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Méditation sur le 3e mystère glorieux
La Pentecôte
Tirée des Méditations sur les mystères de notre sainte foi
du vénérable père Du Pont, s. j.
I. — Réunion des disciples dans le cénacle
Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis, tous les disciples se trouvèrent rassemblés dans un même lieu.
Sur ces paroles, considérons ce qu’il y a de mystérieux, et dans le lieu, le temps, le jour auxquels le Saint-Esprit descendit sur les disciples et dans leur réunion simultanée en un même endroit.
1) On ne peut pas douter que ce ne fût pas une inspiration de l’Esprit-Saint lui-même que, le jour de la Pentecôte, tous les disciples, au nombre d’environ cent vingt, se rendirent avec la bienheureuse Vierge dans le cénacle où ils avaient coutume de s’assembler. Tous, d’un commun accord, demandaient à haute voix au Père éternel, et au Fils même, qu’Ils leur envoyassent le Saint-Esprit, si expressément et si souvent promis. Leurs prières furent portées par les anges devant le trône de Dieu, et l’Homme-Dieu y joignant les siennes, ils obtinrent dès ce jour-là ce qu’ils souhaitaient. Car quiconque prie avec dévotion et persévérance est exaucé tôt ou tard, pourvu qu’il attende avec patience la visite du Seigneur.
2) Le cénacle était l’image de l’Église universelle où tous les disciples de Jésus-Christ demeurent unis par la profession d’une même foi, par le culte d’un même Dieu et par l’observance d’une même loi. Or, comme le Saint-Esprit fut donné en ce jour à ceux-là seuls qui étaient dans le cénacle, ainsi est-il donné aujourd’hui à ceux-là seuls qui sont dans l’Église et qui ont les dispositions requises pour le recevoir. Hors de l’Église, il ne faut point espérer cette faveur. La colombe, envoyée par Noé sur la terre après le déluge, ne put trouver hors de l’arche où mettre le pied ; de même l’Esprit-Saint, désigné par cette colombe, ne trouve point où se reposer hors de l’Église, figurée par l’arche. C’est ce qui faisait dire au Fils de Dieu que le monde ne peut le recevoir. Par le monde, Il entend ceux qui refusent d’embrasser sa religion, qui réprouvent sa doctrine, qui s’opposent à sa sainte loi.
Je vous rends grâces, ô mon Sauveur, de ce que vous avez daigné m’admettre dans votre Église en laquelle, si je le veux, le Saint-Esprit descendra sur moi, à la condition que je lui prépare mon cœur, à l’exemple des apôtres, par la charité et par la prière.
3) Examinons pour quelle raison l’Esprit sanctificateur vint le jour de la Pentecôte, fête solennelle parmi les Juifs, dans laquelle, cinquante jours après la manducation de l’Agneau pascal, on célébrait la mémoire de la promulgation de la loi donnée à Moïse sur le mont Sinaï. Ce divin Esprit voulait nous montrer qu’Il venait principalement pour imprimer dans les âmes des fidèles la loi de grâce publiée par Jésus-Christ et pour abolir l’ancienne loi qui n’était que l’ombre de la nouvelle. Elles furent donc établies l’une et l’autre le même jour, mais d’une manière bien différente. La loi ancienne, loi de crainte, fut promulguée au milieu des éclairs, au bruit du tonnerre, au son des trompettes. Dieu l’écrivit sur des tables de pierre, comme une loi pesante, propre à des hommes durs de tête et incirconcis de cœur. La loi nouvelle, au contraire, loi d’amour, fut publiée avec douceur et gravée par le Saint-Esprit sur des tables de chair, c’est-à-dire dans nos cœurs ; et alors on vit l’accomplissement de la promesse que le Seigneur avait faite par la bouche d’Ézéchiel : Je changerai vos cœurs de pierre en des cœurs de chair.
Ô Père éternel, votre droite est votre Fils unique qui procède de Vous, et par qui Vous avez créé toutes choses ; votre doigt est cet Esprit qui procède à la fois de Vous et de votre Fils, et par qui Vous avez réformé toutes vos œuvres, en écrivant votre loi sainte dans le cœur des hommes. Écrivez-la dans le mien avec ce doigt de votre droite ; imprimez-la si profondément que jamais elle ne s’efface ; et puisque Vous me commandez de l’écrire moi-même en faisant avec amour tout ce qui dépend de moi pour l’accomplir, donnez-moi ce que Vous m’ordonnez, afin que je l’exécute comme Vous le désirez.
