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Méditation pour le 3e mystère joyeux : la Nativité
Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.
DE LA JOIE DES ANGES À LA NAISSANCE DU FILS DE DIEU :
L'ARCHANGE GABRIEL ANNONCE CETTE NOUVELLE AUX BERGERS
COMMENT LES BERGERS SE RENDIRENT À BETHLÉHEM
I. — Joie des anges dans le ciel
Considérons, en premier lieu, ce qui se passe dans le ciel pendant que Jésus-Christ naît sur la terre. Du séjour de la gloire où toutes les hiérarchies célestes contemplent face à face la majesté infinie de Dieu, elles abaissent leurs regards sur l'étable de Bethléhem, et là elles voient le Verbe incarné comme anéanti et entièrement ignoré des hommes. Saisis d'admiration à ce spectacle, et transportés d'un ardent désir que ce Dieu si profondément humilié soit honoré et adoré de tous les mortels, ces esprits bienheureux n'attendent que l'ordre divin pour descendre sur la terre et annoncer aux enfants d'Adam la venue de leur Libérateur. C'est alors que le Père éternel leur fait ce commandement dont parle saint Paul : Quand il introduisit son Fils unique dans le monde, il dit : Que tous les anges l'adorent. Comme l'ordre est général, tous obéissent à l'envi, et, du haut des cieux, ils adorent l'Enfant nouvellement né, qui, dans son humble crèche, reçoit leurs hommages. En sa présence, les séraphins embrasés d'amour s'accusent d'être la froideur même, et se couvrant de leurs ailes, ils confessent qu'il est leur Dieu. Les chérubins, esprits de science, voient s'éclipser devant lui toute leur lumière, et l'adorent comme leur Seigneur. Les autres chœurs des anges, animés d'une sainte émulation, s'efforcent de les imiter.
II. — L'archange Gabriel et les bergers
Considérons, en second lieu, comment le Père éternel voulut manifester la naissance de son Fils à quelques pasteurs qui passaient la nuit dans le voisinage de Bethléhem et veillaient tour à tour à la garde de leurs troupeaux. Il leur envoie pour cela un ange : on pense que ce fut saint Gabriel. Il leur apparaît revêtu d'un corps éclatant comme le soleil, et, les environnant d'une lumière céleste, il leur dit : Voici que je vous annonce une nouvelle qui sera pour tout le peuple le sujet d'une grande joie. C'est qu'aujourd'hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Vous le reconnaîtrez à ce signe : vous trouverez un enfant enveloppé de langes, et couché dans une crèche.
Sur ce passage, faisons quelques les réflexions.
1) Dieu n'envoie pas son ange et ne découvre pas ce mystère aux sages de Bethléhem, parce qu'ils sont orgueilleux ; ni aux riches, parce qu'ils sont avares ; ni aux nobles, parce qu'ils vivent dans les délices. Il réserve cette faveur à des bergers parce qu'ils sont humbles, pauvres, laborieux et vigilants. Car ce sont là les dispositions qu'il exige de ceux qu'il veut élever à la connaissance de ses mystères ; et s'il ne les trouve pas en nous, il nous refusera ses lumières, selon cette parole du Sauveur : Ô mon Père, vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents du siècle, et vous les avez révélées aux simples et aux petits : je vous en rends grâces, Dieu du ciel et de la terre.
2) Quelle joie ne devons-nous pas ressentir à la pensée qu'il nous est né un Sauveur ! Le Fils de Dieu ne naît pas pour lui-même, car il ne vient pas se sauver ; il naît pour les hommes, car il vient sauver les hommes. Il naît pour nous ; il sera circoncis pour nous ; tout ce qu'il doit faire et souffrir, il le fera et il le souffrira pour nous. Si une crèche est son berceau, il l'a choisie dans le dessein de nous obtenir le pardon de nos péchés, de nous inspirer le désir de la vertu, et de nous enrichir de ses grâces.
