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Méditation pour le 3e mystère douloureux
Tirée de La douloureuse passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ
par la bienheureuse Anne-Catherine Emmerich
Le couronnement d'épines
Pendant la flagellation de Jésus, Pilate parla plusieurs fois au peuple, qui une fois fit entendre ce cri : « Il faut qu'il meure, quand nous devrions tous mourir aussi ! » Quand Jésus fut conduit au corps de garde, ils crièrent encore : « Qu'on le tue ! qu'on le tue ! » Car il arrivait sans cesse de nouvelles troupes de Juifs que les commissaires des princes des prêtres excitaient à crier ainsi. Il y eut ensuite une pause. Pilate donna des ordres à ses soldats ; les princes des princes et leurs conseillers, qui se tenaient sous des arbres et sous des toiles tendues, assis sur des bancs placés des deux côtés de la rue devant la terrasse de Pilate, se firent apporter à manger et à boire par leurs serviteurs. Pilate, l'esprit troublé par ses superstitions, se retira quelques instants pour consulter ses dieux et leur offrir de l'encens.
La Sainte Vierge et ses amis se retirèrent du forum après avoir recueilli le sang de Jésus. Je les vis entrer avec leurs linges sanglants dans une petite maison peu éloignée bâtie contre un mur. Je ne sais plus à qui elle appartenait. Je ne me souviens pas d'avoir vu Jean pendant la flagellation.
Le couronnement d'épines eut lieu dans la cour intérieure du corps de garde situé contre le forum, au-dessus des prisons. Elle était entourée de colonnes et les portes étaient ouvertes. Il y avait là environ cinquante misérables, valets de geôliers, archers, esclaves et autres gens de même espèce qui prirent une part active aux mauvais traitements qu'eut à subir Jésus. La foule se pressait d'abord autour de l'édifice ; mais il fut bientôt entouré d'un millier de soldats romains, rangés en bon ordre, dont les rires et les plaisanteries excitaient l'ardeur des bourreaux de Jésus comme les applaudissements du public excitent les comédiens.
Au milieu de la cour ils roulèrent la base d'une colonne où se trouvait un trou qui avait dû servir pour assujettir le fût. Ils placèrent dessus un escabeau très bas, qu'ils couvrirent par méchanceté de cailloux pointus et de tessons de pot. Ils arrachèrent les vêtements de Jésus de dessus son corps couvert de plaies, et lui mirent un vieux manteau rouge de soldat qui ne lui allait pas aux genoux et où pendaient des restes de houppes jaunes. Ce manteau se trouvait dans un coin de la chambre : on en revêtait ordinairement les criminels après leur flagellation, soit pour étancher leur sang, soit pour les tourner en dérision. Ils traînèrent ensuite Jésus au siège qu'ils lui avaient préparé et l'y firent asseoir brutalement. C'est alors qu'ils lui mirent la couronne d'épines. Elle était haute de deux largeurs de main, très épaisse et artistement tressée. Le bord supérieur était saillant. Ils la lui placèrent autour du front en manière de bandeau, et la lièrent fortement par derrière. Elle était faite de trois branches d'épines d'un doigt d'épaisseur, artistement entrelacées, et la plupart des pointes étaient à dessein tournées en dedans. Elles appartenaient à trois espèces d'arbustes épineux, ayant quelques rapports avec ce que sont chez nous le nerprun, le prunellier et l'épine blanche. Ils avaient ajouté un bord supérieur saillant d'une épine semblable à nos ronces : c'était par là qu'ils saisissaient la couronne et la secouaient violemment. J'ai vu l'endroit où ils avaient été chercher ces épines. Quand ils l'eurent attachée sur la tête de Jésus, ils lui mirent un épais roseau dans la main. Ils firent tout cela avec une gravité dérisoire, comme s'ils l'eussent réellement couronné roi. Ils lui prirent le roseau des mains, et frappèrent si violemment sur la couronne d'épines que les yeux du Sauveur étaient inondés de sang. Ils s'agenouillèrent devant lui, lui firent des grimaces, lui crachèrent au visage et le souffletèrent en criant : « Salut, Roi des Juifs ! » Puis ils le renversèrent avec son siège en riant aux éclats, et l'y replacèrent de nouveau avec violence.
Je ne saurais répéter tous les outrages qu'imaginaient ces hommes. Jésus souffrait horriblement de la soif ; car les blessures faites par sa barbare flagellation lui avaient donné la fièvre, et il frissonnait ; sa chair était déchirée jusqu'aux os, sa langue était retirée, et le sang sacré qui coulait de sa tête rafraîchissait seul sa bouche brûlante et entrouverte. Jésus fut ainsi maltraité pendant environ une demi-heure, aux rires et aux cris de joie de la cohorte rangée autour du prétoire.
ECCE HOMO
Jésus recouvert du manteau rouge, la couronne d'épines sur la tête, le sceptre de roseau entre ses mains garrottées, fut reconduit dans le palais de Pilate. Il était méconnaissable à cause du sang qui remplissait ses yeux, sa bouche et sa barbe. Son corps n'était qu'une plaie ; il ressemblait à un linge trempé dans du sang.