4) On peut encore donner la raison suivante de la descente du Saint-Esprit sur les disciples cinquante jours après la résurrection du Sauveur. Dans l’ancienne loi, Dieu avait dit à Moïse : Tu sanctifieras la cinquantième année, et tu l’appelleras la rémission pour tous les habitants de la terre ; car c’est l’année du jubilé. De même, dans la loi nouvelle, l’Esprit-Saint vient remettre aux hommes pécheurs toutes leurs dettes, par les mérites du sang de Jésus-Christ, cinquante jours après sa Passion et sa Résurrection. C’est pourquoi l’Église, dans sa liturgie, nomme cet Esprit sanctificateur la rémission de tous les péchés.
Ô divin Esprit, venez dans mon âme avec la plénitude de vos dons ; accordez-moi le pardon entier, l’indulgence plénière de toutes mes offenses, afin que, purifié de toute souillure, je puisse dans une jubilation éternelle participer aux joies de votre gloire dans les siècles des siècles.
II. — Un vent impétueux précède la descente du Saint-Esprit
Et soudain on entendit un grand bruit, semblable à celui d’un vent impétueux, qui venait du ciel.
Chacune de ces paroles exprime une propriété de la venue de l’Esprit-Saint dans nos âmes. Il s’annonce ordinairement par de saintes inspirations, c’est-à-dire par des mouvements subits que nous ressentons, des éclairs qui nous découvrent quelque vérité de la foi, des jets de feu qui nous embrasent de l’amour de tout ce qui est bon et saint.
1) Le bruit dont parle l’Écrivain sacré se fait entendre soudainement. L’inspiration d’en haut, la visite de l’Esprit-Saint n’est attachée ni à un certain jour, ni à une certaine heure. On la reçoit quand on y pense le moins, lorsque le dispensateur de toute grâce le veut et de la manière qu’Il le veut. L’Esprit, disait le Sauveur, souffle où Il veut parce que ses inspirations sont des effets de sa pure miséricorde. Nous devons donc Le supplier en tout temps de venir et attendre sa venue, laissant à sa paternelle providence le soin de déterminer le jour et l’heure de sa visite. Elle sera toujours imprévue, mais elle aura toujours lieu au moment le plus convenable.
2) Ce fruit vient du ciel. Il ne part point, comme le vent ordinaire, de l’orient ou de l’occident, du septentrion ou du midi ; car ce n’est point de la terre que l’inspiration de Dieu prend son origine, mais du ciel. Tout don excellent, dit l’apôtre saint Jacques, et tout don parfait vient d’en haut et descend du Père des lumières. Le don excellent, c’est le Fils ; le don parfait, c’est le Saint-Esprit. L’un et l’autre, avec tous les biens qui dérivent de ces deux sources, viennent du ciel et nous sont envoyés par le Père éternel, de qui procèdent le Fils et le Saint-Esprit.
Ô Père des lumières, faites descendre sur moi du plus haut des cieux ce don excellent et ce don parfait. Arrachez-moi à la terre et enlevez-moi par la vertu de ce souffle puissant jusqu’au lieu d’où il vient.
3) Ce bruit est semblable à celui du vent ou de l’air. C’est pour signifier que le Saint-Esprit opère en nous, par ses inspirations, des effets merveilleux et surnaturels analogues à ceux de l’air dans l’ordre naturel. C’est l’Esprit-Saint qui nous donne et nous conserve la vie de la grâce. C’est par son souffle que nous respirons. Ce souffle amortit en nous les ardeurs de la concupiscence ; il nous purifie en séparant dans nos âmes la paille d’avec le bon grain, et ce qu’il y a de précieux et d’excellent d’avec ce qui est vil et imparfait ; enfin il nous pousse et nous excite à fuir le péché et à embrasser la vertu. De sorte que, comme nous respirons l’air, que nous vivons par l’air et que la privation de l’air nous ôterait la vie, de même, c’est dans l’Esprit-Saint que nous avons l’être, le mouvement et la vie de la grâce, dont Il est seul l’auteur et le conservateur.
