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3e mystère joyeux
La Nativité
Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.
DE LA NAISSANCE DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
DANS L’ÉTABLE DE BETHLÉEM
I.- Ce que fit le Verbe incarné, encore dans le sein de sa Mère, immédiatement avant de naître
1.- Comme Il n’a point voulu anticiper l’heure de sa naissance, Il ne veut pas non plus la différer. Il naîtra ponctuellement au bout de neuf mois accomplis, et Il entrera dans le monde animé d’un ardent désir de commencer sa carrière avec ferveur et une allégresse sans pareilles. C’est ce que le Prophète royal exprime en ces termes : Il s’élancera comme un géant dans sa carrière ; il part d’une extrémité du ciel, et il ne s’arrêtera point qu’il ne soit arrivé jusqu’à l’autre. Il sait tout ce qu’Il aura à souffrir dans une course si difficile, depuis la crèche jusqu’à la croix. Il se dispose à entrer généreusement dans la lice ; et le premier pas qu’Il fera en quittant le sein de sa Mère, qui est pour Lui un ciel animé, sera de naître dans le lieu le plus vil et le plus méprisable de la terre. Rendons à notre Sauveur mille actions de grâces, et demandons-Lui la lumière nécessaire pour comprendre les abaissements incompréhensibles de sa naissance temporelle.
Ô Enfant plus fort qu’un géant, qui, comme un soleil nouveau, vous levez à l’Orient pour aller avec une extrême vitesse terminer votre course à l’Occident, c’est-à-dire sur le Calvaire, éclairez mon esprit, échauffez ma volonté, afin que je voie et contemple les merveilles de votre entrée en ce monde et que je m’efforce, avec toute la ferveur dont je suis capable, d’imiter les vertus que Vous faites paraître dans votre sainte Nativité !
2.- Considérons les largesses que l’Enfant-Dieu fit à sa bienheureuse Mère avant de naître. Lorsqu’un homme riche et puissant a été reçu chez un paysan pauvre qui lui a fait le meilleur accueil possible, non par intérêt, mais uniquement pour lui rendre service, il ne quitte point la maison de son hôte sans lui faire quelque présent considérable, soit par gratitude, soit par charité. De même, notre divin Sauveur, ayant demeuré neuf mois entiers dans le sein très pur de la Vierge où Il a trouvé la plus gracieuse hospitalité, veut, avant d’abandonner ce délicieux séjour, enrichir sa bonne Mère des dons du Ciel les plus précieux et les plus rares. Il lui accorde donc une haute intelligence du mystère de sa naissance ; Il éloigne d’elle les souffrances cruelles que ressentent les autres femmes sur le point de devenir mères et Il les remplace par une inexprimable allégresse, ne trouvant pas juste que celle qui a conçu sans plaisir enfante dans la douleur. Pour Lui, Il s’assujettira à toutes les peines de la vie ; mais Il exemptera sa Mère de celle qui est commune en cette circonstance à toutes les filles d’Adam.
Nous pouvons aussi considérer la libéralité dont Notre-Seigneur use envers les fidèles dans la sainte communion. Aussitôt que cet hôte divin entre en nous, Il nous confère la grâce propre du sacrement ; et, si nous Lui faisons un bon accueil, Il ne manque pas, avant de nous quitter, de nous communiquer plusieurs autres dons, par exemple la joie spirituelle, l’esprit de dévotion et de prière, précieuse récompense de l’hospitalité vraiment cordiale qu’Il a trouvée en nous. Songe donc, ô mon âme, à la réception que tu dois faire à ce souverain Seigneur, si tu désires qu’Il t’enrichisse et te comble de ses grâces célestes.
3.- Considérons que Notre-Seigneur Jésus-Christ, sur le point de naître, résolut de sortir du sein de Marie d’une manière miraculeuse, afin qu’elle ne cessât point d’être vierge en lui donnant le jour. Ainsi veut-Il honorer sa Mère et la récompenser des bons offices qu’elle lui a rendus depuis le premier moment de l’Incarnation jusqu’alors. Il nous montre par là que l’on ne court aucun danger à Le loger et à Le servir. Il n’a point fait de miracles pour se garantir de la souffrance ; mais Il sait en faire, quand Il le juge convenable, pour préserver ses serviteurs des moindres maux.