Il marchait courbé et chancelant ; le manteau était si court qu'il lui fallait se plier en deux pour cacher sa nudité : car lors du couronnement d'épines, ils lui avaient de nouveau arraché tous ses vêtements. Quand il arriva devant Pilate, cet homme cruel ne put s'empêcher de frémir d'horreur et de pitié ; il s'appuya sur un de ses officiers et tandis que le peuple et les prêtres insultaient et raillaient, il s'écria : « Si le diable des Juifs est aussi cruel qu'eux, il ne fait pas bon être en enfer auprès de lui. » Lorsque Jésus eut été traîné péniblement au haut de l'escalier, Pilate s'avança sur la terrasse et on sonna de la trompette pour annoncer que le gouverneur voulait parler : il s'adressa aux princes des prêtres et à tous les assistants, et leur dit : « Je le fais amener encore une fois devant vous, afin que vous sachiez que je ne le trouve coupable d'aucun crime. »
Jésus fut alors conduit prés de Pilate par les archers, de sorte que tout le peuple rassemblé sur le forum pouvait le voir. C'était un spectacle terrible et déchirant, accueilli d'abord par une horreur muette, que cette apparition du fils de Dieu tout sanglant sous sa couronne d'épines, abaissant ses yeux éteints sur les flots du peuple, pendant que Pilate le montrait du doigt et criait aux Juifs : « Voilà l'homme. »
Pendant que Jésus, le corps déchiré, couvert de son manteau de dérision, baissant sa tête inondée de sang et transpercée par les épines, tenant le sceptre de roseau dans ses mains garrottées, courbé en deux pour cacher sa nudité, navré de douleur et de tristesse et pourtant ne respirant qu'amour et mansuétude, était exposé comme un fantôme sanglant devant le palais de Pilate, en face des prêtres et du peuple qui poussaient des cris de fureur, des troupes d'étrangers court vêtus, hommes et femmes, traversaient le forum pour descendre à la piscine des Brebis, afin de prendre part à l'ablution des agneaux de Pâque, dont les bêlements plaintifs se mêlaient sans cesse aux clameurs sanguinaires de la multitude, comme s'ils eussent voulu rendre témoignage en faveur de la vérité qui se taisait. Cependant le véritable Agneau pascal de Dieu, le mystère révélé, mais inconnu de ce saint jour, accomplissait les prophéties et se courbait en silence sur le billot où il devait être immolé.
Les princes des prêtres et leurs adhérents furent saisis de rage à l'aspect de Jésus, et ils crièrent : « Qu'on le fasse mourir ! qu'on le crucifie ! – N'en avez-vous pas assez ? dit Pilate ; il a été traité de manière à ne plus avoir le désir d'être roi. » Mais ces forcenés criaient toujours plus fort, et tout le peuple faisait entendre ces terribles paroles : « Qu'on le fasse mourir ! qu'on le crucifie ! » Pilate fit encore sonner de la trompette, et dit : « Alors prenez-le et crucifiez-le, car je ne le trouve coupable d'aucun crime. ». Ici, quelques-uns des prêtres s'écrièrent : « Nous avons une loi selon laquelle il doit mourir, car il s'est dit le fils de Dieu ! » Sur quoi Pilate répondit : « Si vous avez des lois d'après lesquelles celui-ci doit mourir, je ne me soucie point d'être Juif. ». Toutefois cette parole « il s'est dit le fils de Dieu » réveilla les craintes superstitieuses de Pilate : il fit conduire Jésus ailleurs, alla à lui et lui demanda d'où il était. Mais Jésus ne répondit pas, et Pilate lui dit : « Tu ne me réponds pas ! Ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te faire crucifier et celui de te remettre en liberté ? » Et Jésus répondit : « Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi s'il ne t'avait été donné d'en haut : c'est pourquoi celui qui m'a livré à toi a commis un plus grand péché. »
Claudia Procle, que les hésitations de son mari inquiétaient, lui envoya de nouveau son gage pour lui rappeler sa promesse, mais celui-ci lui fit faire une réponse vague et superstitieuse dont le sens était qu'il s'en rapportait à ses dieux. Les ennemis du Sauveur apprirent les démarches de Claudia en sa faveur, et ils firent répandre parmi le peuple que les partisans de Jésus avaient séduit la femme de Pilate ; que, s'il était mis en liberté, il s'unirait aux Romains et que tous les Juifs seraient exterminés.