Ô Esprit de vie qui avez ressuscité par votre souffle les morts que Dieu fit voir au prophète Ézéchiel, soufflez sur tant d’âmes mortes par le péché et rendez-leur la vie de la grâce. Ô vent céleste du midi, soufflez dans le Jardin de mon âme ; faites-en refleurir les arbres à demi morts, c’est-à-dire les vertus faibles et languissantes ; faites-leur produire en abondance des fleurs et des fruits à la gloire du Seigneur et pour l’édification du prochain. Ô Dieu éternel qui, pour sauver de la mort les trois jeunes Hébreux au milieu de la fournaise de Babylone, avez changé les flammes en un vent rafraîchissant, envoyez-moi votre Saint-Esprit afin que, comme un souffle bienfaisant, Il tempère en moi les ardeurs de la sensualité et excite toutes mes puissances à Vous louer éternellement.
4) Ce vent du ciel est impétueux. C’est pour marquer avec quelle force et quelle ardeur l’Esprit-Saint porte les âmes à la pratique des vertus. Sa violence néanmoins est toujours douce parce qu’elle procède de son amour et ne blesse pas notre liberté. Mais Il hait la négligence et la tiédeur. La grâce du Saint-Esprit, dit saint Ambroise, est ennemie de la lenteur et de la paresse dans les bonnes œuvres. Aussi, quand Il entre dans une âme, Il la conduit comme un vaisseau qui vogue à pleines voiles, le vent en poupe, sans travail et avec une extrême rapidité. Mais Il est en même temps un pilote expérimenté qui gouverne habilement son navire et le mène sûrement au port. C’est de ces âmes ferventes et généreuses que saint Paul a dit : Tous ceux qui sont poussés par l’Esprit de Dieu, sont les enfants de Dieu.
Ô Esprit divin, qui portez vos enfants bien-aimés avec une ferveur persévérante aux œuvres de vertu et de sainteté, descendez dans mon âme comme un vent impétueux et poussez-la fortement partout où votre bon plaisir l’appelle. Mais, de peur qu’elle n’échoue par une ferveur indiscrète, dirigez-la Vous-même dans toutes ses voies afin qu’elle arrive heureusement au port de l’éternelle félicité.
5) Le bruit de ce vent impétueux, semblable à un coup de tonnerre, se fait entendre dans toute la ville. Ce dernier trait nous montre que l’Esprit de Dieu opère dans les saints, et par leur moyen, des effets qui retentissent dans tout le monde, soit par l’exemple de leur vie parfaite, soit par leurs œuvres extraordinaires ou tout à fait miraculeuses, soit particulièrement par la force de leur parole et de leur prédication. C’est ce qui paraît dans les apôtres dont il est écrit : Leur voix s’est répandue par toute la terre, et leur parole s’est fait entendre jusqu’aux extrémités du monde. Ainsi le Sauveur nomma les deux fils de Zébédée enfants du tonnerre, parce qu’ils devaient prêcher l’Évangile aux nations avec une voix de tonnerre.
Ô Dieu de mon cœur, faites retentir votre voix à mes oreilles ; que votre inspiration touche efficacement mon âme afin que j’entreprenne et que j’accomplisse, avec votre secours, des œuvres importantes qui édifient mon prochain et excitent les hommes à Vous glorifier éternellement.
III. — Puissance de ce vent impétueux
Et il remplit toute la maison où les disciples étaient assis.
1) L’Esprit-Saint remplit toute la maison, pour signifier que, dans la loi de grâce, il se communique avec abondance et avec plénitude aux fidèles, afin qu’ils puissent s’acquitter parfaitement de toutes les œuvres de piété, de tous les exercices de la charité chrétienne, de toutes les obligations de leurs différents états, de tous les ministères sacrés qui leur sont confiés dans l’Église, en quoi la loi de grâce l’emporte comme infiniment sur la loi de nature et sur la loi écrite. Un ami de Job dans la loi de nature, et le prophète Élie dans la loi écrite, furent favorisés de la visite de l’Esprit de Dieu, et ils Le comparent à un souffle léger, au sifflement d’un vent faible et subtil ; car alors Il ne se donnait que par mesure. Mais depuis la Passion de l’Homme-Dieu, Il vient comme un vent impétueux qui remplit toute la maison parce qu’Il se donne sans réserve et qu’Il distribue toute sorte de grâces à toute sorte de personnes. Le Sauveur lui-même, pendant sa vie mortelle, ne communiquait pas les dons du Saint-Esprit avec tant de libéralité. C’est pourquoi saint Jean disait que le Saint-Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’était pas encore glorifié. Mais après sa résurrection, les cataractes du ciel furent ouvertes : un déluge de grâces inonda notre terre, et la rendit fertile en fruits de sainteté. Isaïe, ravi de cette merveille, s’écriait : La terre est remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer l’est des eaux qui débordent sur le rivage.