Ô Maître divin, vous nous découvrez admirablement en cette occasion le caractère propre du véritable amour. Il est sévère pour lui-même et doux pour les autres ; Il n’a pour soi que des rigueurs et pour le prochain que de la bonté et de la tendresse. Accordez-moi, Seigneur, l’abondance de votre grâce, afin que j’imite en ces deux points l’ardente charité dont Vous me donnez l’exemple.
II.- Ce que fit la Vierge immédiatement avant, et aussitôt après la naissance de son divin Fils
Considérons avec attention les sentiments, les paroles et les actions de la Mère de Dieu en cette circonstance solennelle.
1.- Lorsqu’elle comprit, aux consolations ineffables dont son âme était inondée, que l’heure de l’enfantement était venue, elle se retira dans un angle de l’étable, et là, ravie en une très haute contemplation, elle mit au monde son Fils unique et le prit aussitôt dans ses bras. Oh ! Quelle joie pour elle de le voir pour la première fois ! Elle ne s’arrête pas à considérer la beauté de son corps ; mais, pénétrant plus avant, elle contemple la beauté de son âme et de sa divinité. Ensuite, elle le presse amoureusement contre son cœur et le couvre de ses baisers, car Il est son fils, puis elle suspend ces marques de tendresse à la pensée qu’Il est son Dieu. Ainsi le Seigneur veut-Il que nous en usions à son égard : l’amour et le respect sont comme les deux bras avec lesquels Il désire que nous nous unissions à Lui. Partagés comme Marie entre ces deux sentiments, prenons le Sauveur nouvellement né et mettons-Le amoureusement sur notre cœur, mais de telle sorte que le respect règle les élans de l’amour.
2.- Après ce premier accueil, la Vierge-Mère, s’estimant indigne de tenir plus longtemps entre ses bras le divin Enfant, l’enveloppe dans les langes qu’elle a soigneusement préparés et Le couche dans une crèche ; puis fléchissant les genoux, elle L’adore comme son Seigneur et son Dieu. Elle Lui adresse des paroles pleines d’amour et de douceur, car elle sait qu’Il l’entend. Elle Le remercie de la faveur qu’Il a faite au genre humain en venant du ciel pour le racheter ; elle Lui rend grâces de ce qu’Il a daigné la choisir pour sa Mère sans qu’elle ait pu mériter cet honneur ; elle Lui consacre son corps, son âme, ses forces, et s’offre à tout sacrifier à son service. Elle s’entretient ainsi à loisir avec Lui en termes extrêmement tendres et affectueux, qui se peuvent sentir en quelque manière, mais qu’on ne saurait rapporter.
3.- Saint Joseph, de son côté, imite sa sainte épouse. Il adore l’Enfant, le remercie de ce qu’Il a bien voulu le choisir pour Lui tenir lieu de père et s’offre à vivre et à mourir à son service.
Pour nous, efforçons-nous de partager la reconnaissance et le dévouement de Marie et de Joseph et consacrons au service de Jésus notre corps et notre âme avec toutes nos puissances.
Ô très doux et souverain Seigneur, comment pourrai-je reconnaître la bonté que vous avez de naître dans la dernière pauvreté pour mon salut ! Oh ! Que n’ai-je pu me trouver présent à votre naissance ! Que n’ai-je eu le bonheur de vous rendre quelque bon office ! Agréez du moins que je me présente aujourd’hui devant votre Majesté, et que je vous fasse une donation entière de ce que je suis et de ce que je possède, afin que tout soit entièrement à vous. Acceptez, Seigneur, cette expression de ma bonne volonté, et faites-moi la grâce de vous en prouver la sincérité par les œuvres.
III.- L’Enfant-Dieu
Dans le troisième point, qui est le plus important, méditons les perfections ineffables de ce petit enfant gisant dans une crèche ; considérons la dignité infinie de sa personne ; écoutons ses paroles intérieures ; voyons ce qu’Il fait, ce qu’Il souffre, pour qui et comment Il souffre ; enfin, réfléchissons sur les vertus héroïques qu’Il pratique dans son humble berceau. À l’exemple de l’auguste Marie, arrêtons-nous à chacun de ces points particuliers.
