l'âme qui trouve grâce devant Dieu ! Si les hommes regardent comme un souverain bonheur de trouver grâce devant un roi de la terre ; quel bonheur ne sera-ce pas de trouver grâce devant le Roi du Ciel ? Les bonnes grâces d'un prince temporel procurent à celui qui les possède des richesses, des honneurs, des dignités et d'autres biens passagers ; et tout cela finit souvent dans le malheur. Mais les bonnes grâces du Monarque du Ciel sont pour ses amis une source abondante de vertus et de dons célestes que rien ne peut leur ravir. Aussi, dans l'Écriture, est-il dit des plus grands saints, comme de Noé, de Moïse, de David et de quelques autres, qu'ils ont trouvé grâce devant Dieu. Mais aucun d'eux ne l'a trouvée à l'égal de la plus sainte des créatures, -qui s'est tellement approchée de Dieu, que toujours il a été avec elle, et elle avec lui, jusqu'à le renfermer dans son sein très pur, en qualité de mère.

Ô Mère pleine de douceur, je me réjouis de ce que vous avez trouvé grâce devant Dieu d'une manière si intime et si particulière ! Il est dit que la reine Esther, ayant trouvé grâce devant le roi Assuérus, fut cause du salut et du bonheur de son peuple. Faites pour nous auprès du Seigneur l'office de médiatrice, afin que nous trouvions grâce devant lui, et que nous obtenions un jour la consommation de toutes les grâces, qui est la vie éternelle. Ainsi soit-il.

3. Mais insistons principalement sur une dernière pensée. Bien que Dieu n'accorde pas cette faveur aux hommes à cause de leurs mérites, on peut toutefois se disposer efficacement à la recevoir par l'humilité ; et c'est par ce moyen que l'obtint la très sainte Vierge. C'est ce que l'Esprit-Saint veut nous faire comprendre par ces paroles : « Plus vous êtes grand, plus vous devez vous humilier en toutes choses; et vous trouverez grâce devant Dieu. Car la puissance de Dieu seul est grande, et il est honoré par les humbles. » (Eccl ; 3, 20-21) Comment les humbles honorent-ils le Seigneur ? En lui renvoyant la gloire de tout ce qu'ils ont: ce qui l'engage à les honorer encore davantage, et à leur faire de jour en jour de plus grandes grâces. — Si donc, ô mon âme, tu veux trouver grâce devant Dieu, comme la Vierge, humilie-toi ers toutes choses comme elle ; car il est écrit : « Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles. » (Jacob 4, 6)

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