Quelles actions de grâces Vous rendrai-je, ô mon très doux Rédempteur ? Sur la croix, Vous avez versé des ruisseaux de sang par les plaies de votre corps adorable ; et, en vertu de ce sang divin, Vous avez ouvert les sources du ciel pour répandre votre Esprit sur tous ceux qui désirent profiter des mérites de votre Passion ! Répandez-Le de nouveau, je Vous en conjure, sur toute l’Église qui est votre maison, afin que tous ses enfants Vous servent avec un redoublement de ferveur et de fidélité.
2) Ce vent remplit toute la maison et il n’y a aucun endroit si retiré ni si caché qu’il ne pénètre. Par où nous voyons que le Saint-Esprit, autant qu’il dépend de Lui, s’offre et se communique généralement à tous les hommes, en quelque partie du monde qu’ils soient. Il vérifie de la sorte cette parole du Sage : L’Esprit du Seigneur remplit l’univers ; et cette promesse de Dieu à son peuple : Dans les derniers temps, Je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront ; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards des songes mystérieux. En ces jours-là, Je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront.
3) Le Saint-Esprit voulut nous apprendre que quand Il entre dans une âme à la manière d’un vent impétueux, Il la remplit tout entière, Il occupe toutes ses puissances et n’y laisse rien de vide. Il remplit sa mémoire de saintes pensées, son entendement de lumières célestes, sa volonté d’affections et de désirs fervents, son appétit même de penchants au bien, et ainsi toute la maison se trouve pleine de grâces et de vertus. Il y établit surtout l’amour de Dieu et le zèle de sa gloire, la confiance en sa miséricorde, un profond respect pour sa majesté, une joie très vive de ses perfections, une extrême reconnaissance de ses bienfaits, une détestation sincère du péché, des résolutions efficaces d’obéir à Dieu, et des désirs ardents de souffrir pour lui les plus rudes travaux.
Ô divin Esprit, que ne remplissez-Vous ma mémoire et mon entendement, afin que toutes mes pensées, n’ayant point d’autre objet que Vous, s’unissent ensemble pour Vous louer comme un jour de fête ? Que ne remplissez-Vous de même mon cœur et mon appétit des plus pures flammes de votre amour afin que tous mes désirs et toutes mes inclinations soient conformes aux vôtres ? Remplissez-moi tout entier de votre divinité afin que toutes mes œuvres soient pleines devant Vous, et qu’il ne reste en moi rien de vide, rien qui puisse Vous offenser ou Vous déplaire.
4) Enfin, ce vent impétueux remplit toute la maison où les disciples étaient assis. Ces dernières paroles renferment un enseignement important. Si nous voulons véritablement que l’Esprit-Saint descende dans notre âme et l’occupe tout entière, nous devons éviter de nous répandre au dehors et de courir après les objets profanes. Il faut au contraire que nous demeurions au-dedans de nous et que nous nous conservions dans une tranquillité parfaite, nous employant à entretenir de saintes pensées, à exciter de pieux désirs, à faire quelques bonnes œuvres, en attendant que cet Esprit tout de feu descende dans notre cœur, le remplisse et le perfectionne par son amour. C’est pour cette raison que, quand Dieu se propose de visiter une âme, Il la porte au recueillement, la fait entrer en elle-même, l’établit dans un profond repos ; puis Il y entre avec la plénitude de ses dons.
IV. — Le Saint-Esprit descend en langues de feu sur les disciples
En même temps ils virent paraître comme des langues de feu, qui se partagèrent et s’arrêtèrent sur chacun d’eux.