1.- Considérons quel est cet enfant. Il est Dieu et homme. Qu’est-Il en tant que Dieu ? À quoi est-Il réduit en tant qu’homme ? Cette comparaison ne pourra manquer d’exciter en nous de vifs sentiments d’admiration et d’amour. En effet, celui qui nous apparaît sous les traits de l’enfance, c’est le Roi de gloire qui a le ciel pour demeure, qui est assis sur les chérubins, dont les anges distribués en neuf chœurs sont les ministres. Il est au milieu d’eux comme un souverain ; tous L’adorent, tous se montrent à l’envi ses obéissants et fidèles sujets. Et cependant Le voici, ce monarque suprême, couché dans une crèche, étendu sur un peu de paille entre deux animaux. Le Verbe du Père éternel, cette parole toute-puissante par laquelle Il a créé l’univers et le conserve, est devenu un enfant emmaillotté, lié, sans parole et sans mouvement. Celui qui est revêtu de la lumière comme d’un manteau, et qui est la splendeur de la gloire de son Père, celui qui donne à toutes les créatures leur beauté, qui les soutient et leur fournit avec libéralité tout ce qui est nécessaire à leur subsistance, celui-là n’a pour vêtement que de pauvres langes, et a besoin que sa Mère le nourrisse de son lait.
Ô divin Enfant, également adorable et aimable dans vos grandeurs et dans vos abaissements, plus Vous Vous abaissez, plus Vous me paraissez grand ; plus je Vous vois humilié pour moi, plus Vous m’êtes cher : car vos humiliations sont la preuve la plus manifeste et la plus touchante de votre amour. Oh ! Que ne Vous aimé-je comme Vous méritez d’être aimé ! Que n’ai-je de moi-même les plus bas sentiments, comme la justice le demande ! Ignoré-je d’ailleurs que m’anéantir à mes yeux, c’est m’agrandir aux vôtres ? Rougis, ô mon âme, de voir la personne même du Fils de Dieu dans un état si abject, tandis que tu recherches la gloire du monde, toi qui n’es digne que de confusion ! Apprends aujourd’hui de cet Enfant à t’humilier ; car, quiconque se rendra petit comme Lui sur la terre, sera grand avec Lui dans le royaume des cieux.
2.- Écoutons les paroles que dit l’Enfant-Dieu, non de la langue, niais du cœur, non de vive voix, mais par ses exemples. Tantôt Il s’adresse à son Père. Il le remercie de l’avoir fait naître dans une étable ; Il Lui offre avec un amour filial tout ce qu’Il doit souffrir sur la terre ; Il Lui répète ces paroles que l’Apôtre nous fait méditer : Me voici, ô mon Dieu ; je viens, selon qu’il est écrit de moi, pour faire votre volonté. Tantôt Il se tourne vers les hommes. Maître muet, Il leur prêche par ses exemples ce qu’Il leur enseignera un jour par ses paroles : Apprenez de Moi que Je suis doux et humble de cœur. Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux. Voilà ce que le Sauveur dit dans l’étable ; voilà ce que nous devons écouter avec une pieuse attention, le priant d’ouvrir l’oreille de notre cœur pour bien comprendre sa doctrine et la mettre en pratique.
Ô divin Enfant, qui de votre crèche, m’exhortez à devenir petit comme vous, qui avez toujours aimé les enfants jusqu’à les embrasser avec amour, rendez-moi semblable à vous : enfant par l’innocence, petit par l’humilité, muet par la retenue dans mes paroles, tendre par ma charité. C’est en ces quatre points que consiste l’abaissement volontaire qui rend l’homme grand devant Dieu.
3.- Voyons les actions de l’Enfant-Dieu. Ici, une chose nous paraîtra bien digne d’être remarquée. Il est certain que ce petit enfant est doué d’un jugement aussi parfait que si déjà Il avait atteint l’âge de trente ans. Et cependant, Il imite tous les mouvements, tous les gestes, toutes les manières d’un enfant qui vient de naître ; et cela sans feinte et sans affectation, spontanément et naturellement, joignant, avec un merveilleux accord deux choses qui paraissent incompatibles : l’enfance et la raison parfaite. Voyons en particulier comme Il pleure et recherchons la cause de ses larmes. Ce qui le fait pleurer, ce n’est pas la douleur qu’Il souffre ainsi qu’il arrive aux autres enfants ; ce sont les péchés que nous avons commis ; ce sont les châtiments que nous avons mérités en nous rendant coupables. Aussi ses larmes sont-elles accompagnées de ferventes prières qu’Il adresse en notre faveur à son Père éternel, suivant cette parole de saint Paul : Dans les jours de sa chair, Il offrit, avec un grand cri et avec effusion de larmes, ses prières et ses supplications à Celui qui pouvait L'exaucer. Il est à croire que la Vierge, voyant son Fils pleurer, pleura avec lui, méditant en elle-même les raisons de sa tristesse.