3) L'enfance, les langes, la crèche, voilà les signes que l'ange donne aux bergers pour reconnaître le Sauveur. Ô grandeur infinie du Très-Haut, où êtes-vous ? Qui eût jamais pensé que l'on dût reconnaître à de semblables marques le Dieu de majesté ! Mais pourquoi nous étonner ? Nous savons, ô mon aimable Rédempteur, que vous aimez les abaissements ; nous savons que vous les avez choisis pour nous exciter à les rechercher à votre exemple. Vous voulez encore nous apprendre que les signes auxquels nous pouvons savoir si vous êtes né spirituellement dans notre cœur sont ceux-là mêmes qui vous font connaître dans la crèche, c'est-à-dire : une innocence parfaite, un profond silence, une extrême pauvreté, une humilité qui choisit ce qu'il y a de plus vil et de plus bas sur la terre.
III. — Le cantique des anges
Tandis que l'ange parlait aux pasteurs, une troupe nombreuse de la milice céleste se joignit à lui et se mit à louer Dieu, disant : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté.
Remarquons ici quel est celui qui envoie les anges, pourquoi il les envoie, et quel hymne ils font retentir dans les airs. Celui qui les envoie, c'est le Père éternel. Pourquoi les envoie-t-il ? Pour honorer les abaissements volontaires de son Fils. Car il n'a jamais manqué de le glorifier toutes les fois qu'il s'est humilié pour l'amour de lui. De plus, il convient que les esprits bienheureux, par leur exemple, apprennent aux hommes ce qu'ils doivent faire en une fête si solennelle.
GLOIRE À DIEU AU PLUS HAUT DES CIEUX. – Les anges nous apprennent par cette parole que le mystère de l'incarnation est le chef-d’œuvre de Dieu et le principal sujet de sa gloire. C'est en effet, de toutes ses œuvres, celle qui lui procure une gloire plus complète et plus entière, celle qui lui attire les bénédictions et les louanges de toutes les âmes saintes. En contemplant ce mystère, les bienheureux glorifient le Seigneur dans le ciel : comment les hommes ne le loueraient-ils pas sur la terre ? N'est-ce pas, au témoignage des séraphins dans Isaïe, quand ce prophète vit la gloire du Très-Haut ; n'est-ce pas l'Incarnation qui a rempli notre terre de la gloire de Dieu ?
ET PAIX SUR LA TERRE. — Le Fils de Dieu, par son Incarnation et sa naissance selon la chair, apporte aux habitants de la terre une paix entière et universelle ; la paix avec Dieu et avec les anges, la paix avec eux-mêmes, la paix avec leurs frères. Car ce Divin Sauveur réconcilie en naissant le monde avec son Père ; il nous obtient le pardon de nos péchés ; il dompte le démon, notre adversaire ; il assujettit la chair à l'esprit ; il accorde et unit nos volontés entre elles et avec Dieu ; d'où résultent la joie de la conscience et la paix qui surpasse tout sentiment.
AUX HOMMES DE BONNE VOLONTÉ. - La paix vient de Dieu. Elle vient de l'affection que Dieu a pour nous, et de la bonne volonté avec laquelle il offre à tous les hommes le précieux trésor de la paix. Cependant, c'est en vain que nous espérons l'obtenir, si nous n'avons nous-mêmes la bonne volonté, c'est-à-dire une volonté conforme à celle de Dieu et entièrement soumise à sa loi. Aussi les anges ne promettent-ils point la paix aux hommes qui n'auraient en partage qu'un génie élevé, l'esprit vif et pénétrant, la santé et les forces du corps ; ce don du ciel n'est point le prix des avantages de la nature. Nous pouvons posséder ces avantages et être ennemi de Dieu et des hommes ; nous pouvons en être privé et vivre en paix avec Dieu et avec nos frères, pourvu que la bonne volonté ne nous manque pas. C'est ce qui a fait dire à saint Grégoire pape : Il n'y a rien de plus précieux, de plus aimable, de plus désirable que la bonne volonté ; tandis que la mauvaise volonté est ce qu'il y a au monde de plus nuisible, de plus dangereux et de plus détestable. Nous devons donc demander au Sauveur couché dans la crèche qu'il daigne nous délivrer de la mauvaise volonté et nous donner la bonne ; car elle est, à proprement parler, le don qu'il nous apporte en naissant, suivant le texte hébreu : Que la bonne volonté soit donnée aux hommes.