1) Considérons pourquoi l’Esprit-Saint descendit sur les disciples sous la forme d’une flamme visible. Selon la doctrine de l’Ange de l’École, ce divin Esprit apparaît aux hommes sous des formes sensibles pour désigner les effets merveilleux qu’Il vient opérer dans les âmes qui Le reçoivent. Au baptême de Notre-Seigneur, Il prit la forme d’une colombe, symbole de l’innocence et de la fécondité qu’Il communique pour toute sorte de bonnes œuvres. Dans la transfiguration, Il parut sous la forme d’une nuée lumineuse pour signifier la doctrine dont Il éclaire les âmes et la protection qu’Il étend sur ses élus. Dans le cénacle, Il fut donné la première fois comme un souffle pour marquer que c’est de Lui que nous recevons la vie spirituelle au moyen des sacrements. Aujourd’hui, Il descend en forme de feu pour montrer que, comme le feu purifie, éclaire, brûle, s’élève en l’air, se prend et se communique à tout, se répand et transforme en soi tout ce qu’il rencontre, de même, le Saint-Esprit purifie les âmes en consumant la rouille de leurs vices et en changeant, selon le langage de l’Écriture, tout ce qu’elles ont d’écume et d’étain en un or très pur. Il éclaire l’entendement de ceux qu’Il visite, par une lumière surnaturelle qui leur fait croire les vérités de la foi avec plus de certitude que s’ils les voyaient des yeux du corps. Il allume dans leur cœur le feu de l’amour de Dieu et du prochain. Il élève leur esprit de la terre au ciel, et fait que, par la contemplation, ils y établissent leur repos, comme dans leur sphère et dans leur centre. Enfin, Il se les unit si étroitement qu’ils deviennent un même esprit avec Lui, par la participation de ses dons et par un lien d’un parfait amour. Car Il est ce feu divin dont Jésus parlait lorsqu’Il disait à ses apôtres : Je suis venu apporter le feu sur la terre ; et que souhaité-Je, sinon qu’il s’allume ?
Ô mon Sauveur, accomplissez en moi votre désir ; allumez ce feu dans mon âme, terre froide et stérile, afin qu’il consume tout ce qu’il y trouve de terrestre et qu’il l’élève au-dessus d’elle-même jusqu’au plus haut des cieux. Ô divin Esprit, puisque Vous êtes un feu dévorant, détruisez tout ce qu’il y a de vicieux en moi ; rendez-moi capable de recevoir toutes les qualités de ce feu, sa lumière, sa chaleur, sa légèreté, son activité, et transformez-moi tout à fait en lui.
2) Considérons pourquoi le Saint-Esprit descend du ciel, non en forme de cœurs, mais en forme de langues de feu. C’est pour signifier qu’Il se donne aux apôtres, non seulement afin qu’ils brûlent eux-mêmes du feu de la charité, mais encore afin que leurs langues, ressentant les effets de ce feu, publient dans tout l’univers la loi de grâce et la gloire de Jésus crucifié. Il veut qu’ils soient ainsi sur la terre comme autant de brasiers qui servent à purifier les hommes de leurs erreurs et de leurs péchés, à les éclairer de la lumière de la véritable doctrine, à les embraser des ardeurs de la charité, à les élever au désir des choses célestes et à les unir étroitement à Dieu par les chaînes de l’amour. Il veut enfin que le Fils de Dieu obtienne par-là l’accomplissement de ce qu’il souhaitait avec transport lorsqu’il disait : Je suis venu apporter le feu sur la terre ; et que désiré-je, sinon qu’il s’allume ?
Remarquons de plus que le Saint-Esprit descend dans nos cœurs en langues de feu toutes les fois qu’Il allume en nous des sentiments de dévotion. La dévotion, dit saint Bernard, est la langue de l’âme avec laquelle nous parlons à Dieu ; et lorsque l’Esprit-Saint nous la communique avec plénitude, c’est une langue de feu qui ne cesse de bénir le Seigneur et de Lui chanter des cantiques de louanges.
3) Les langues se partagèrent. C’est une figure de ce que nous dit l’apôtre saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens. Il n’y a dans l’Église de Dieu qu’un même Esprit ; et toutefois il y a diversité de grâces, de ministères, d’opérations et de dons surnaturels, tels que ceux de sagesse, de science et de foi, de faire des guérisons miraculeuses, d’interpréter les Écritures, sans parler des autres. Mais c’est le Saint-Esprit qui les partage comme Il lui plaît entre les fidèles et qui donne aux ministres de l’Évangile des langues de feu afin qu’ils fassent valoir les talents qu’Il leur a confiés. Cette considération produira en nous des sentiments de reconnaissance envers l’Esprit sanctificateur qui distribue ainsi ses grâces à tous les membres de l’Église.