Pilate dans son irrésolution était comme un homme ivre ; sa raison ne savait plus que faire. Il dit encore une fois aux ennemis de Jésus qu'il ne trouvait en lui rien de criminel, et comme ceux-ci demandèrent sa mort avec plus de violence que jamais, Pilate, troublé, jeté dans l'indécision, tant par la confusion de ses propres pensées que par les songes de sa femme et les graves paroles de Jésus. voulut obtenir du Sauveur une réponse qui le tirât de ce pénible état ; il revint vers lui dans le prétoire et resta seul avec lui. « Serait-ce donc là un Dieu ? », se dit-il à lui-même en regardant Jésus sanglant et défiguré ; puis tout à coup il l'adjura de lui dire s'il était Dieu, s'il était ce roi promis aux Juifs, jusqu'où s'étendait son empire et de quel ordre était sa divinité, lui promettant de lui rendre la liberté s'il lui disait tout cela. Je ne puis répéter que le sens de la réponse que lui fit Jésus. Le Sauveur lui parla avec une sévérité effrayante ; il lui fit voir en quoi consistait sa royauté et son empire ; il lui montra ce que c'était que la vérité, car il lui dit la vérité. Il lui dévoila tout ce que lui, Pilate, avait commis de crimes secrets, lui prédit le sort qui l'attendait, l'exil, la misère et une fin terrible, puis il lui annonça que le Fils de l'homme viendrait un jour prononcer sur lui un juste jugement.
Pilate à moitié effrayé, à moitié irrité des paroles de Jésus, revint sur la terrasse et dit encore qu'il voulait délivrer Jésus ; alors on lui cria : « Si tu le délivres, tu n'es pas l'ami de César, car celui qui veut se faire roi est l'ennemi de César. » D'autres disaient qu'ils l'accuseraient devant l'empereur d'avoir troublé leur fête, qu'il fallait en finir parce qu'ils étaient obligés d'être à dix heures au Temple. Le cri : « Qu'il soit crucifié ! » se faisait entendre de tous les côtes ; il retentissait jusque sur les toits plats du forum ou beaucoup de gens étaient montés. Pilate vit que ses efforts auprès de ces furieux étaient inutiles. Le tumulte et les cris avaient quelque chose d'effrayant, et la masse entière du peuple était dans un tel état d'agitation qu'une insurrection était à craindre. Pilate se fit apporter de l'eau ; un de ses serviteurs la lui versa sur les mains devant le peuple, et il cria au haut de la terrasse : « Je suis innocent du sang de ce juste ; ce sera à vous à en répondre. » Alors s'éleva un cri horriblement unanime de tout le peuple parmi lequel se trouvaient des gens de toutes les parties de la Palestine : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants. »
RÉFLEXIONS SUR CES VISIONS
Toutes les fois qu'en méditant sur la douloureuse Passion de Notre-Seigneur, j'entends cet effroyable cri des Juifs : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants ! », l'effet de cette malédiction solennelle m'est montré et rendu sensible par de merveilleuses et terribles images. Il me semble voir au-dessus du peuple qui rit, un ciel sombre, couvert de nuages sanglants, d'où partent comme des verges et des glaives de feu. C'est comme si cette malédiction pénétrait jusqu'à la moelle de leurs os et atteignait jusqu'aux enfants dans le sein de leur Mère. Tout le peuple me parait enveloppé de ténèbres : leur cri sort de leur bouche comme un trait de feu sombre qui revient sur eux, rentre profondément dans quelques-uns et voltige seulement sur quelques autres.
Ceux-ci sont ceux qui se convertirent après la mort de Jésus : leur nombre fut assez considérable, car, pendant toutes ces horribles souffrances, Jésus et Marie ne cessèrent pas de prier pour le salut des bourreaux, et tous ces affreux traitements ne leur causèrent pas un instant d'irritation. Pendant tout le cours de la Passion du Sauveur, au milieu des tortures les plus cruelles, des injures les plus insolentes et les plus ignobles, de la rage et de l'acharnement sanguinaire de ses ennemis et de leurs suppôts, de l'ingratitude et de la défection de plusieurs de ses adhérents, toutes choses qui concourent à en faire le dernier degré de la souffrance physique et morale, je vois Jésus toujours priant, toujours aimant ses ennemis, toujours implorant leur conversion jusqu'à son dernier soupir ; mais je vois aussi toute cette patience et cette charité enflammer davantage la fureur de ses bourreaux et pousser à bout leur rage parce que tous leurs mauvais traitements ne peuvent arracher à sa bouche ni une plainte, ni un reproche qui puisse excuser leur méchanceté. À la fête d'aujourd'hui ils immolent l'agneau pascal et ils ne savent pas qu'ils immolent le véritable agneau.
Lorsque je tourne mes pensées vers les âmes des ennemis de Jésus et sur celles du Sauveur et de sa sainte Mère, je vois une infinité de démons s'agiter parmi la multitude : je les vois exciter, pousser les Juifs, leur parler à l'oreille, leur entrer dans la bouche, les animer contre Jésus et trembler pourtant à la vue de son amour et de sa patience inaltérable. Mais dans tout ce qu'ils font, il y a quelque chose de désespéré, de confus, de contradictoire : c'est un tiraillement désordonné et insensé dans tous les sens. Autour de Jésus, de Marie, et du petit nombre de saints qui sont là, beaucoup d'anges sont rassemblés ; leur figure et leurs vêtements différent selon leurs fonctions ; leurs actions représentent la consolation, la prière, l'onction ou quelqu'une des œuvres de miséricorde.