IV. — Le départ des anges
Les anges, ayant demeuré quelque temps avec les bergers, s'en retournèrent au ciel. On peut croire pieusement, qu'ils allèrent auparavant visiter l'étable de Bethléhem sans être vus de personne ; que là ils recommencèrent à chanter leur cantique en présence de Marie et de Joseph ; et qu'enfin ils adorèrent avec un profond respect l'Enfant nouvellement né, comme leur Dieu et leur Roi. — Oh ! que la Vierge fut ravie de cette céleste musique ! Comme elle remercia le Père éternel de l'honneur qu'il procurait à son fils ! Quelle joie elle ressentit à la vue de cette brillante troupe d'esprits bienheureux ! Comme elle fut confirmée dans la foi au souvenir de cette parole de l'Écriture : Que tous les anges l'adorent !
V. — Les bergers vont à Bethléhem
Dès que les anges eurent disparu, les bergers se dirent l'un à l'autre : Allons jusqu'à la ville de David, et voyons ce qui est arrivé, et ce que le Seigneur nous a fait connaître. Et ils y allèrent en toute hâte.
1) Remarquons que les bergers, dociles à l'avertissement des anges, s'exhortent les uns les autres à partir sans délai, pour voir de leurs yeux la merveille qui vient de leur être annoncée. Leur conduite nous apprend qu'il faut bien se garder de négliger les inspirations d'en-haut, qu'il importe grandement d'y correspondre, que nous devons même nous exciter mutuellement, par nos paroles et par nos exemples, à les mettre en pratique. C'est ce que le prophète nous donne à entendre, selon l'interprétation de saint Grégoire le Grand, par ces quatre animaux mystérieux qui allaient chacun devant soi, suivant le mouvement impétueux de l'esprit et se frappaient les uns et les autres de leurs ailes, comme pour s'encourager à voler avec plus d'ardeur.
2) Remarquons l'obéissance des pasteurs. L'Ange ne leur a pas commandé formellement d'aller à Bethléhem ; mais c'est assez pour eux de savoir qu'ils feront en y allant une œuvre agréable à Dieu et que le messager céleste n'est venu que pour leur inspirer cette pensée. Voilà l'image de l'homme vraiment obéissant. Il se contente du moindre signe de la volonté de Dieu pour l'accomplir à l'instant, dût-il pour cela quitter non seulement ses troupeaux, comme les pasteurs, mais encore tous ses biens.
3) Remarquons enfin avec quelle ferveur ils exécutent ce que Dieu leur demande. L'Évangéliste rapporte que, poussés par l'Esprit-Saint, ils se rendirent à Bethléhem en toute hâte pour voir de leurs yeux la vérité de la parole de l'Ange ou, pour mieux dire, la Parole éternelle de Dieu, incarnée pour notre salut. Ils méritent par leur diligence de trouver ce qu'ils cherchent, car l'Ange en personne, leur servant de guide, les conduit droit à l'étable où repose le divin Enfant.
VI. — Les bergers dans l'étable
Les bergers entrèrent dans l'étable et y trouvèrent l'Enfant avec sa Mère. Arrêtons-nous ici à considérer ce que firent les pieux pasteurs quand ils eurent heureusement trouvé celui qu'ils cherchaient.
1) Il est probable qu'au moment où ils virent l'Enfant béni, une lumière éclatante jaillit de son adorable visage, pénétra jusqu'au fond de leur cœur et leur fit comprendre clairement que celui qui paraissait si faible à leurs yeux était Dieu et homme, le Sauveur du monde, le Messie annoncé par les prophètes. Embrasés d'amour à cette pensée, ils se prosternent humblement et l'adorent ; ils lui rendent mille actions de grâces de ce qu'il est venu sauver le genre humain ; ils le conjurent d'achever ce qu'il a commencé et d'avoir compassion de son peuple ; enfin, ils lui offrent leurs services en termes pleins de dévotion.
2) Il est vraisemblable qu'ils lui firent quelques présents conformes à leur pauvreté. Car ils n'oublient pas ce qui est écrit : Vous ne paraîtrez point les mains vides en ma présence. Oh ! qu'ils les lui font de bon cœur, et que l'Enfant les accepte volontiers ! À son tour, il les enrichit des dons de sa grâce : en sorte qu'ils ne le quittent pas le cœur vide.