Réjouissons-nous et remercions-Le de toutes celles qu’Il fait, soit à nous-même, soit à nos frères, puisque les unes et les autres sont pour notre avantage. Car il en est de la société des fidèles comme des membres du corps humain. Le bien de l’œil est utile à la main et le bien de la main est utile à l’œil : l’un et l’autre se prêtent un mutuel secours.
4) Enfin les langues de feu s’arrêtèrent sur chacun des disciples. Lorsque l’Esprit-Saint descend dans nos cœurs, c’est avec l’intention d’y demeurer toujours. Jamais Il ne nous abandonnera si nous ne Le forçons pas à s’éloigner de nous. Mon Père, disait Jésus-Christ, Vous enverra un autre consolateur afin qu’il demeure éternellement avec vous. Si donc Il nous quitte, c’est par notre faute, c’est que nous manquons de sincérité et de droiture avec Dieu. Car l’Esprit de sainteté, dit le Sage, fuit le déguisement ; Il s’éloigne des pensées qui sont sans intelligence et Il se retire devant l’iniquité. Par conséquent, ô mon âme, si tu veux qu’Il demeure en toi et que jamais Il ne t’abandonne, abhorre la duplicité et l’hypocrisie ; bannis de ton cœur toute pensée et toute affection déréglée ; ne donne pas accès au vice ; car celui qui est la pureté même n’entrera point dans une âme perverse, n’habitera point dans un corps assujetti au péchés, ne demeurera, point dans l’homme qui s’est rendu semblable aux animaux privés de raison et n’a d’autre règle de conduite que les inclinations grossières des sens.
V. — Changement subit opéré dans les disciples par le Saint-Esprit
Et tous furent remplis du Saint-Esprit.
1) Considérons la bonté et la libéralité des trois personnes divines : du Père et du Fils qui envoient le Saint-Esprit ; du Saint-Esprit qui veut bien se donner Lui-même. Parmi les disciples réunis dans le cénacle, il y a inégalité de rang et de mérites ; cet Esprit divin les remplit tous de ses dons, les comble tous de joie et se donne tout entier à chacun d’eux, en sorte que tous sont vraiment pleins du Saint-Esprit, tous contents et satisfaits, sans désirer pour lors autre chose que Dieu. Il remplit principalement les puissances de leur âme et n’en laisse aucune vide. Il imprime dans leur mémoire les saintes Écritures afin qu’ils s’en souviennent toutes les fois qu’ils en auront besoin ; Il éclaire leur intelligence afin qu’ils comprennent tous les mystères qui y sont cachés ; Il grave en un instant dans leur cœur la loi de la charité en traits si profonds que, quand il n’y aurait au monde ni Loi écrite, ni Évangile, ils seraient eux-mêmes une loi vivante et l’Esprit qui les enseigne intérieurement la leur ferait observer dans toute sa perfection. En un mot, Il exerce à l’égard de chacun des disciples tous les offices qui Lui sont propres. Comme un vent rafraîchissant, Il les récrée avec suavité ; comme un soleil, Il les inonde de lumière ; comme un feu, Il les pénètre d’une chaleur céleste ; comme médecin, Il les guérit de tous leurs maux ; comme maître, Il leur apprend toutes choses et fait d’eux les maîtres des nations. De timides, Il les rend courageux ; de faibles, forts ; d’ignorants, savants ; d’envieux, charitables ; d’ambitieux, humbles ; d’imparfaits, consommés en toutes les vertus. Ô changement prodigieux ! Ô miracle de la droite du Très-Hauts ! Ô puissance infinie de l’Esprit de Dieu ! Ce que Jésus, durant trois ans, n’a fait ni par ses prédications, ni par ses exemples, ni par ses miracles, l’Esprit de Jésus, qui est la vertu d’en haut, l’opère en un moment, sans peine et sans travail.