Ô très doux Jésus, comment oubliez-vous ainsi vos propres maux pour pleurer les nôtres ! Ô mon âme, peux-tu voir, sans être attendrie, cet Enfant, verser pour toi des ruisseaux de larmes ? Pleure du moins de compassion en le voyant pleurer ; pleure parce que tu es le sujet de son affliction ; pleure parce que ce sont tes péchés qui attristent son divin cœur. Enfin, si tes yeux demeurent secs malgré tant de motifs de se mouiller de larmes, pleure ton insensibilité qui t’empêche de pleurer. Ô Vierge sainte, obtenez-moi le don des larmes afin que je pleure avec vous et que je m’unisse à vous pour consoler votre Fils ; car je sais qu’Il se plaît à nous voir pleurer, Lui qui appelle bienheureux ceux qui pleurent parce qu’ils seront consolés.
4.- Considérons, en dernier lieu, ce que souffre l’Enfant-Dieu. Il souffre la pauvreté, le mépris, le froid et beaucoup d’autres incommodités. Or toutes ces souffrances, Il ne les endure pas par nécessité ou par contrainte, mais volontairement et de plein gré. Car étant Dieu et ayant le discernement d’un homme fait, Il ne souffre rien qu’on ne doive attribuer à son libre choix. S’Il est né au plus fort de l’hiver, à l’heure la plus froide de la nuit, dans le lieu le plus misérable et le plus abandonné de toute la ville, pauvre inconnu, délaissé de tous, c’est parce qu’Il l’a voulu. On serait tenté, peut-être, de croire que cette pauvreté extrême est un effet, non de sa volonté, mais de la nécessité, ce qui la rend aux yeux des hommes plus humiliante et plus digne de mépris ; mais ce n’est là qu’un saint artifice de son humilité. En réalité, Il exécute dans la crèche ce qu’Il a dit par la bouche du prophète royal ; Il prend dès lors, pour compagnes inséparables de toute sa vie la pauvreté, l’ignominie et la douleur. Toute sa carrière ne sera qu’une longue suite de privations et de souffrances. Il embrassera une manière de vivre diamétralement opposée à l’esprit du monde, pour condamner par son exemple l’erreur des enfants du siècle, qui s’abusent étrangement, dit saint Bernard, en recherchant avec avidité les richesses, les honneurs et les plaisirs, quand Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, qui ne peut ni se tromper ni nous tromper, a fait pour Lui un choix tout contraire.
Comment après cela pourrons-nous paraître sans confusion en présence de cet Enfant ? Confessons devant Lui que jusqu’ici notre conduite a été en contradiction avec la sienne ; formons la résolution de marcher désormais sur ses traces ; supplions-Le de nous rendre digne de souffrir avec Lui, non par force, mais volontairement et avec amour.
Ô divin Enfant, fils de David, qui entre trois Princes faites éclater votre sagesse - car vous êtes la seconde des trois Personnes divines de l’adorable Trinité et c’est à vous que l’on attribue la sagesse - que faites-vous, faible et muet dans cette crèche ? Vous êtes en réalité ce guerrier, dont le nom signifie petit ver né dans le bois, qui tua huit cents ennemis dans une bataille ; couché sur le bois de votre pauvre berceau, où la soif de l’humiliation vous a réduit, Vous émoussez par la force de votre divin amour tous les traits de l’amour humain. Ô prince très sage et très puissant, dont le silence est une leçon et dont la faiblesse remporte des victoires, enseignez-moi, Seigneur, à supporter en silence le mépris ; détruisez dans mon cœur toutes les affections terrestres, afin que, devenant comme vous semblable à un ver de terre, je mérite de monter à votre suite dans le ciel, et de Vous y contempler éternellement sur le trône de votre gloire. Ainsi soit-il.