3) Il est certain que la Vierge les remercia avec une bonté et une humilité parfaites. Eux, de leur côté, frappés de la sainteté qui brille dans sa personne, lui parlent avec un profond respect, racontent tout ce qui s'est passé entre eux et les anges, et lui causent une indicible joie en lui donnant une preuve sensible du soin que le ciel prend d'honorer son Fils.
VI. — Reconnaissance et zèle des bergers ; occupation intérieure de Marie
Les bergers s'en retournèrent glorifiant et louant Dieu de tout ce qu'ils avaient vu. Ils le racontaient à tous ceux qu'ils rencontraient, et ceux-ci en demeuraient tout surpris. Pour Marie, elle conservait le souvenir de toutes ces choses et les méditait dans son cœur. Remarquons, au sujet de ces paroles, quatre sortes de personnes qui se trouvèrent à Bethléhem, ou dans les environs, au temps de la naissance du Sauveur ; et faisons sur leur conduite quelques réflexions que nous pourrons nous appliquer à nous- mêmes.
1) De ce grand nombre d'hommes réunis alors dans la cité de David, les uns n'allèrent point à l'étable. Ils avaient entendu les faits surprenants que rapportaient les bergers ; ils en avaient même témoigné de l'étonnement ; toutefois il ne leur vint pas à l'esprit d'aller constater eux-mêmes la vérité de ces merveilles, tant ils étaient préoccupés de leurs affaires temporelles. Ainsi voyons-nous aujourd'hui quantité de personnes négliger la méditation des mystères du Sauveur, ou par paresse, ou par attache aux choses vaines de ce monde qui ont pour eux plus d'attrait.
2) D'autres, passant par hasard devant l'étable, y entrèrent. Mais comme ils n'avaient aucune connaissance ni de l'Enfant, ni de la Mère, ils ne remarquèrent que ce qui s'offrait extérieurement à leurs yeux, sortirent aussitôt et poursuivirent leur chemin. Ceux-ci représentent certaines personnes qui assistent avec une foi morte aux solennités instituées par l'Église en mémoire des mystères de notre salut ; comment pourraient-elles, sans se pénétrer de l'esprit de ces fêtes, en tirer un fruit solide ?
3) D'autres, comme les pasteurs, conduits par l'Esprit de Dieu, entrèrent pieusement dans l'étable, y adorèrent l'Enfant avec une foi vive, et reçurent de sa libéralité les dons les plus précieux. Cependant, ils se contentent d'y demeurer quelque temps ; puis, après avoir satisfait leur dévotion, ils retournent à leurs occupations ordinaires, louant le Seigneur et publiant ses merveilles. Tels sont les justes qui consacrent chaque jour un temps déterminé à la méditation et à la contemplation des choses divines, et interrompent ce saint exercice pour accomplir les devoirs de leur état, communiquer au prochain les lumières qu'ils ont reçues d'en-haut, et lui apprendre les moyens de connaître et de chercher Dieu.
4) D'autres enfin, comme Marie et Joseph, ne quittent point l'étable. Ils demeurent auprès de l'Enfant ; ils le servent avec amour ; ils observent attentivement tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils entendent, et ils le méditent dans le cœur. — Oh qui pourrait dire les réflexions affectueuses et sublimes de la Vierge sur ce mystère ! Elle compare ce que Dieu est dans le ciel, avec ce qu'il paraît être sur la terre ; ce que les prophètes ont prédit, avec ce qu'elle voit de ses yeux ; ce que l'Ange et les pasteurs lui ont raconté, avec ce qu'elle touche de ses mains : et, ravie de tant de merveilles, elle produit mille actes fervents de dévotion et d'amour. C'est dans cette sainte occupation qu'elle passa les huit jours qui précédèrent la circoncision.
Ceux-là imitent la Mère du Sauveur, qui s'appliquent durant quelques jours consécutifs à la contemplation de ces ineffables mystères et les repassent à loisir dans leur cœur. Heureux ceux qui peuvent ainsi honorer la naissance du Dieu fait homme pour leur salut !