Ô mon Sauveur, envoyez-moi ce divin Esprit afin qu’Il me change en un homme nouveau, entièrement selon votre cœur. Venez, Esprit sanctificateur ; remplissez-moi de vos dons afin que je vive non plus d’une vie terrestre, mais d’une vie céleste ; détachez-moi des biens passagers de ce monde et faites que je ne cherche ni ne désire rien hors de Vous, puisque je trouve et possède tout en Vous.
2) Tous les disciples, il est vrai, furent remplis du Saint-Esprit ; tous cependant ne le reçurent pas avec une égale plénitude. On remplit d’eau deux vases d’une grandeur inégale ; celui qui a plus de capacité en reçoit plus que celui dont la capacité est moindre. C’est ainsi que, parmi les disciples, ceux qui étaient le mieux disposés eurent une part plus abondante aux dons de l’Esprit-Saint. D’où il suit que la très sainte Vierge reçut, elle seule, plus de grâces que tous les autres ensemble, les apôtres plus que le reste des disciples, tous heureux, tous louant et remerciant le Seigneur de la faveur insigne qu’Il venait de leur accorder. Réjouissons-nous nous-même du bonheur qui leur est commun ; mais félicitons surtout la Reine du ciel des grâces extraordinaires dont elle est comblée et de la joie qu’elle ressent de voir tous les apôtres et tous les disciples remplis de l’Esprit de Dieu, selon la promesse de son divin Fils.
3) Puisqu’il est certain que le Saint-Esprit se communique avec plus de profusion aux âmes qu’Il trouve mieux disposées, excitons en nous un vif désir de préparer la nôtre avec toute la ferveur possible de Le recevoir. Quatre vertus contribueront à cette préparation. La première est la pureté de conscience ; nous l’obtiendrons en nettoyant avec soin le vase où l’Esprit-Saint doit verser ses dons. La seconde est la pureté de cœur ; nous viderons le nôtre de lui-même et de tout esprit contraire à celui de Dieu. La troisième est la confiance en Dieu ; cette vertu élargit et dilate le cœur de l’homme, non selon la mesure des mérites de l’homme-même, mais selon celle des mérites de Jésus-Christ et de sa bonté infinie. La quatrième est une oraison fervente ; elle attire le Saint-Esprit en lui demandant que, dans la distribution de ses grâces, Il ait plus égard à ce qu’Il est qu’à ce que je suis, à sa grandeur qu’à ma bassesse. Plus je m’efforcerai de pratiquer ces quatre vertus, plus j’acquerrai de dispositions pour recevoir l’Esprit-Saint avec l’abondance de ses richesses.
Ô Dieu tout-puissant, qui avez dit à votre peuple : Ouvrez votre bouche, dilatez votre cœur, et je le remplirai, voici que j’ouvre ma bouche pour attirer votre divin Esprits ; je ne souhaite rien tant que d’avoir une âme assez grande pour contenir tous ses trésors. Remplissez mon cœur tel qu’il est et étendez-le toujours davantage par votre miséricorde afin que, s’agrandissant de plus en plus, rien ne l’empêche de recevoir sans cesse de nouvelles faveurs.
4) Considérons que la plénitude avec laquelle les disciples reçurent le Saint-Esprit, fut en rapport non seulement avec leurs dispositions personnelles, mais encore avec leurs différents ministères. Car Dieu notre Seigneur ne manque jamais de donner à chaque homme en particulier la grâce qui lui est nécessaire pour s’acquitter des fonctions qu’Il lui confie et pour satisfaire aux obligations de l’état auquel Il l’appelle. C’est ainsi qu’Il remplit de grâces la glorieuse Vierge, saint Jean-Baptiste et les apôtres, proportionnant ses dons à leur dignité et à leur emploi. Il en use de même aujourd’hui à l’égard de ceux qu’Il destine à quelque état ou à quelque ministère dans l’Église.
VI. — Les apôtres reçoivent le don des langues
Et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l’Esprit-Saint leur donnait de les parler.
1) Considérons la faveur particulière que le Saint-Esprit fit aux apôtres de leur donner en un instant la faculté de parler plusieurs langues pour qu’ils pussent prêcher l’Évangile par tout l’univers. Toutefois, comme ce don ne leur fut pas accordé pour leur utilité propre, mais pour le salut du prochain, c’est à nous à bénir et à remercier le Seigneur d’une grâce qu’Il leur fit pour notre avantage. Remarquons aussi que, comme la confusion des langues, entre les hommes qui entreprirent d’élever la tour de Babel, fut un châtiment de l’orgueil, de même la réunion des langues dans les apôtres fut une récompense de l’humilité. En effet, les orgueilleux enfants du premier Adam, ayant voulu construire une tour dont le faite atteignit le ciel, furent contraints d’abandonner leur entreprise et de se disperser parce qu’ils ne s’entendaient plus les uns les autres, tandis que les humbles disciples du second Adam, désireux de bâtir la tour de la perfection évangéliques qui élève les hommes jusqu’à la vue de Dieu, réussirent dans leur dessein par l’union des langues qui leur fournit le moyen de traiter avec tous les peuples et d’achever heureusement leur édifice spirituel.
Donnez-moi, ô mon Sauveur, un véritable esprit d’humilité ; purifiez ma langue avec le feu de votre amour ; rendez-moi capable de travailler à la construction de cette tour mystérieuse, non seulement dans mon âme, mais encore dans celle de mes frères afin que nous arrivions tous au comble de votre éternelle gloire.
2) Considérons que les apôtres commencèrent aussitôt à parler diverses langues, non selon leur fantaisie, mais selon que le Saint-Esprit les leur faisait parler. Ils ne disaient que ce qu’Il leur dictait, de la manière et avec la ferveur qu’Il leur inspirait. Tous leurs discours étaient de choses saintes, dites saintement, ce qu’ils observèrent toute leur vie, accomplissant ce que devait écrire un jour le grand Apôtre : Nous ne ressemblons pas à ceux qui altèrent la parole de Dieu ; mais nous la prêchons avec sincérité, comme de la part de Dieu, en la présence de Dieu et dans l’esprit de Jésus-Christ. Ce qui signifie : Nous gardons dans toutes nos conversations les quatre règles suivantes :
- Nous nous proposons, non une fin mauvaise ou vaine, mais uniquement la gloire de Dieu, notre avancement spirituel et le salut de notre prochain.
- Nous ne nous laissons point aller à un esprit turbulent et passionné, mais nous suivons l’Esprit divin qui est toujours calme et tranquille.
- Nous songeons que Dieu est présent, qu’il nous écoute et qu’une seule de nos paroles ne peut lui échapper.
- Nous évitons les discours blâmables ou profanes pour ne parler que de Jésus-Christ, de ses grandeurs ou de ce qui se rapporte à Lui.
3) L’Esprit-Saint lorsqu’Il descend dans une âme, lui fait aussitôt parler intérieurement plusieurs langues. Il lui inspire divers sentiments de dévotion que saint Paul recommandait aux nouveaux chrétiens d’exciter dans leurs cœurs, en leur disant : Remplissez-vous du Saint-Esprit ; entretenez-vous de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de vos cœurs d la gloire du Seigneur, rendant grâces en tout temps et pour toutes choses à Dieu le Père, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà les langues de feu avec lesquelles nous devons parler à Dieu dans notre intérieur, chantant à sa louange des psaumes et des cantiques. Et sur quel sujet rouleront nos entretiens ? Remercions-Le de ses bienfaits ; aimons-Le et réjouissons-nous de ses perfections ; offrons-nous de toute notre âme à Le servir ; exerçons-nous à des actes de toutes les vertus, et exécutons ainsi un concert également agréable à ses oreilles et glorieux à sa souveraine Majesté. Oh ! Que ne nous a-t-il été donné d’entendre la très pure Mère de Jésus, inspirée par le Saint-Esprit, parler toutes ces langues le jour même de la Pentecôte ! Combien ses affections étaient ardentes ; que ses louanges et ses actions de grâces étaient sublimes et embrasées ; comme son âme se fondait en s’entretenant avec son Bien-aimé ! Que n’avons-nous entendu de même les saints apôtres et les autres disciples dont les langues différentes et si bien d’accord, sous la conduite de l’Esprit de Dieu, formaient dans le cénacle la plus ravissante harmonie !
Ô divin Esprit, venez dans mon âme ; elle est muette, enseignez-lui à parler diverses langues, à produire mille affections pieuses et ferventes ; et puisque vous désirez que ma voix frappe vos oreilles rendez-la douce et mélodieuse afin qu’elle fasse entendre des sons qui Vous soient agréables, maintenant et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.